Carte blanche à Louise Chennevière: le droit à l’enfance
Romancière et autrice du remarqué Pour Britney (éditions P.O.L.), Louise Chennevière nous formule ses vœux pour la nouvelle année sous la forme d’un appel à respecter l’enfance, cet état de grâce.
C’est quelque chose qui se fait, formuler des vœux pour la nouvelle année. Moi, il y a beaucoup de choses que je voudrais, mais je crois qu’elles tiennent toutes dans une. Je crois que tout soudain se résoudrait si l’on commençait par là, si l’on ne venait plus à en douter, si l’on tombait bien d’accord une bonne fois pour toutes, qu’on ne venait plus y toucher, qu’on ne cherchait plus ni à s’emparer, ni à l’abîmer. C’est une chose qui n’est pas une chose, c’est un état, de grâce, c’est le début de tout et ce devrait être aussi le milieu et la fin, c’est une manière d’être, de sentir, de penser, un rapport au monde, un regard, une présence.
L’enfance. L’enfance n’est pas quelque chose de donné, l’enfance est souvent prise, arrachée, confisquée. L’enfance, ce n’est pas un âge, je veux dire avoir l’âge de l’enfance n’est pas suffisant pour y avoir droit. Adèle Haenel dit: “Je n’ai jamais eu 12 ans. On m’a toujours dit que j’étais un adulte dans un corps d’enfant”, et pourtant c’est l’enfance qui est là aujourd’hui et qui parle à travers elle. Même si je ne sais pas ce qu’est l’enfance. Je réfléchis et je pense: c’est ce à quoi on ne touche pas. L’intouchable, c’est-à-dire le plus précieux. Alors l’enfance est partout, et partout elle est attaquée. Alors c’est rare, rare que l’enfance ait le droit d’être l’enfance.
J’ai retrouvé l’année passée un petit carnet, il y avait dedans un poème, ce que j’imagine être le premier poème car il est de cette toute petite main hésitante, parsemé de fautes et de variations calligraphiques étranges. Après ce poème il n’y avait plus rien, rien que des pages blanches et il disait: “Je grandis je vieillis c’est vrai mais je garderai toujours une âme d’enfant”. Celle qui écrit ces mots a huit ans à peine, et déjà elle sait. Parce que les enfants savent très bien qu’il y a quelque chose qu’on va chercher à leur arracher, qu’il y a de la part du monde (mais en quel endroit logée?) une haine à l’encontre de l’enfance. Cette haine à laquelle nous assistons depuis des mois, depuis des mois nous regardons l’enfance mise en pièce.
Je relisais la semaine dernière La Mort du jeune aviateur anglais. Je crois que c’est un texte qu’il faut relire en ce moment, je crois que c’est un texte qui éclaire violemment toutes ces images, ces images impossibles, ces images auxquelles parfois on résiste, dont on ne peut pas prendre la mesure. Duras écrit: “La mort de n’importe qui c’est la mort entière. N’importe qui c’est tout le monde. Et ce n’importe qui peut prendre la forme d’une enfance en cours”. Il faut opposer l’enfance à cette destruction, car nous n’avions rien d’autre à affirmer, à défendre. C’est depuis elle qu’il faut parler. Car l’enfance c’est aussi une manière de croire que malgré tout, ça va aller. Et moi je voudrais que l’enfance soit un droit inaliénable.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici