Bientôt la mort d’Internet? Comment l’avalanche de vidéos grotesques ou slops pourrait faire imploser la Toile

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

La vidéo générée par IA de Trump aspergeant ses opposants d’excréments a fait le tour du monde. Un slop parmi beaucoup d’autres qui menace de transformer Internet en future poubelle géante. Jusqu’à l’implosion.

A force, on finirait par trouver ça normal. Laid, indécent, déplacé, indigne, oui, mais plus franchement surprenant de la part du roi de la provoc et de l’outrance. Même quand Trump, définitivement décomplexé et débarrassé de toute forme de retenue, repousse les limites de la grossièreté en partageant –en réaction à une manifestation de millions d’opposants s’inquiétant de ses dérives autocratiques– une vidéo générée par IA le montrant aux commandes d’un avion de chasse, coiffé d’une couronne, en train d’asperger de tonnes d’excréments –oui, d’excréments– la foule des manifestants, ses administrés donc. Classe. La politique façon cour de récré, Jackass ou foire au boudin.

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Les ficelles de cette stratégie de la diversion et du buzz ont beau être aussi grosses qu’une fusée Starship, elles fonctionnent parce qu’elles font le spectacle, jouent sur la sidération et saturent l’air de ses composants toxiques. Tout débat pondéré, démocratique, toute parole mesurée est automatiquement écrasée sous un tel torrent de sarcasmes, torrent qui piétine les règles de savoir-vivre les plus élémentaires. L’ego de Trump est tellement énorme que même son amour-propre s’y est noyé: il assume crânement ressembler à sa pire caricature et il a fait du ridicule une arme de communication. C’est comme si le monarque avait avalé le bouffon. Ou l’inverse. La folie de l’un et la puissance de l’autre dans un même corps.

Tactiquement, c’est efficace: il humilie ses adversaires, coupe court à la conversation –en dynamitant les conventions du langage– et détourne le regard des vraies questions qui pourraient l’embarrasser. S’il n’a probablement jamais lu Marshall McLuhan, il a bien compris la principale découverte du philosophe canadien: «Le message, c’est le média.» Il y a de quoi désespérer de cette surenchère sémantique. Et craindre que cette logique racoleuse et obscène s’impose comme la norme dans les échanges entre puissants, mais aussi par ruissellement, dans les relations humaines ordinaires. L’exemple ne vient-il pas d’en haut?

Bel exemple de slop qui encombre le Net: le phénomène « Jésus crevettes ». L’IA pour le meilleur et surtout pour le pire.

En permettant aux acteurs et adeptes de cette pantalonnade de donner une tournure hyperréaliste à leurs convictions ou désirs mégalos les plus incongrus, l’IA joue un rôle d’accélérateur dans cette dérive. Avec les générateurs de vidéos comme Sora, il suffit d’un prompt aux complotistes pour inventer des réalités alternatives crédibles. «Peut-être que c’est ça l’avenir, se désole le réalisateur Yórgos Lánthimos dans l’interview qu’il nous accordée pour la sortie de Bugonia, un monde où chacun fabrique sa propre vérité.»

A moins que tout l’édifice n’implose avant. Cette thèse presque séduisante est au cœur d’un documentaire à voir sur la plateforme arte.tv. Son titre: L’IA va-t-elle tuer Internet? L’hypothèse est la suivante: le raz-de-marée du slop –un terme générique qui regroupe tous les contenus fake ou artificiels, de la musique générée par IA aux chatbots en passant par les livres écrits par des logiciels ou les images délirantes («Jésus crevette» et autres) qui circulent sur les réseaux sociaux–, va rapidement transformer la Toile en poubelle géante. Le but des producteurs de slops étant de monétiser leur camelote, l’accent est mis sur ce qui génère du clic: la haine, l’indignation, la violence, les peurs, l’étrangeté. Ces vidéos débiles –qui pillent sans vergogne la création humaine–, floutent un peu plus la frontière entre le vrai et le faux, mais encombrent aussi tout l’espace, noyant les contenus intéressants dans la vase. Conclusion: de l’intelligence artificielle à la connerie artificielle, il n’y a qu’un pas…  

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