Mulatu Astatke: le dernier concert en Belgique du parrain de l’éthio-jazz

Mulatu Astatke, parrain de l’éthio-jazz, fait ses adieux à la scène. © GETTY
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

A 81 printemps, l’icône et pionnier de l’éthio-jazz Mulatu Astatke s’offre une tournée d’adieu et sort son premier album studio majeur en dix ans.

Avec son sourire malicieux, son regard profond mais fatigué, sa moustache poivre et sel et cette touffe de poils caractéristique qui s’est depuis longtemps plantée entre sa bouche et son menton, Mulatu Astatke n’est pas du genre à passer inaperçu. Cela fait environ 60 ans que le musicien, compositeur et arrangeur éthiopien promène ses guêtres, son vibraphone et ses congas aux quatre coins du monde et dresse des ponts mélomanes entre les musiques africaines et occidentales.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Né le 19 décembre 1943 à Jimma, une des grandes villes qui font vibrer l’ouest de l’Ethiopie, Mulatu Astatke donnera le 21 septembre à l’Ancienne Belgique, salle étape de sa tournée d’adieu, son dernier concert sur le sol belge quelques jours seulement avant de sortir son premier album studio en dix ans. Un disque, Mulatu plays Mulatu, enregistré entre Londres et Addis-Abeba avec son groupe britannique et des résidents de son club de jazz sur lequel il revisite de manière riche et élégante le passé.

L’octogénaire est par beaucoup considéré comme le père ou, tout au moins, le parrain de l’éthio-jazz, irrésistible mélange de musiques traditionnelles éthiopiennes et de jazz moderne. Après de courtes études scientifiques à Birmingham, Mulatu Astatke a étudié la clarinette à Londres au Trinity College Of Music où passa dans les mêmes années un certain Fela Kuti avant de filer aux Etats-Unis et de devenir le premier étudiant africain à intégrer le Berklee College of Music, sur les bancs duquel s’assiéront entre autres Quincy Jones, Phil Collins, Rivers Cuomo (Weezer), Adrianne Lenker (Big Thief) ou encore le cocréateur de… South Park, Trey Parker.

«L’expression éthio-jazz appartient à et relève strictement de Mulatu Astatke, commentait déjà il y a une petite vingtaine d’années Francis Falceto, musicographe et producteur charentais responsable des compilations Ethiopiques. A part ce cas d’espèce, aucun musicien éthiopien, et surtout aucun chanteur, ne revendique une quelconque appartenance au jazz. Pas même le saxophoniste Getatchew Mekurya que l’on a coutume de comparer à Albert Ayler.»

«Elle ne ressemble à aucune des autres musiques d’Afrique, racontait Falceto sur les ondes de RFI au moment de célébrer les 20 ans de la collection. Elle a en commun avec les autres musiques africaines des sections de cuivres très développées et puissantes. Mais elle possède un groove qui ne ressemble pas à la rumba zaïroise, ni à la musique nigériane ou malienne. Ses influences viennent plutôt de la soul, du rock’n’roll, des grands orchestres américains, de la pop anglo-saxonne, de la musique d’après-guerre. Avec naturellement des racines éthiopiennes très profondes.»

Jusqu’aux années 1970, il n’y avait pas d’orchestres privés en Ethiopie.

Buda Musique

Orchestre de la garde impériale, de la police, de l’armée, de la municipalité… Dans les années 1950, 1960 et au début des années 1970, il n’y avait pas d’orchestres privés en Ethiopie. Tout dépendait plus ou moins du gouvernement. Formé aux rigueurs des écoles de musique occidentales et non dans les big bands d’Etat comme le voulait la règle avant le coup d’Etat de 1974 qui a renversé Haïlé Sélassié, Mulatu a notamment rapporté de ses voyages un réel sens du swing et des accents latinos qui se sont à merveille mêlés aux traditions du pays.

Mulatu a collaboré avec quasiment tous ceux qui comptent en Ethiopie mais il est demeuré relativement méconnu au-delà de ses frontières pendant la dictature militaro-parano-stalinienne et a dû patienter pour connaître une véritable consécration internationale. Deux événements ont grandement contribué au succès mondial d’Astatke et des musiques éthiopiennes accordant au pays une place de premier choix sur la cartographie musicale du monde. Avec les compilations de Buda Musique d’abord. En 1997, sous l’impulsion de Francis Falceto, archéologue mélomane et activiste, le label indépendant français a lancé la collection Ethiopiques aujourd’hui riche de 30 volumes et a commencé à mettre en lumière des artistes éthiopiens et érythréens aussi incroyables que Mahmoud Ahmed, Alèmayèhu Eshètè, Tlahoun Gèssèssè et Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou.

Broken Flowers

Le Broken Flowers de Jim Jarmusch a fait le reste. La musique de Mulatu Astatke sert littéralement de fil rouge au road movie dans lequel un célibataire endurci interprété par Bill Murray apprend par une lettre anonyme d’une ancienne conquête avoir un fils de 19 ans parti à sa recherche. Broken Flowers a en fait transformé le musicien controversé d’Addis-Abeba en tête de gondole et parrain de l’exportation de l’ethio-jazz.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

«Il a incontestablement composé des chefs-d’œuvre il y a quarante ans et on ne peut pas lui enlever la paternité de l’éthio-jazz. Mais depuis?» questionnait Falceto il y a une quinzaine d’années dans le quotidien Libération. Il est toujours le seul à jouer du vibraphone! Il n’a rien transmis et il a traversé les régimes en ramassant toutes les commandes officielles. […] Il a aussi beaucoup emprunté sans l’avouer.» 

Fenêtre sur le monde, bourlingueur virtuose de la musique, Mulatu a collaboré avec Duke Ellington et Kamasi Washington. Eté samplé par Nas et Damian Marley, Madlib, le Gaslamp Killer et Four Tet. Il a enregistré et tourné avec les Britanniques d’Heliocentrics, croisés aux côtés de DJ Shadow, les Australiens de Black Jesus Experience ou encore les Américains de Either/Orchestra. «L’éthio-jazz est devenu une musique jouée dans le monde entier. Et la relève est tout autant, si ce n’est plus, intéressante hors d’Ethiopie», se plaît-il d’ailleurs à commenter non sans essayer encore et toujours de valoriser les instruments et les «peuples de la brousse».

Mulatu Astatke, Mulatu Plays Mulatu, distribué par Strut. En concert le 21 septembre à l’Ancienne Belgique (complet).

Pépites éthiopiennes

Getatchew Mekurya

Célèbre pour sa coiffe traditionnelle en crinière de lion et sa tenue en peau de léopard, Getatchew Mekurya a inventé le style «shellele», en déclinant dans une version instrumentale exubérante emmenée par son saxophone fou un chant guerrier séculaire destiné à l’origine à galvaniser les soldats avant le combat ou à célébrer une victoire. Celui qui avait prophétisé le free-jazz sans jamais quitter son pays a, au début du siècle, enregistré et tourné avec les punks anarchistes néerlandais de The Ex. Le Albert Ayler d’Addis-Abeba est mort en avril 2016, à l’âge de 81 ans.

Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou

Fille née en 1923 à Addis-Abeba d’un homme politique haut placé, envoyée dès l’âge de 6 ans en Suisse pour étudier, Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou a appris le piano et le violon grâce à sa fascination pour la musique classique occidentale. Si ses rêves mélomanes ont été empêchés par la guerre, elle fut la première femme à travailler en tant que secrétaire dans un ministère éthiopien et est ensuite devenue religieuse. La vertigineuse pianiste nonne, mæstro du monastère, a enregistré sa musique pour venir en aide aux plus démunis et en a reversé les bénéfices à des associations.

Mahmoud Ahmed

C’est l’histoire d’un gamin des faubourgs populaires devenu un irrésistible crooner et une légende vivante. Cireur de chaussures reconverti en homme à tout faire du club Arizona à Addis-Abeba où il a chanté ses premières chansons dans les années 1960, Mahmoud Ahmed est l’un des plus importants et époustouflants chanteurs éthiopiens. Il s’est fait connaître en Occident grâce à la sortie de son album Erè Mèla Mèla, pièce majeure de la musique africaine et déclencheur de la collection Ethiopiques, sur le label belge Crammed Discs dans les années 1980.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire