Critique | Musique

Zapmamatopées

(de gauche à droite) Sabine Kabongo, Sylvie Nawasadio, Céline 'T Hooft, Cecilia Kankonda, Marie Daulne
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Groupe féminin bruxellois débarqué avec un premier et brillant album a capella en 1991, Zap Mama ramène aussi les vastes histoires belgo-congolaises.

Deux indicateurs pour contextualiser la réédition d’un album jeune de presque 30 ans. La date de parution initiale, 1991, s’inscrit dans une époque où la prénommée world music n’a pas encore une décennie. Permettant à des artistes comme Youssou N’Dour, Salif Keïta ou Ray Lema de faire exister l’Afrique noire en Occident. Au-delà du crossover pluriel qui entame les charts -le Yéké Yéké du Guinéen Mory Kanté en 1988-, il y a le parcours perso de Marie Daulne. Cette fille de 1964 perd son père belge dans les tumultes du Congo de l’après-indépendance et trouve refuge dans la famille paternelle, en compagnie d’une fratrie donc métisse et d’une mère congolaise. Initialement dans les Ardennes puis à Bruxelles, où l’on est encore relativement loin de « métisse is beautiful ». Tout cela va donc être digéré au fil du temps par Marie qui, à l’âge de 20 ans, retourne explorer ses racines au pays natal, plus particulièrement chez les Pygmées ayant protégé un moment sa famille. Elle y apprend les techniques onomatopéiques de l’ethnie, mélange d’acrobaties sonores et de sémantique sophistiquée appliquée à la vie quotidienne. Traces hautement biographiques d’un premier album où quatre des cinq interprètes sont peu ou prou d’origine (belgo-)congolaise: Marie, Cecilia Kankonda, Sabine Kabongo et Sylvie Nawasadio. La cinquième, Céline étant juste aussi belgienne que son patronyme, ‘T Hooft.

Zapmamatopées

Épures soniques

Cette chimie-là s’incarne donc dans un premier album éponyme, Adventures in Afropea étant le titre de sa version américaine et « afropéen » désignant les diasporas noires à la recherche d’une identité au sein de la blanche Europe. Zap Mama est une plongée ébène dans un monde qui ne l’est pas tout à fait, traversé d’harmonies religieuses, de parfums orientaux et surtout, d’un format vocal radical, le mode a capella. Marie Daulne construit une proposition musicale qui, sans être unique -les Flying Pickets, entre autres, sont passés par là (1)-, a d’emblée une texture particulière, un blend de cinq voix montées en sauce polyphonique. Seize morceaux et autant d’épures soniques dont la production musicale exploite une virtuosité quasi mathématique. Marie Daulne mène la danse vocale en écrivant la part du lion -les arrangements et la plupart des textes et musiques- avec beaucoup de vertu mélodique. C’est précisément ce qui détermine l’impact du disque sur le marché du début nineties: au-delà de ce qui est parfois un sketch à l’africaine (Marie-Josée) , une digression sur les mots (Take Me Coco), les morceaux frémissent de mélodies printanières. C’est punchy, enjoué, funky (Mupepe, Abadou, Mizike, Brrrlak!) et totalement onomatopéen. La réédition vinyle (incluant un download code) rend parfaitement bien le charnel caoutchouteux d’un disque, au final, unique dans sa collection de charmes afro-sophistiqués.

(1) Ce groupe anglais masculin a capella a décroché un numéro 1 anglais en 1983 avec Only You, reprise de Yazoo.

Zap Mama, « Adventures In Afropea », distribué par Crammed Discs. ****(*)

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