Tournée générale en festival? Oui, mais dans des verres réutilisables

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Pour la première fois cet été, tous les festivals de Belgique seront obligés de faire couler soft et pintes dans des verres réutilisables. Vraie avancée environnementale ou fausse bonne idée?

Cette fois, plus moyen de reculer. Cet été, les gobelets jetables, même fabriqués en matières recyclables, seront bannis de tous les grands événements à la faveur des verres réutilisables. C’était déjà le cas l’an dernier en Flandre. Depuis le 
1er septembre, l’interdiction est également valable en Wallonie.

Un fameux défi? Du côté du festival Paradise City, c’est la routine. « Depuis notre toute première édition, en 2015, on fonctionne comme ça, explique Gilles De Decker, cofondateur du festival électronique, organisé à Perk, en banlieue de Bruxelles. À la limite, je ne vois plus trop comment faire autrement. » Dès le départ, l’événement a cherché à diminuer au maximum son empreinte écologique -d’ici 2025, il a même prévu de fonctionner entièrement à l’énergie renouvelable. « Lors de notre première édition, on avait acheté notre propre lot de verres en plastique. Mais d’un point de vue organisationnel, c’était assez lourd à gérer. Aujourd’hui, on travaille avec une société spécialisée, qui s’occupe de tout: du transport au lavage, etc. »

L’obligation pour les festivals de n’utiliser que des gobelets recyclables est donc une bonne mesure? « Oui, je pense. C’est une question d’habitude. Après, je peux comprendre que pour certains, ce soit plus difficile à mettre en place. » Cette année, le Paradise City devrait ainsi accueillir jusqu’à 15 000 personnes par jour. Une fameuse progression depuis les 2 500 spectateurs de la première édition. Le festival reste cependant loin des toutes grosses jauges de l’été.

Un pot commun pour les verres réutilisables

Comment la mesure va-t-elle être mise en pratique sur des événements comme le Dour festival, par exemple? Damien Dufrasne, patron de la grand-messe alternative: « On avait deux solutions. Soit on constituait notre propre stock de gobelets réutilisables. Mais compte tenu des délais de nettoyage et de transport, il fallait en produire au moins un million pour ne pas tomber à court durant le festival. En plus, en rajoutant notre logo dessus, on ne pouvait pas les réutiliser pour d’autres événements. Même chose par rapport aux sponsors, avec qui on signe en outre des contrats pour un certain nombre d’années ». Impossible de se débarrasser des verres à chaque changement de partenaires…

« On a donc choisi la seconde option: la mutualisation. On va « piocher » dans un fond qui tourne entre plusieurs gros festivals. » Dont le Graspop, Rock Werchter, le Pukkelpop ou encore Les Ardentes. « De cette manière, les verres ont des chances d’être utilisés au moins 6 à 8 fois, ce qui, d’un point de vue écologique, commence à devenir intéressant. » Du moins si l’on ne se base que sur la production des gobelets. « Parce qu’il faut tenir compte aussi de toute la logistique autour: transport, stockage dans des camions frigo, reconditionnement, etc. » Ce qui amène le boss de Dour à douter que « l’opération en vaille vraiment la peine… » Du côté des Ardentes, Jean-Yves Reumont confirme que le système ne va pas être simple à mettre en place, en tout cas pour les événements de grande ampleur. « On avait déjà tenté l’expérience en 2010, quand Les Ardentes se déroulaient à Coronmeuse. L’affluence n’était pas aussi importante qu’aujourd’hui. Mais c’était déjà compliqué à faire tourner. »

Sujet à caution

Outre le côté logistique, le système implique un système de caution, là aussi pas toujours évident. « Pour celui qui paie la première tournée, par exemple, l’addition peut devenir douloureuse, rigole Jean-Yves Reumont. Soit. C’est un moindre mal. Mais au-delà, le fait de prévoir une caution donne aussi une autre valeur aux verres. Cela demande donc de les « sécuriser » ». Même son de cloche du côté du Paradise City: « Que quelqu’un ramasse un verre par terre et récupère l’euro et demi de garantie, ce n’est pas vraiment un souci. Qu’il se débrouille pour mettre la main sur une centaine de gobelets backstage, ça devient problématique. On a déjà eu le cas… »

En 2023, Tomorrowland avait pu bénéficier d’une dérogation. Le giga-festival électro a refait une demande cette année. « Mais cette fois, la ministre (flamande Zuhal Demir, NDLR) a refusé. Seuls certains événements sportifs organisés par Golazo ont pu bénéficier d’une exception », explique Debby Wilmsen, porte-parole de l’événement. Comment Tomorrowland compte dès lors procéder? « Nous appliquerons le système en backstage, dans les espaces VIP et au (camping) Dreamville. Mais partout ailleurs dans le festival, nous écoulerons le restant de notre stock de 3 millions de gobelets recyclables ». Quitte donc à devoir payer une amende salée…

Les festivaliers de Tomorrowland viennent du monde entier. © BELGA

« Dans l’absolu, nous ne sommes pas contre la mesure. Dans notre édition hivernale de Tomorrowland par exemple, le système fonctionne. Mais on parle d’un événement qui accueille entre 20 et 25 000 personnes… » Contre 70 000 par jour lors de la big fiesta de juillet. Par ailleurs, glisse Debby Wilmsen, Tomorrowland a pris l’habitude de multiplier les contenants: simple pinte, flûte de champagne, longdrink, verre de vin… De quoi complexifier un peu plus la manutention. « Surtout, le jeu en vaut la chandelle si tout le monde ramène son gobelet. Mais l’an dernier, malgré la caution, quelque 18 % des verres ne sont pas revenus. Dans notre public, on compte par exemple pas mal d’Américains ou de Scandinaves pour qui le verre de bière, même augmenté d’une caution, reste moins cher que chez eux… »

Un impact limité?

Debby Wilmsen insiste: il n’est pas question de ne pas s’engager pour réduire l’impact environnemental des festivals –« tous nos emballages alimentaires sont entièrement compostables, par exemple ». Mais l’obligation d’employer des verres réutilisables reste extrêmement compliquée à appliquer pour certains événements XXL.

A fortiori dans un contexte festivalier où les coûts ont augmenté de manière exponentielle. Et pour un bénéfice environnemental limité. Aux Ardentes, Jean-Yves Reumont ne dit pas autre chose. « On est obligé de faire des efforts, c’est normal. On a d’ailleurs lancé une étude l’an dernier, pour établir notre bilan carbone. Avec l’idée d’avoir les données les plus précises possibles pour prendre des mesures concrètes. L’enquête est en train d’être finalisée. Mais il est déjà clair que l’impact des gobelets recyclables est très limité. Marginal même par rapport à la question des transports, qui reste le plus gros défi… »

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