The Feather, Home Sweet Home
Maladie, paternité et rédemption imprègnent Room, second solo de Thomas Médard alias The Feather. Auteur d’une plus que convaincante pop autobio, mi-funky, mi-spleen.
« On verra pour le live, normalement on jouera en concert en décembre à l’Atelier 210 à Bruxelles avec d’autres dates aux alentours. Mais sinon, je ne m’en fais pas. » Jeudi 30 avril, une nouvelle fois par téléphone, un artiste belge s’explique, notamment sur les vertus de la patience obligatoire. Au coeur de Room: on y arrive. Le Liégeois d’adoption Thomas Médard possède un pedigree qui passe par l’excellent groupe ardent, Dan San, et une bonne gueule servie d’une généreuse tignasse. Plus largement diffusée à la parution à l’automne 2013 d’Invisible, premier album de The Feather. Projet solo que l’on qualifiait alors de « pop dans la tradition cocoon et harmonies ». Un wallonicana largement opéré en solitaire, tissant des mélodies filandreuses en perpétuel équilibre: le disque est bien reçu, en particulier au Canada où Thomas-la-plume opère quatre tournées. Plus de 100 concerts des deux côtés du Pond, accompagné d’un collectif de six musiciens, dont trois percussionnistes incluant un vibraphoniste. Sur la scène plein air, en début d’une après-midi ensoleillée aux Francos de Spa de 2014, la situation a priori à contre-emploi des humeurs beiges d’ Invisible donne du muscle aux chansons sans en nier les parentés volatiles, celle d’un possible jeune Robert Wyatt liégeois. Sur le second volume sorti fin avril (lire l’encadré), le potentiomètre ne quitte pas complètement les rêves de marée basse, ces chansons en douceurs oniriques, mais le beat prend aussi la direction de quatre titres plus rythmés. Depuis notre rencontre il y a un peu plus de six ans, Thomas a quitté son appart’ bricolé d’Amercoeur, donnant sur l’horizon liégeois, pour les Vennes -« quartier liégeois résidentiel assez cool, pas trop loin du centre ». Logement où a été filmé le récent clip nocturne de Stay up, morceau dansant qui pourrait être un cousin vegan d’Oscar & The Wolf. Changement de paradigme musical? Pas seulement, puisque Thomas est désormais père d’une petite fille de trois ans, partageant aussi sa vie avec la mère de cette dernière. Changement de tutelle biologique? Pas uniquement puisqu’une bonne partie des morceaux de Room trace les conséquences d’une maladie rare et douloureuse.
Disque-éponge
« Bon, c’est naturel pour moi d’en parler parce que la moitié des chansons de Room y est liée. De ce que j’ai pu ressentir en étant malade, une épreuve qui depuis une dizaine d’années distille de terribles maux de tête et des douleurs musculaires. J’ai fait des tonnes d’examens, vu nombre de spécialistes et pendant longtemps, cela a été diagnostiqué comme psychosomatique. Parce que je suis quelqu’un de très anxieux. Alors qu’arrivé à l’approche de la trentaine, mon corps changeait… » Thomas observe son visage enflé, « vieillissant », et est opéré il y a un an et demi, d’un sérieux mal dont la source, au final, est diagnostiquée comme étant l’acromégalie. Tout en parlant de cette maladie particulière -les hormones de croissance explosent, les organes continuent à changer au-delà de l’âge adulte-, Thomas ne veut pas trop s’attarder publiquement sur les détails d’un parcours où le corps perd le contrôle.
Aujourd’hui, Thomas va mieux, les douleurs en partie absorbées dans Room, disque-éponge des sensations nocives. Disque de nouvelles chances de vie d’un jeune homme de 32 ans, toujours sous médication et dans l’obligation de limiter les excès d’alcool ou autres. « Les épreuves que l’on traverse, donnent des phases de création: on peut le vérifier chez moi en regardant comment des moments douloureux sont liés à des pics de création. Le fait d’avoir eu mal à la tête un peu tout le temps m’a amené à devoir en réchapper, et le fait d’aller dans ma pièce à musique une journée m’a fait oublier mes douleurs. Comme quand on fait l’amour ou qu’on prend un bain. » Sans insister sur la sempiternelle métaphore de chansons amniotiques où la douleur serait plongée dans un liquide anesthésiant ses effets, Room guide aussi ces sensations-là. Celles de glisser dans l’interstice du temps réel pour en ressortir soulagé de bienfaits opiacés. Plusieurs titres de l’album ont donc cette apesanteur de papier de riz, plus légère que l’air ambiant. Mais pas seulement puisque Thomas propose aussi une poignée de morceaux groovy. Certes pas à la façon du disco stomp d’Hamilton Bohannon -on le salue, il vient de mourir- mais plutôt via la gestuelle homéopathique d’une électro déhanchée. Soft, feutrée et lunaire, mais au final, engageant néanmoins à bouger. « Le disque s’est vraiment fait en deux phases: avant d’écrire les chansons up tempo comme Stay Up, Sister, Fire Up, Low Days, j’avais fini un album de ballades que j’ai fait écouter à mes proches. Ils l’aimaient beaucoup mais ils m’ont quand même suggéré de sortir de mes habitudes. Et ça a coïncidé avec cette période où je savais que j’étais malade. Du coup, j’ai fait ces morceaux, plus positifs, bouées auxquelles je devais me raccrocher parce que la fatigue était telle que je n’avais qu’une seule envie, me coucher et me reposer… » Room est l’histoire remarquable d’un musicien qui se relève d’un essentiel mortel. Fièrement. Ayant pleinement conscience de ce qu’est l’existence. Et la puissance de la musique, à laquelle il ne sera même pas utile d’en rajouter au rayon superlatifs. Bravo Thomas.
The Feather – « Room »
Distribué par Pias. ****
Sur ce second disque, Thomas Médard collabore avec le producteur liégeois Yannick Lemoine, les français Yann Arnaud et Olivier Marguerit. Cela épaissit les musiques et construit de nouveaux dédales de sentiments. L’album travaille dans la nuance, les interstices infinis de la ballade, l’intimité blessée. Il y a de la lumière dans les moments rythmés (Sister). Aux côtés de moments plus joyeux (Beautiful Lie) , on aime le Feather qui, entre maladie et rédemption, pose des instants funambules (At Sea ou Come First).
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