Victoires de la musique: les 3 leçons à retenir d’une cérémonie ronronnante

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Vendredi soir, pour ses 40 ans, les Victoires de la musique ont célébré le grand retour de la variété, tout au long d’une soirée sans souffle. Décryptage

C’est donc Gims qui, après plus de 3h30 d’émission, aura raflé le dernier trophée de la 40e édition des Victoires de la musique. Au bout de la nuit (et de l’ennui), l’ex-Maître aura remporté le prix de l’artiste masculin de l’année. Une rappeur sacré dans l’une des catégories les plus prisées ? Quelle l’audace ! A moins qu’il ne faille le prendre comme une énième tentative de rattrapage maladroite d’une cérémonie qui – un  peu à l’instar d’Aya Nakamura, sacrée artiste féminine l’an dernier -, célèbre Gims à contretemps. Un rappeur toujours capable de balancer un hit des familles, mais loin de monopoliser l’attention comme ce fut le cas auparavant – et annonçant d’ailleurs hier soir, la voix lasse, son envie d’arrêter les tournées.

De toutes façons, cela fait longtemps que Gims n’est plus vraiment un rappeur. Mais bien un chanteur de variétés. Puisque, vendredi soir, c’est bien cela que les Victoires de la musique ont célébré : le grand retour de la variét’. Une manière de renouer avec ses fondamentaux pour une cérémonie qui ronronne plus que jamais, accrochée à une mécanique qui tourne dans le vide. Si la soirée fut longue, elle fut surtout avare en prestation marquante – Shay autoritaire au milieu de ses danseuses, Lucky Love secouant un peu l’assemblée. Stérile, elle a également livré peu de vrais moments d’émotion. Même Eddy Mitchell, 82 ans, récompensé par une Victoire d’honneur, a dû se forcer, préférant d’ailleurs faire la promo de son dernier album. « Vous pouvez reprendre une activité normale », a-t-il encore glissé avant de repartir avec sa récompense… Message bien reçu.

1. Le retour de la variété

Pour la première fois de son histoire, la cérémonie des Victoires a donc récompensé un gagnant de la Star Ac’ : Pierre Garnier. D’autres artistes issus de télécrochet sont bien passés avant lui – Oliva Ruiz, Julien Doré, Amel Bent. Mais sans avoir remporté l’émission en question (Nouvelle Star et Star Academy). Vendredi soir, un an quasi jour pour jour après être sorti vainqueur du château de Dammarie-les-Lys, Pierre Garnier a donc chopé les deux trophées pour lesquels il était nommé : celui de la Révélation masculine de l’année et de la Chanson originale pour Ceux qu’on était, ballade d’une banalité pourtant proprement terrifiante.

Du côté des femmes, Zaho de Sagazan a continué sur sa lancée en ramenant la Victoire de l’artiste féminine de l’année. Mais c’est bien Santa, nommée dans 4 catégories, qui est repartie avec l’Album de l’année, pour Recommence-moi. Son énergie et son abattage ont fini par payer. Ses mélodies très seventies aussi. En cela, elle correspondait bien à une cérémonie qui, 40 ans oblige ?, s’est largement retournée vers le passé. Celui d’une chanson-variété qui tire encore et toujours sur les mêmes ficelles.

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Certes, les Victoires ont aussi laissé un peu de place pour l’électro – Justice qui regarde, depuis le public, la chorale d’enfants de la Maîtrise de Fontainebleau reprendre un medley de DANCE/Neverender ; ou encore l’hommage à DJ Mehdi. Elles ont également glissé un peu de rap – Shay, le 113, Gims. Mais vendredi soir, personne n’était dupe sur la tournure qu’allait prendre la soirée – même le rappeur Tiakola, l’un des plus gros cartons de 2024 avec sa mixtape BDLM, n’avait pas fait le déplacement (alors qu’il était pourtant nommé deux fois). Recentrée sur ses fondamentaux, la cérémonie a montré une nouvelle fois son incapacité à vraiment se renouveler.        

2. Un nombre de catégories (trop) limité

En se limitant, depuis 2020, à une petite dizaine de trophées, les Victoires ont voulu simplifier. Et apaiser certaines contrariétés d’artistes, coincés dans des catégories parfois maladroites, ou dans lesquelles ils ne se retrouvaient pas toujours. Problème : en voulant résoudre certaines frustrations, les Victoires en ont suscité d’autres. Exit par exemple le rock, définitivement balayé de la cérémonie. A moins évidemment de considérer comme telle la prestation contrariée d’Yseult, chantant en anglais (mais avec un drapeau français dans la poche) au milieu des flammes. Ou d’étirer même encore un peu plus la case, pour y ranger les chansons du dernier album de Clara Luciani – repartie d’ailleurs pour une fois les mains vides, malgré ses trois nominations.

Pour rattraper son manque de diversité, la cérémonie se retrouve aussi obligée de faire rentrer des ronds dans des carrés. Par exemple en récompensant l’excellente série-documentaire consacrée à DJ Mehdi dans la catégorie création audiovisuelle, réservée habituellement au clip. Ou en faisant de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris le « concert de l’année ». Même si là aussi, ce n’était pas tout à fait une première : en 93, la Victoire du spectacle musical avait été décernée aux JO d’hiver d’Albertville…

3. Peu de Victoires, encore moins de messages

Il fut un temps où chaque cérémonie de prix se voyait immanquablement perturbée par un intermittent du spectacle en colère ou un activiste venu agiter ses revendications en direct. Vendredi soir, rien de tout ça. Bien sage, le spectacle n’est jamais vraiment sorti de ses rails. « Le monde brûle », mais le show must go on ?  Pour secouer un peu le ronron, il aura fallu compter sur les jeunes Solann – mettant la lumière sur l’association Utopia56 accueillant les migrants -, Yoa – revendiquant son métissage -, ou Lucky Love – « Make humanity great again », affiché sur les écrans.

A sa manière, l’hommage à feu DJ Mehdi aura également marqué le moment. De père français et de mère tunisienne, le génial producteur a été mis à l’honneur avec un medley mélangeant rap et électro. Le tout sous des lumières bleue, blanc, rouge, qui soulignait tout ce que le métissage Made in France pouvait amener dans un pays en proie à ses réflexes identitaires.  De son côté, Gims a dénoncé mollement, et en ne voulant « surtout pas faire de politique », la guerre au Congo.

Au final, c’est encore Thomas Jolly, le grand manitou des cérémonies d’ouvertures et de clôtures des JO et paralympiques de Paris, qui s’est montré le plus explicite. « Les jeux sont faits, rien ne va plus », a-t-il commencé. Avant d’insister, devant la ministre Rachida Dati, pour que l’on arrête de sacrifier la culture sur l’autel du rendement économique. Et que l’on considère la fameuse « parenthèse » des JO plutôt comme une brèche. Une fissure pour laisser passer la lumière dans une époque particulièrement anxiogène. Qui lui donnera tort ?

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