Zwangere Guy, rappeur taille BXL
Wie is Guy? Garçon sensible, rappeur zwanzeur, street philosophe: Zwangere Guy est un peu tout ça à la fois. La preuve avec un premier album qui cartonne, mélangeant poésie des grands boulevards et démons intérieurs. En flamand dans le texte, et avec Bruxelles comme décor incontournable.
Le rendez-vous est fixé au Volta, le nouveau hub culturel alternatif installé dans une ancienne usine, du côté de la Petite Île, à Anderlecht. C’est là que Zwangere Guy a commencé à répéter ses prochains concerts. Horaire serré, planning soutenu, le rappeur est au charbon. Et à dire vrai, c’est plutôt rassurant: lors des premières interviews données du côté néerlandophone, Gorik van Oudheusden de son vrai nom semble avoir systématiquement accueilli les journalistes avec une bonne gueule de bois, à peine remis de la fête de la veille. « Ah oué? C’est vrai que depuis que le disque est sorti, je suis passé par une sorte de sas de décompression, comme un bloc qui est tombé de mes épaules. Et du coup… » Il se met à murmurer: « …J’ai un peu fait la fête! », avant de partir dans un de ces énormes rires démoniaques dont il a secret.
Aujourd’hui, on a donc droit à la version concentrée de Zwangere Guy, affairé et bosseur. Normal: l’album, officiellement son premier solo, intitulé Wie is Guy?, a démarré sur les chapeaux de roues, numéro un de l’Ultratop flamand. Et les deux concerts programmés à l’Ancienne Belgique -là où il a bossé comme cuistot il y a quelques années d’ici- affichaient tous les deux complet. Il s’en est passé des choses depuis une première rencontre à l’automne 2017…
Il y a eu notamment une première « mixtape » officielle, Zwangerschap vol. 3, et un nouvel album avec son groupe Stikstof, l’excellent Overlast. Mais aussi, petit à petit, la confirmation d’un nouveau statut: celui, non pas de BV (bekende Vlaming), mais bien de BB pour bekende Brusselaar. Un artiste made in BX, comme la capitale n’en a plus personnifié depuis longtemps -en gros, depuis Arno. Zwangere Guy, c’est en effet une grande gueule roulant sa zwanze bilingue de « suave zievereir », dans un accent bruxellois bien trempé. La ville -littéralement- collée au corps (sur son torse, un tatouage géant du Palais de justice, à côté duquel il habite).
Après les incidents place de la Monnaie en 2017, le rappeur, qui a bossé comme éducateur en maisons de jeunes, a même été invité sur les plateaux télé pour débattre -avant de continuer la discussion au cabinet du ministre de la Justice. Ce qui ne l’a pas empêché de se retrouver par ailleurs en claquettes-chaussettes sur la scène du Bal national, le 20 juillet, entre le Grand Jojo et Jean-Luc Fonck. Un peu clown, un peu tête brûlée.
Entre les deux, son album ne tranche pas. À l’image de sa pochette, Wie is Guy? maintient le flou. À l’image de sa ville métissée, il mélange le tout: séquences rap jazzy et baile funk, ambiances sombres et saillies g-funk festives, confessions nocturnes et terreurs trap hardcore. Entre les lignes, pourtant, Zwangere Guy tombe le masque. Assis à même le sol, dans un local de répèt’ vide du Volta, il explicite. « Je ne voulais plus trop rentrer dans le truc de l’amuseur, être uniquement le rappeur marrant. Il paraît que je suis un peu drôle. C’est vrai que j’aime bien me foutre un peu de ma gueule. Mais l’important, c’était surtout d’être honnête. » Sur Beter Leven, il rappe notamment: « En tant que Guy, je me sens bien/Mais Gorik, lui, est souvent paumé » (« Voel me goed als Guy, maar Gorik die is vaak verdwenen »). Qui est Dr Jekyll, qui est Mr Hyde? Forcément, les deux se confondent. « En fait, Zwangere Guy, c’est comme si j’enfilais une veste en gore-tex. Elle te protège de l’eau, du vent. Mais ça reste fragile, tu peux toujours la déchirer. Et dans tous les cas, c’est juste une veste; derrière, tu vois toujours le même peï, avec le même esprit. »
La merditude des choses
Gorik van Oudheusden naît voici une trentaine d’années dans la capitale. Il grandit entre les tours du nord de la ville, du côté de Jette et Ganshoren. « Je ne vais pas dire que je viens du ghetto, mais c’était des blocs sociaux où il n’y avait pas grand-chose à faire. On jouait à cache-cache, à la chasse à l’homme. On avait vraiment un district de 2 kilomètres carrés. Qui chassait qui? Oh, ça dépend, on était des groupes de 20 contre 20. C’est là que j’ai appris le français: dans la rue. »
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Le gamin est turbulent. Il faut dire qu’à la maison, c’est le chaos. Gangréné par l’alcool et les drogues, le couple parental explose vite. Quand sa mère se remet avec un homme violent, Gorik ne le supporte pas longtemps. À quatorze ans, il se barre du domicile familial. Bientôt, il quitte aussi l’école et commence à bosser dans la construction le jour, dealant aussi un peu la nuit. Heureusement, les potes et le rap le sortiront de l’ornière. Aujourd’hui, il balance tout dans Wie is Guy?. À commencer par sa relation compliquée avec sa mère, pour laquelle il n’a pas de mots assez durs. À la manière d’un Eminem flamand, il détaille: « Comment as-tu pu perdre ton fils et ta fille pour ce connard? » dans Gorik Pt.1. Le morceau, et son clip trash, ont même été choisis comme premier single de l’album… « En fait, pour moi, c’est très simple: le hip-hop, c’est avant tout une manière de régler mes comptes. C’est très thérapeutique. J’avais envie d’écrire et de partager ça. Je préfère être sincère que d’inventer des choses que je n’ai pas vécues, ou jouer au dur. OK, j’ai vendu de la drogue, je le dis dans mes morceaux. Mais je ne vais pas commencer à me présenter comme un gangster. Pourquoi essayer d’être quelqu’un que je ne suis pas? Mon seul instrument, ce sont les mots. ça demande d’être honnête. Pour le reste, je ne pense pas plus loin. Moi, j’avance. » Même si cela ne se fait pas toujours sans mal. « Pendant cinq-six mois, ça a été très dur. J’écrivais l’album, je voulais tout donner. J’ai presque perdu ma copine, des potes. Je ne voulais plus voir personne. Et quand je sortais, je me bourrais la gueule. Blindééééé. » (rires)
Il dit n’avoir jamais consulté. Mais il sample quand même une conférence du psychologue Dirk De Wachter. En intro du morceau Demain, j’arrête, celui-ci s’élève notamment contre le culte de l’ego et surtout la dictature du cool et du bonheur imposé (« We willen zonodig dat alles altijd leuk, leuk, leuk is en dat me lijkt een vergissing »). « C’est ma copine, qui est thérapeute, qui m’a fait écouter ça. Je trouvais ça super beau. ça vient après un titre ego trip où je fais un peu le malin. C’est un peu comme s’il était rentré dans ma tête, et me remettait à ma place. »
Sur le même morceau, il rappe encore: « Dit is ondergronds/Dit is onder ons ». Underground, Zwangere Guy ne l’est pourtant plus tout à fait. Il est même devenu un vrai personnage populaire. Un type attachant, partisan non proclamé de la parité (la moitié des featurings de son disque sont féminins, de Blu Samu à Miss Angel, en passant par Selah Sue – « c’est important, le hip-hop, c’est encore trop souvent un boy’s club »-, et qui n’hésite jamais à flinguer la N-VA.
Des deux côtés de la frontière linguistique
En fait, il a même réussi à trouver des oreilles attentives du côté francophone. Le single Guy-funk est ainsi parvenu à être le morceau le plus joué de la semaine sur Pure FM! « C’est le résultat de ce qui se passe depuis quelques années entre Stikstof et des rappeurs francophones comme L’Or du Commun, Isha, Roméo Elvis, Le 77, etc. Un festival comme Couleur Café a aussi contribué à ces connexions (avec la scène Niveau 4, NDLR). Ça, et Internet, qui fait tomber les barrières. Puis je ne suis pas Flamand, je suis Bruxellois. Ça fait beaucoup. » Assez que pour être également invité par Roméo Elvis sur Skyrock, dans Planète Rap, émission phare de la bande FM parisienne. « Tu as vu? « Bonchourr, moi pas parler français », ah ah ah! » », se marre-t-il encore, à l’idée d’avoir rappé en flamand sur une radio française.
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À l’automne dernier, Guy « enceint » a fini également par signer sur la major Universal. Il a longtemps hésité, tergiversé, multiplié les refus avant de se lancer. « Tu sais, j’ai 30 ans. Pour moi, c’est un peu maintenant ou jamais… Mais je garde le contrôle sur tout, ils n’ont rien à dire! Je crois que c’est la première fois qu’ils ont rencontré un gars comme moi (rires) . On a eu une première réunion, avec une douzaine de personnes. J’ai pris une grande feuille, un marqueur, et je leur ai expliqué ce qu’on allait faire. J’ai dit: « Voilà, ça, c’est l’idée. Vous me suivez? Non? Alors, bouge! » Il se bidonne. « Bon, j’ai pas tout à fait dit ça comme ça… Mais j’ai été vraiment très clair! »
Est-ce que le succès calme, est-ce qu’il apaise? Pas forcément. « Tu sais, il y a neuf chances sur dix que ma carrière soit finie dans deux ans, et que je doive retourner bosser dans le bâtiment. » Alors Zwangere Guy fonce, en espérant que Gorik suive. « Est-ce que le succès, c’est mal? Non. Mais chaque artiste doit apporter son propre timbre. Personnellement, je ne vais jamais oublier d’où je viens, c’est-à-dire de Stikstof. C’est mon groupe, là où je reviens toujours, et où tout est beaucoup plus underground. C’est un ADN que je dois respecter. »
Pas question donc de voir Zwangere Guy débordé par la « fame ». Ni de l’imaginer désormais cadenassé, récupéré par le système qui n’en garderait que les aspects les plus « folkloriques ». « T’inquiète. Si c’est ça, dans deux semaines, c’est fini! » Il essaie d’expliquer ce qu’il y aura dans son nouveau clip: un Bart De Wever déguisé en Hitler; lui bourré, qui pisse dans un verre de bière avec un pénis en forme de boudin blanc; l’assassinat de Dieu; une scène d’orgie; du sperme partout; « et à la fin, je me fais électrocuter devant Marie ». Le comble? C’est que la description correspond parfaitement à la vidéo parue entre-temps sur YouTube…
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Zwangere Guy prend donc ses précautions, jamais très loin de l’autosabotage. En attendant, cela ne l’empêchera pas d’en profiter. Cet été, on le verra notamment à Couleur Café et au festival de Dour, avant d’enchaîner rapidement, promet-il, avec un autre album. Au moment de repartir, on lui demande quand même si ses relations avec sa mère se sont améliorées? « Arf… Je sais pas… » Tout à coup, la grande gueule se tait. Son sourire muet pour seule pirouette.
Zwangere Guy, Wie is Guy?, distribué par Universal. ****
En concert le 11/04 au Reflektor (Liège), le 28/06 à Couleur Café (Bruxelles), le 13/07 au Dour Festival.
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Peet (membre du groupe bruxellois Le 77), présent sur trois titres de Wie is Guy?
« On s’est rencontrés en studio quand on a démarré Le 77 avec Félé Flingue, qui le connaissait déjà. On a directement sympathisé. Depuis il fait partie pour nous de la « bawlers family »! On délire beaucoup sur les mêmes blagues, on a la même passion et les mêmes goûts. Pour Le 77 et moi-même, c’est aussi un exemple de travail et de discipline. Il nous a appris beaucoup et nous apprend encore tous les jours! Son défaut? Il aime trop la bière et il est tout moche. (rires) »
Roméo Elvis, qui a invité Zwangere Guy sur son prochain album, Chocolat.
« On est d’abord très potes. On se voit souvent. C’est comme un vieux frère, même si finalement on ne se connaît que depuis 2015. Mais je pense qu’il y a aussi un peu un rapport de fan. On est tous les deux très admiratifs l’un de l’autre. Il me voit comme modèle de travail, un exemple. Mais, même si j’ai peut-être plus « explosé » parce que je suis francophone, je l’admire tout autant. Depuis que je le connais, il a toujours une liasse de billets dans sa poche, parce qu’il bosse comme un malade, sur tous les plans. Puis, quand il sort dans la rue, il ne peut pas faire dix mètres sans « checker » tout le monde, là où moi je fuis. C’est un vrai bourgmestre, il va vers les gens. Quand je suis avec lui, je me sens à l’aise. Puis, il a une aura incroyable. Il n’oublie jamais de se positionner aussi politiquement. Enfin, c’est un pur produit de la ville. Dans un monde ou tout change, où tout va vite, lui reste à BX, fait le tour du monde avec sa même casquette, il ne bouge pas. Un « echte peï ». Bruxelles, c’est lui. »
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