Zwangere Guy, la vie sauvage
Deux albums en un peu moins d’un an -dont un premier disque d’or-, une flopée de prix, des salles remplies… Zwangere Guy est en train de réussir son pari: plier le rap jeu néerlandophone. Rencontre.
On imagine la scène d’ici. Au premier étage du café Les Brasseurs, Zwangere Guy s’est allumé un gros havane. Derrière les volutes du fumée, il observe les zombies qui, à cette heure-ci, ont pris possession du boulevard, quand son phonetel se met à trembler sur la table. Un coup d’oeil sur le message, qui s’affiche sur l’écran: et un sold out de plus, un! Le rappeur sourit, tire une nouvelle taf sur son barreau de chaise. « J’adore un plan qui se déroule sans accroc… »
Le plan? Braquer le rap game néerlandophone. La méthode? Imposer sa grande gueule made in Bx-hell, un flot vollenbak sur des productions nocturnes volontiers chelous. En mars de l’an dernier, Gorik Vanheusden, de son vrai nom, sortait ainsi son premier album « officiel », Wie Is Guy?. Il y racontait la ville, les excès et les mauvais plans. Rappeur bigger than life, il en profitait aussi pour tomber le masque, dévoilant un itinéraire perso et familial déglingué: un père au parcours de pirate, et une mère avec qui il a coupé tout contact.
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Là où, avec son groupe Stikstof, il restait coincé dans l’underground, il se retrouve tout à coup à l’avant-plan. Un personnage est né, à la fois clownesque et sauvage. Wie is Guy? atteint bientôt la première place de l’Ultratop flamand -il terminera disque d’or. Zwangere Guy enchaîne les festivals -Werchter, Dour, Couleur Café, etc.-, remplit deux premières Ancienne Belgique. Plus fou encore: l’homme que l’on appelle aussi Jean Connerie ou MC Dégueulasse, est joué sur Pure FM, réussissant à faire entendre son accent bruxellois jusqu’en terres « dirupiennes », de Liège à Charleroi. En novembre, aux Red Bull Elektropedia Awards, il repartait avec les quatre principaux prix. Et lors de la prochaine cérémonie de Mia’s, l’équivalent flamand des Victoires de la musique, le nom de Zwangere Guy est cité dans pas moins de sept catégories. Les lecteurs de Het Laatste Nieuws commencent à s’inquiéter: mais qui est cet énergumène qui vient faire de l’ombre aux vedettes schlager locales? En pleine bourre, l’homme a donc décidé d’insister et de taper sur le clou. En décembre, précisément neuf mois après son premier album (…), le « Guy enceinte » a accouché d’un deuxième: Brutaal.
La base
Le titre du nouveau disque n’a pas besoin de traduction. Quant à son explication, elle est simple. « Je cherchais un mot qui me corresponde. J’ai posé la question autour de moi, à mes potes, mes copines, ma femme, ma famille… Ce qui revenait le plus souvent était que je peux être très brutal. C’est vrai, je le sais. Mais je ne trouve pas ça forcément négatif. Ce n’est pas parce que je suis brutal que je suis un mauvais gars ou une klette. Enfin, de temps en temps, oui, ça peut arriver… » (rires) On n’a pas de mal à le croire, aucune difficulté à imaginer le regard espiègle et rigolard vriller d’un coup, façon Jack Nicholson. Borderline, le Guy? Et comment. « Si je trouve l’équilibre, la vie deviendrait trop ennuyeuse », annonce-t-il sur Grijze Zone. Et ce n’est pas le succès qui va apaiser quoi que ce soit. « Je ne suis pas habitué à ce que tout tourne bien », avoue-t-il sur Niemand. Qui est Guy? Une crapule attachante. Un master « zievereir ». « Une partie du problème » aussi. Comment? Pourquoi? Waarom? Daarom!, répond-il aussi sec. « Rien à foutre ».
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Chill ou vicelard, Zwangere Guy continue donc de raconter la capitale et ses vices, les virées le long du ring et les politiciens aux « vuile handen », la violence de la rue et les filles « qu’il faut laisser tranquilles ». La tchatche est volontiers cosmopolite, mélangeant néerlandais, français, anglais – « rijmen in drie talen coz ik heb de skillz » (Sideshow Bob). « Dans Brutaal, j’entends deux choses. D’une part, le mot brutalisme, qui est un style d’architecture des années 50-70 que j’adore. Après la guerre, il fallait reconstruire vite. Pour certains, c’est gris et moche, mais c’est là, bam! ça m’a donné un fil rouge pour l’artwork de l’album. Et puis, je retrouvais aussi le « Bru » de Bruxelles et le terme « taal », « langue » en néerlandais, avec laquelle je joue. »
Le verbe est savoureux, le lexique gourmand. Boeuf de Kobe, huîtres fine de claire, pizzas de la Bottega, etc.: par moments, Brutaal ressemble aussi à un vrai tour de table de la ville. « Blindéééé (rires). Pendant l’enregistrement, j’ai pas mal écouté des rappeurs comme Conway ou Westside Gunn, des types qui parlent beaucoup de bouffe. Et comme j’aime aussi bien manger… Ça me permet de faire rimer plus de mots, de multiplier les possibilités. J’ai été cuisinier. Mon père est boucher. Je n’achète jamais ma viande ou mon poisson dans les supermarchés. Je préfère d’avoir (sic) un peu moins mais bon. Et je te parle pas de bouffe fusion, hein! Une mousse de je sais pas quoi avec une crème de ta mère, ça m’intéresse pas! Moi je suis très content avec une bonne carbonnade de joues de porc, frites, mayonnaise maison. Et une petite salade de chicons crus. Ça c’est la base. »
Il évoque aussi le chef japonais Jiro Ono comme inspiration, maître sushi qui « s’est entièrement dédié à sa passion ». On pourrait encore citer Arno, « le tonton ». Bruxellois et décalés, l’Ostendu et Zwangere Guy devaient forcément se trouver. « Il est dans mon coeur. » Sur Guttergang, cela donne par exemple – « Putain, Putain, Guy heeft la haine »-, clin d’oeil à l’hymne de TC Matic. « Je lui ai demandé la permission avant, bien sûr. » En décembre dernier, consécration, les deux se sont même retrouvés sur scène pour chanter ensemble le morceau en question…
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« Aujourd’hui, ça marche. Mais au fond, rien n’a changé. J’ai juste peur de perdre des gens autour de moi. Et je suis sûr que cela va arriver… Par contre, j’ai retrouvé ma mère. ça faisait cinq ans qu’on ne s’était plus parlé. Ça, c’est cool… » Peut-être que la prochaine fois, Zwangere Guy demandera à reprendre Les Yeux de ma mère, qui sait?
Zwangere Guy, Brutaal, distribué par Top Notch. ****
Les 29, 30/04, et 01/05, à l’AB, Bruxelles.
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