Nocturne marathon, au Naturel

Pour ce nouvel épisode de Night in Night out, Guillermo Guiz s’est glissé dans l’ombre de Jérôme Naturel, seul sorteur nudien de la nuit bruxelloise.

Ca commence vendredi. Dans un salon proche de la rue de Flandre. Là, tout est une question d’angle : yeux dans les yeux, compréhension, complicité, confession, puis le regard qui plonge inconsciemment vers le sol. En chemin, un kilt. Et une couille qui pendouille distinctement le long d’une cuisse. Parler avec Jérôme Naturel, c’est aussi s’exposer à ce genre d’invitées surprises. Je l’ai noté, sur le moment, et je le retranscris ici pour le plaisir du gag. Mais ce sera ma seule blagounette grivoise. Parce la démarche de ce Français à lunettes (Français à.. ok j’arrête pour de vrai), installé à Bruxelles depuis sept ans, a bien plus de corps et d’esprit que cette gonade velue délicatement posée sur le tissu d’un sofa.

L’idée ? Suivre Jérôme dans son vagabondage nocturne. Scruter le visage des noceuses et noceurs confrontés à la nudité. Saisir au vol leurs réflexions, leurs questions. Balancer les miennes :  » En fait, t’es toujours à poil parce que t’as aucun goût en matière de vêtements ?  » Comprendre si l’homme est prosélyte, provocateur ou simplement libre.  » J’ai envie de pouvoir vivre mon naturisme au maximum, sans volonté de convaincre les autres de me suivre. Mais de m’accepter tel que je suis.  » Ca tombe bien, une amie photographe en herbe va immortaliser la soirée : le thème de son étude,  » Vivre la différence « , s’applique à merveille au cas de Jérôme, consultant habillé le jour, noceur à walpé la nuit. Car s’il lui arrive de bronzer nu au Parc Royal ou de jogger mêmement (quel vilain mot) sur les sentiers du Bois de la Cambre, c’est essentiellement au clair de la lune que ce pileux quadra dévoile son ami Pierrot. Et son envie de  » pourquoi pas ?  » De fait, il est passé minuit : pour paraphraser l’ami Phil Collins, on est parti pour six heures de  » clinch in the air tonight « .

Première halte suggérée par Jérôme : le Metro Valdi, rue des Poissoniers. Pour la soirée  » Dansez-vous Potiche ? « , référence au dernier long métrage, projeté le soir même à l’Arenberg, du prolifique François Ozon. Référence d’autant plus opportune que le réalisateur de Huit Femmes, blazer noir et regard carnassier, se dodeline dans un coin du café dansant. Deux réflexions. 1) Je retire chacun des mots de frustration écrits la semaine passée sur les soirées Woodstrasse et leur côté  » boîte à sardines « . 2) Pour avoir jadis travaillé dans les bars homos, notamment au Boys Boudoir, je me suis toujours demandé pourquoi l’espace et l’oxygène semblaient aussi bannis des soirées gays que les posters de Sexion d’Assaut. Etouffement, sueur, claustrophobie. Devant la liquéfaction humaine qui me sert désormais de personnalité, Jérôme fanfaronne :  » Tu vois que ça peut servir ?  » Des potes à lui en masse, pas vraiment d’effet de surprise, quelques regards blasés.  » Emmène-moi danser ce soir, joue contre joue « , supplie Michelle Torr et le Metro Valdi tangue comme un bateau ivre. Besoin d’air ou ces lignes s’écriront d’un lit d’un lit d’hôpital…

 » Pourquoi s’autocensurer par peur des regards extérieurs ? Il faut pouvoir oser dans la vie. C’est l’un des messages que j’essaye de faire passer. » Et qu’il fera passer tout au long de cette douce nuit automnale. Notamment sur le zinc du Recyclart, où DJ Lowdjo fait bouncer deux survivantes bien accrochées à son mix éclectico-trashoïde. Il est près de 2h. Mis sur pied par le collectif artistique Bains Connective, le concept  » Plankton Bar  » touche à sa fin. Concentration étonnante de dreads au m², revendications de TTC au DJ : on est bien à Recyclart… Jérôme finit par quitter le kilt dans un espace confiné où seuls quelques rescapés, frais comme des gardons pêchés en 2004, sont amenés à se prononcer.  » You’re sexy man, yeahhhh !!!  » Systématique ou presque : dans chaque petit groupe, un mec fait semblant qu’il va, lui aussi, tomber le pantalon. Un téméraire tatoué, le sang probablement inflammable, va au bout de l’idée et déploie sa joyeuse raie devant l’objectif de ma pote Stacy. Ok, ça c’est fait…

On prend Jérôme en photo, on montre son winner du doigt, on l’accapare, on le monopolise. Mais gentiment.  » La révolution commence comme ça « , bataille le tatoué au cul nu avec un groupe de jeunes Suédois, pas spécialement emballés.  » As long as you feel good, man…  » Les plus immatures masquent leur gêne en lourdant leur monde, façon je viens mater sous le kilt etc. L’habitude…  » Les gens viennent très majoritairement me voir dans un esprit positif. Ou sont indifférents. Passé l’effet de surprise, voyant que je ne me comporte pas en exhibitionniste, ils continuent leur soirée. Je n’ai eu que très peu de soucis à ce niveau-là « , confie Jérôme Naturel, sur le chemin du Kulturkaffee, où l’attend de pied ferme une grosse demi-heure un brin plus rock’n’roll…

Boulevard du Triomphe. La soirée  » Tech me out « , cuvée n°15, bat son plein de BPM. A l’extérieur, malgré le kilt (encore) accroché à la taille, une poignée de noceurs sortent le bazooka beauf. Comme si à 3h, savoir-vivre et bienséance avaient déjà quitté le navire, anesthésiés par le houblon.  » T’as pas froid ? « ,  » T’es fier ? « ,  » A poil, s’il te plaît, à poil ! « , braille-t-on à l’extérieur. A moi :  » T’as pas des plombs ?  » Des quoi ? J’étais où pendant les cours de vocabulaire narcotique ? J’ai des Frisk mec, ou de la Vache qui rit, comme dirait Gad. Dedans, le son est costaud. Look goth et main de fer, l’ancienne résidente du Fuse, Trish, mène énergiquement le bal avec sa compère Klaina.  » Du moment que le son n’est pas commercial ! « , remarque Phantom, l’un des organisateurs. Et pour Jérôme ?  » Pas de problème, je l’ai déjà vu la bite à l’air !  »

De fait, exécution trois minutes après.  » Y’a ma ptite soeur qui est là ! « , lance, irrité, un mec au seul nudien (nudiste + quotidien) de la vie nocturne bruxelloise.  » C’est plus compliqué ici. J’évite en général de venir trop tard et je ne tourne pas autant normalement « , me glisse-t-il. Changer de lieu, à cette heure-ci, c’est forcément susciter encore les mêmes surprises, remarques et autres bouches béantes. En plus rentre-dedans. Pourtant, dans l’immense majorité des cas, filles et garçons l’abordent avec une gentillesse mêlée de curiosité. Mais il arrive aussi que les plus déchiquetés le touchent, lui claquent les fesses. Ou miment, à genoux, la gâterie des gâteries…

 » Il n’y a pas vraiment de loi spécifique à Bruxelles contre la nudité dans l’espace public. J’ai déjà eu quelques soucis avec la police, mais je ne me suis jamais fait embarquer la nuit. En fait, les vêtements me gênent sur le long terme et en soirée, comme je sais que je risque de rester longtemps, j’aime avoir la possibilité les enlever. C’est pour ça que je préviens généralement les organisateurs de mon arrivée.  »

Au Wood, les sorteurs connaissent l’animal. Au tout début, resto oblige, Carl de Moncharline rechignait à laisser Jérôme exhiber son absence de tissu. Mais tout est rentré dans l’ordre depuis. 4h. Mickey et Kid Strike donnent le tempo des Vendredis Nancy. Avec pas mal d’inspiration d’ailleurs.  » Hey mec, t’sais quoi ? Respect ! « , encaisse une nouvelle fois notre Naturel, après le 38ème  » high five !  » de la soirée. Variantes alcoolisées: un post-ado stylé tente de lui enfiler une casquette sur l’intime tuyau avant qu’un autre, plus velléitaire encore, tente de lui agripper le zgueguichon. Pas toujours gai…  » C’est un exhibitionniste qui fait ça juste pour se la péter, qui ferait n’importe quoi pour se faire remarquer « , me glisse un pote. Pas convaincu, perso… Jérôme, lui, poursuit son travail de clarification, explique, remet couche après couche le travail sur le métier. Et finit même par esquisser l’un ou l’autre pas de danse, seul, tranquille. En anticipant le jour où l’essentiel de ses soirées naturelles ressembleront à ça : un verre, une papote et un moonwalk. Simplement.

Bête de foire pour bête de foire, vers 5h, l’arrivée au Wood de Stromae (avec l’incontournable Simon Le Saint, back-up musical pour sa tournée) a de toute façon fini par recentrer l’attention des sorteuses. J’ai raccompagné Jérôme un peu plus tard, Stacy a retouché ses photos et Prince s’est lâché le lendemain soir au Viage. L’équation  » 100 euros et paupières qui se ferment d’elles-mêmes  » m’a convaincu d’attendre mon tour, une fois encore : si tu étais au sommet du casino de Bruxelles pour applaudir le génial petit bonhomme, n’hésite d’ailleurs pas à partager tes commentaires ci-dessous…

Ah oui, dernière chose : si le fait de jogger nu dans un bois t’intrigue au niveau purement technique, prends contact avec moi, j’ai obtenu des réponses. Et ça à l’air plus facile que prévu. Bon, sur ce, on s’entend la semaine prochaine. Rideau.

Guillermo Guiz

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