Werchter raconté par les Belges qui y ont joué
Le 6 juillet, Rock Werchter clôturera sa 40e édition avec le concert du compatriote Stromae. L’occasion de revenir sur quelques histoires belges qui ont occupé l’affiche du plus international des festivals maison.
C’est la Rolls de l’été. Un véritable festival-mammouth, avec tout ce que cela peut comporter de gigantisme. En 2003, 2005, 2006, 2007, 2012 et 2013, Rock Werchter a été élu « Meilleur festival au monde » par l’ILM (International Live Music Conference), l’industrie consacrant l’événement brabançon comme l’une des étapes internationales incontournables du grand rock’n’roll circus de l’été. Cette année encore, la grosse artillerie va débarquer: de Metallica à Skrillex, des Kings of Leon à Pearl Jam…
Au milieu du gratin mondial, une série de groupes maison -onze si l’on compte bien. A cet égard, la cuvée 2014 de Rock Werchter est même historique: pour la première fois en quelque 40 éditions, un Belge francophone clôturera les festivités. Le feu d’artifice final sera en effet allumé par Stromae. Les groupes locaux n’ont cependant pas toujours été autant à la fête, loin de là. Si en 1975, lors de la première édition, l’affiche était intégralement belge, elle ne proposera plus que des line-up internationaux entre 1984 et 1995 (à l’exception des Scabs en 92). En 95, c’est dEUS qui relancera la machine, pour arriver à l’édition 2005 dont quasi un tiers de l’affiche était colorée noir-jaune-rouge -16 groupes sur 59, relève Jan Delvaux (qui sort ces jours-ci le livre Rock Werchtger sinds 1975, plus d’infos dans le Focus du 27 juin). En voici cinq exemples, sur les plus de 90 qui ont fait l’Histoire belge de Werchter.
Marka (Allez Allez) (1982)
« Le festival était encore dédoublé. Je me rappelle très bien du samedi à Torhout, dont la plaine était un peu en dénivelé. Cela créait une sorte d’arène naturelle. C’était aussi la première fois que l’on jouait devant autant de monde, quelque 30 000 personnes si je me souviens bien. Par la suite, on a fait Forest National, mais T/W reste quand même un souvenir magnifique. On avait 20 ans, tout était possible, on avait du succès, on passait à la radio, les gens connaissaient nos morceaux et chantaient avec nous… Pendant deux, trois ans, le public a d’ailleurs continué de chanter Allez, Allez entre les concerts. On était vraiment sur notre petit nuage, complètement insouciants. U2 jouait après nous. Je nous vois encore en train de regarder un match de l’Irlande, lors de la Coupe du monde 1982, avec Bono juste derrière nous… A l’époque, Herman Schueremans (grand patron de Rock Werchter, ndlr) voulait devenir notre manager. Il était présent à Londres quand on a signé notre contrat avec Virgin. On a même dû créer une société avec l’avocat qui s’occupait des Sex Pistols. Je me souviens qu’il nous avait demandé d’écrire nos noms sur un papier pour savoir qui était qui dans le groupe. J’avais écrit Franz Beckenbauer (rires). En fait, on était vraiment des sales gosses, pourris par le succès, avec des fortes personnalités. Je crois qu’Herman Schueremans l’a très vite compris… Un an après, le groupe n’existait d’ailleurs plus. Mais on s’est bien marrés. Depuis, je ne suis plus jamais retourné à Werchter. C’est trop grand pour moi. Je préfère être seul sur scène devant 40 000 personnes, qu’être parmi 40 000 personnes à regarder un mec (rires). »
Daan (en 98 et 2000 avec Dead Man Ray, solo en 2004 et 2005)
« Gamin, je n’habitais pas très loin du terrain du festival. Du haut de ma colline, j’entendais le ronflement des basses, comme une sorte de gros monstre abstrait. J’ai vu le truc grandir d’année en année. La première fois que j’y ai mis les pieds, je devais avoir quatorze, quinze ans. Je me rappelle avoir vu les Ramones, et me dire: « C’est quoi, ce truc?! » J’étais conquis! J’avais trouvé ce que je voulais faire plus tard. En 1998, on y a joué avec Dead Man Ray. C’était très étrange. Cela faisait à peine quelques semaines que notre premier album était sorti, à peine plus de six mois que je me replongeais dans une activité de musicien. La veille, on a reçu un coup de fil des organisateurs, vers deux heures du matin: Ben Harper avait dû annuler sa venue, suite au décès de son père, et ils cherchaient un remplaçant. C’est tombé sur nous. On a fait la fête durant toute la nuit. A 7h du matin, on était devant les grilles du festival, sans avoir fermé l’oeil. Je vois encore Rudy Trouvé piquer un somme sur un bloc de béton juste avant de monter sur scène (rires). Finalement, on a joué, puis on est repartis directement pour un autre concert aux Pays-Bas, avant de revenir en fin de journée pour voir Nick Cave. On était jeunes… En 2004, j’ai joué sous mon nom dans le Marquee. Un grand moment. J’étais aussi dans ma période électro dansante, ce qui était parfait pour l’occasion. Une autre année, j’avais donné mon concert, mais j’étais terriblement excité, je crevais d’envie d’encore jouer. Alors, pendant le soundcheck du groupe Texas, je suis remonté sur scène et je me suis mis derrière la batterie. J’ai commencé à jouer jusqu’à ce qu’un mec de la sécu me dégage, vite fait (rires). »
Marc Huyghens (Venus) (2000)
« Werchter, je n’y suis pas allé souvent. Je suis un peu agoraphobe et je ne suis pas trop fan des grandes foules, ni de tout ce qui entoure ce genre de grands rassemblements: la file aux Bancontact, les alignements de fritkots… Cela étant dit, j’y ai vu de magnifiques concerts, comme celui de PJ Harvey, par exemple. Mais la plupart du temps, j’arrivais juste avant et repartais directement après. Avec Benicassim ou le Paléo à Nyon, cela reste quand même le festival le plus confortable pour un musicien. C’est exceptionnel, super pro. Quand tu débarques, tout va très vite. Je nous vois encore, garer notre van au milieu des gigantesques tour bus des autres groupes (rires). Franchement, cela reste un excellent souvenir. Les conditions techniques étaient optimales, il ne peut rien t’arriver. Pour un groupe, belge a fortiori, Werchter, c’est quand même une sorte de Graal. Quand on y a joué, cela faisait longtemps que le festival n’avait plus programmé un groupe francophone. Cela a représenté aussi un moment crucial pour nous. Notre tourneuse flamande avait fait le forcing pour que Live Nation nous programme à l’affiche du festival. Ils étaient d’accord, à condition… qu’ils puissent reprendre le booking! On a dit non évidemment. On ne se voyait pas virer notre bookeuse pour se retrouver à Werchter. C’était David contre Goliath, mais finalement cela s’est bien terminé. On a pu ouvrir la grande scène, le premier jour. Juste après nous, il y avait Muse: si j’ai bonne mémoire, un an avant, ils faisaient notre première partie… Je me rappelle aussi avoir traîné backstage. Je demandais aux autres artistes de se prendre en photo -on ne parlait pas encore de selfie. Ce qui m’a permis de croiser le chanteur le plus stupide que j’ai jamais rencontré: j’ai eu beau expliquer ma démarche pendant un quart d’heure à Liam Gallagher, il n’a rien voulu comprendre (rires). »
Hendrik Willemyns (Arsenal) (2004, 2005, 2006, 2009, 2011, 2014)
« Je devais avoir dix ans quand j’ai assisté au festival pour la première fois, à Torhout, en 1982. La prairie appartenait à un agriculteur qui était aussi notre voisin. Du coup, il nous faisait rentrer par l’entrée des artistes. J’y ai vu notamment les Talking Heads. Par la suite, j’y suis allé chaque année. Quand notre voisin n’a plus pu nous faire passer, on chipotait pour rentrer, on copiait les tampons (rires). L’année où ils ont interdit les canettes sur le site du festival, les gens planquaient leurs bières tout autour du site. Avec mes potes, on partait à la chasse au trésor, en fouillant les buissons et les fossés. On revenait les sacs remplis de canettes! Les plus « recherchées » étaient celles de… River Cola. A l’époque, on ne connaissait pas Aldi, et on pensait que c’était une marque américaine hype que des festivaliers étrangers avaient ramenée (rires). Dans une carrière, il y a toujours des étapes, des moments clés. Werchter en fait partie. Pour Arsenal, il y a eu un avant et un après. Cela ne faisait pas longtemps que le festival remettait des groupes belges à l’affiche, et encore, uniquement les plus gros. Nous, on arrivait un peu de nulle part, en ayant pas mal tourné, mais avec un seul album au compteur. C’était une vraie prise de risque. J’étais extrêmement nerveux! Sur scène, je m’occupe notamment de tout ce qui est programmation. Quand le concert a commencé, j’ai lancé le premier son sur l’ordinateur. J’ai juste réussi à faire sortir un gros larsen! Panique! Je me suis dit: « Ok, on est foutus. » Je ne comprenais pas ce qui se passait. J’ai tout éteint, puis rallumé, et heureusement cela a fonctionné. Par la suite, on a appris que les techniciens des Sugababes qui jouaient après nous étaient en fait en train de tester leur micro sans fil au moment où l’on a commencé notre concert… Au final, tout s’est bien passé. Sans se concerter, De Standaard et De Morgen nous ont même désignés comme le meilleur concert du festival! »
Melanie De Biasio (2014)
« Je n’ai jamais mis les pieds à Werchter. J’ai toujours voulu y aller, mais quand j’étais jeune, c’était vraiment trop cher pour moi. Je préférais Dour. C’est donc une grande première pour moi. Puis c’est aussi la première fois qu’un groupe qui vient du jazz se retrouve à l’affiche d’un tel festival. Une pression supplémentaire? Non, pas vraiment. Disons que j’aime transgresser les a priori, casser les codes. Donc ce passage à Werchter est plutôt un cadeau. Après, je vais faire comme d’habitude: m’inspirer du lieu, arranger la setlist en fonction… Que je joue dans la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule (comme lors des dernières Nuits Bota, ndlr) ou sur la plaine d’un festival, cela demande les mêmes vivacité, précision et tension. C’est l’expérience qui est différente. Après j’espère bien pouvoir un peu en profiter. Ado, je rêvais de venir voir Pearl Jam, les Pixies, Soundgarden, Jeff Buckley, des trucs comme ça… Donc cette fois-ci, je compte bien enfiler mes slash et aller voir jouer les autres groupes. »
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