War Room Stories de Breton: sur scène et en coulisses
Roman Rappak, chanteur et leader de Breton, raconte l’évolution du groupe anglais depuis leur dernier album, avant un concert explosif au Botanique.
La Rotonde est comble et le public qui s’y agglutine trépigne, impatient, refusant de céder le moindre centimètre carré gagné à force de bousculades nonchalantes et de bière renversée sur le manteau de la voisine. Other People’s Problem a marqué les esprits, c’est certain. Pourtant, personne ne sait vraiment à quoi s’attendre ce soir, tant le second opus de Breton semble impénétrable. Pas inaccessible, loin de là, mais il y a cette étrange sensation que War Room Stories ne nous livre pas tout, le casque sur les oreilles. Résolument plus dansant, moins sombre. Plus lisse, peut-être aussi. A l’image de son artwork, en fait: un papillon englué, dont le liquide sirupeux et coloré cache la vraie couleur de l’album.
L’anxiogène Got Well Soon, ouvre le set, emplissant la salle de vibrations qui tambourinent contre les cages thoraciques. Pacemaker et l’inoubliable Edward the Confessor suivent, pour le plus grand plaisir des fans de la première heure. Déjà, les pieds remuent, les têtes martèlent et les bras ondulent dans l’air devenu plus moite, avec cette envie « d’en être », de partager quelque chose ce soir. Outre les quelques morceaux d’Other People’s Problem étrennés avec nostalgie mais toujours autant de ferveur, les nouvelles chansons sont balancées avec une énergie et une générosité non feinte. 302 Watchtowers ne ralentit pas la danse, la rend seulement plus langoureuse, avant que Legs & Arms ne prenne le contrôle de la salle. Search Party fait imploser ce qu’il restait de timidité à la foule, qui réagit avec une hystérie à peine contenue, à plein poumons. Des vagues d’endorphines circulent en courants électriques, voyageant de corps à corps à travers des sourires qui en disent long. C’est libérateur comme une arrivée de marathon, une porte qui claque, une grosse marrade. Dire qu’une heure auparavant, on avait osé poser cette question…
J’ai vu Breton pour la première fois ici-même, à la Rotonde. Vous étiez assez timides, presque gênés. Votre relation avec la scène a-t-elle changé depuis?
Roman: Je pense qu’on est définitivement devenu plus… joyeux. On n’était pas nécessairement stressés, sur scène. Il nous fallait juste encore comprendre qui on est – oh mon dieu, ça sonne vraiment « cliché » – et définir l’identité du groupe. Et ça, ça se trouve grâce à l’album, mais aussi grâce aux concerts. C’est bizarre, parce qu’avant de jouer dans un groupe, quand j’écoutais The Cure, Joy Divison ou Talking Heads, je pensais qu’ils savaient exactement comment ils voulaient sonner. Maintenant, je me rends compte qu’aucun groupe n’a une idée précise de ce qu’ils veut être et faire. Ni même quand tu enregistres, ou quand tu sors l’album. C’est une recherche continue, en fait. C’est comme quand tu as 12 ans, tu regardes ceux qui en ont 23 et tu as l’impression qu’ils sont hyper confiants. Tu es vraiment impatient d’avoir leur âge et de tout savoir! Quand tu atteints finalement cet âge-là, tu te rends compte que tout le monde fait semblant. C’est des conneries, personne ne sait rien!
Il y a à peu près un an, vous avez dû quitter votre « Lab », cette banque londonienne désaffectée dans laquelle vous vous étiez installé et aviez enregistré votre premier album.
Tu sais ce qui est bizarre? On avait appris la nouvelle le jour-même de notre dernier concert ici.
Je m’en rappelle. Ca a changé quelque chose pour le groupe, de perdre cet endroit symbolique?
C’est un peu comme toutes les grandes décisions dans le groupe. C’était quelque chose de complètement… chaotique. C’est le résultat d’une chaîne d’événements sur lesquels on n’a eu aucune prise, un peu comme quand on s’est vu offrir les premières opportunités de concerts sans avoir prémédité une tournée. La perte du Lab est arrivée à une période étrange pour nous. Au final, c’était le moment parfait pour que cela se produise. J’avais des idées pour de nouveaux morceaux et on savait qu’on voulait enregistrer vite, parce que c’était là le chapitre suivant du groupe. Et puis on a reçu cet e-mail, avant de faire un concert ici, au Botanique. Ca disait « le Lab va être détruit. Vous avez une semaine pour déménager vos affaires ». Tout à coup, on n’avait même pas le choix de se bouger, d’évoluer, ça avait été décidé pour nous. C’est pour ça qu’on n’aurait jamais pu enregistrer le même album que le premier. Mais au final, le « Lab » c’est quelque chose d’abstrait; ça peut être n’importe où.
Qu’est-ce que représente ce deuxième album?
Le changement, mais c’est aussi le fait d’arrêter de se cacher, d’être agoraphobe, sur la défensive. Au début, on faisait tout, tout seuls. C’était difficile, mais on était indépendants, genre « on emmerde tous les autres ». Et puis tu finis par te bagarrer avec un mec d’une salle à Seattle après un concert, parce que tu n’as pas les moyens de payer quoi que ce soit. Après, l’évolution du groupe s’est faite très lentement, toujours de manière indépendante.
Rejouer à Bruxelles, dans cette petite salle qu’est la Rotonde, ça fait quoi après l’énorme concert d’hier à la Route du Rock?
Ca fait plaisir! C’est agréable de faire partie d’un groupe qui est capable de jouer dans différents genres de salles. J’aime autant faire de grands festivals avec 10.000 personnes que des concerts devant 300 personnes, qui sont super proches de nous. J’aime que ça marche à plusieurs niveaux, plutôt que d’être un artiste prétentieux qui ne veut qu’on écoute sa musique que dans le contexte qu’il a décidé. C’est pas pour ça que la musique est faite.
En parlant de tournées, est-ce que vous avez un album ou un artiste fétiche quand vous voyagez ensemble?
On écoute Mokadem. Elle n’est pas très connue, mais on l’aime beaucoup. Jon Hopkins aussi, il est incroyable. Mais il n’y en a pas beaucoup parce que c’est hyper rare qu’on soit tous d’accord sur des artistes.
Sinon, vous avez une chanson pour sortir du lit et être sûr de passer une bonne journée?
N’importe quel morceau du dernier album de Flying Lotus.
Et un « plaisir coupable » musical?
Je ne sais pas, j’aime bien penser que je ne suis pas honteux d’écouter quelque chose, que je n’ai pas peur qu’on me juge pour ça. Mais je dirais Spandau Ballet. Sinon, Hall & Oates! Ca, ça craint vraiment. Si je voulais impressionner quelqu’un, je ne dirais définitivement pas ce groupe!
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