MIMA, Filigranes… La culture à Bruxelles menacée?

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Que disent la fermeture du MIMA et les menaces qui pèsent sur Filigranes de l’état de la culture à Bruxelles? Tentative de réponse.

La fermeture programmée du MIMA et les menaces qui pèsent sur Filigranes mettent-elles en péril les ambitions culturelles de Bruxelles? Avant de répondre, revenons d’abord en arrière. Sans avoir le prestige de Paris ou de New York, Bruxelles jouit depuis toujours d’une réputation flatteuse de laboratoire culturel. Songeons simplement à l’aura de P.A.R.T.S., l’école de danse de la papesse du geste Anne Teresa De Keersmaeker. La créativité, le dynamisme et la débrouillardise de sa scène artistique locale sont reconnus, et souvent enviés. Il y règne un joyeux bordel -et un manque chronique de moyens- qui stimule l’imagination. Ici, pas de patrimoine millénaire à préserver, ni de rang à tenir. Située à la jonction des plaques tectoniques germaniques et latines, la ville bouillonne, craque, écume, se cherche, s’invente, pour le meilleur et pour le pire. Une sorte de Berlin de province.
L’offre de spectacles, pièces ou concerts y est en outre pléthorique. Perçue à juste titre comme une ville déglinguée, anarchique (et sale), elle abrite sous cette couche pas toujours visuellement affriolante un vivier de spots électriques et avant-gardistes. Un réseau dont la survie a longtemps reposé sur le seul enthousiasme d’amateurs éclairés. C’est flagrant par exemple avec l’aventure du Nova, refuge d’un cinéma bis invisibilisé. Comme ce l’était déjà au début des années 80 avec la scène hip-hop émergente, très active mais confidentielle, et ne pouvant compter que sur ses propres forces -et la vista de Benny B- pour se développer.


Contaminée comme tout le monde par la mondialisation, la capitale a commencé au début des années 2000 à voir plus grand, caressant des projets à la mesure de son statut européen. D’autant que certaines villes qui ont entre-temps misé sur la culture pour se refaire la cerise ont raflé le jackpot touristique. Le modèle ultime en la matière est bien sûr Bilbao, dont le destin a changé avec l’implantation en son cœur, dès 1997, du Musée Guggenheim, conçu par l’architecte star Frank Gehry. De cité sans attrait particulier, la localité basque est passée d’un coup au rang de destination branchée. Au risque de se voir par la suite gentrifiée et « airbnbisée », revers malheureusement fréquent de la médaille. À l’initiative d’acteurs privés et/ou publics, de nouveaux temples ont ainsi germé à côté des institutions historiques comme Bozar ou la Monnaie, élargissant le champ des possibles. Citons le Wiels, le Musée Magritte ou encore le Palais 12, réponse du berger bruxellois à la bergère anversoise.
Et voilà que patatras, en une semaine, on apprend que deux de ces pôles culturels majeurs, symboles de l’ambition à laquelle on avait fini par croire, se cassent la figure. La fin du MIMA, qui a fait entrer le street art dans un musée sans le pasteuriser pendant huit ans, ne signe pas seulement l’échec d’un pari urbanistico-culturel, il interroge aussi la capacité d’une région sans boussole à s’enflammer pour une offre qui casse les codes. Les travaux de voirie ont signé son arrêt de mort. Mais aussi sans doute un cruel manque de curiosité pour un lieu qui défriche, qui brasse, qui innove, et qui avait tout pour réussir… à Londres ou Berlin.
Si les ennuis de Filigranes, plus grande librairie indépendante de Belgique, sont d’un autre ordre, le résultat pourrait être le même si un repreneur ne se présentait pas rapidement au 39, avenue des Arts: la fermeture d’un concept store, ouvert 365 jours par an comme aime le rappeler son fondateur Marc Filipson, victime de mauvaise gestion mais aussi probablement d’une certaine démesure.

 
D’où la question: Bruxelles aurait-elle eu les yeux plus gros que le ventre? L’étiquette de capitale européenne lui serait-elle montée à la tête? Le succès ou non du projet Kanal, qui s’inscrit dans un processus de revitalisation urbaine et d’aimant touristique, sera un bon indicateur pour trancher. Les critiques qui dénoncent une gabegie et un futur éléphant blanc sont-elles du même ordre que celles qui ont plu avant les J.O.? Ou anticipent-elles un vrai problème d’échelle, d’aveuglement, dans un contexte mouvant où la culture semble souffrir d’un Covid long.  
En dehors du divertissement (les expos immersives) ou d’événements transversaux plus ciblés, plus souples, plus mobiles, comme les festivals Horst Arts and Music, Listen ou Fifty Lab, qui cartonnent, point de salut? Paradoxalement, ce serait un peu un retour aux sources, à l’époque du bricolage inspiré et d’une certaine rage de vivre. « Bruxelles arrive », chantait Roméo Elvis en 2016, quand tout semblait sourire à BX. Oui, mais peut-être pas tout de suite. ●

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content