Témé Tan: « On m’a dit que je faisais une musique de ‘fragile' »
Six ans après un premier album qui l’a amené au bord de l’épuisement, Témé Tan revient avec Quand il est seul. Un nouveau disque multigenre et lumineux, au forfait pop illimité.
Témé Tan le sait bien: la pop a la bougeotte, et l’auditeur la mémoire courte. Au moment de revenir avec le single TNMCP (pour Tu Ne Me Connais Pas), il a donc fait les questions –“Tu te demandes: c’est qui ça déjà?”. Et les réponses: “Je ne mets pas ma vie sur les réseaux/ Mais parfois je passe à la radio”.
Par exemple avec des titres comme Améthys, Ça va pas la tête? ou encore Coups de griffe. Autant de fulgurances pop issues d’un premier album sorti en 2017. Fourmillant d’idées, il zieutait aussi bien la samba brésilienne que la chanson française, autant la rumba congolaise que le hip-hop ricain ou l’électro domestique. Un fameux puzzle qui passait crème grâce notamment à un sens raffiné de la mélodie rassembleuse. À l’époque, le disque avait d’ailleurs connu un joli parcours, le nom de Témé Tan -Tanguy Haesevoets dans le civil- se propageant un peu partout en francophonie, de la France (“un Stromae intimiste”, osait Le Monde) au Québec (Prix Rapsat-Lelièvre). Mais aussi au-delà, tournant intensément. Quitte à frôler la surchauffe? Toujours sur TNMCP, Témé Tan chante: “J’ai vu mon rêve mais ça m’a brûlé”…
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Mais il n’en prend pas tout de suite conscience: “J’ai un côté bon soldat. Si on me dit que ce serait bien de faire ceci ou cela, je m’exécute.” Au printemps 2019, il s’envole pour une tournée de dix dates dans dix villes en Chine: “C’était super, mais intense. On prenait tous les jours l’avion, pour arriver dans le smog. Je voyais ma gueule sur les photos: j’étais gris.” Quelques mois plus tard, invité à Ottawa, il chope une bronchite: “Je crachais du sang.” Il enchaîne avec les festivals d’été au Québec. Et là: “Je me suis rendu compte que je n’atteignais plus les aigus.” Au retour, il consulte. Le docteur détecte un polype sur les cordes vocales. Il est temps d’appuyer sur le bouton pause pour une durée… “indéterminée”. “En un coup, tout s’effondrait…”.
De Montréal à Bamako
Dans la foulée, le Covid débarque et force tout le monde à freiner. “Au moins, cela m’a donné l’occasion de me retaper un peu plus sereinement. Du moins, dans un premier temps…” Puisque très vite, il se remet au boulot, travaille de nouvelles chansons, multiplie les collaborations. Il jette à la poubelle un premier album –“il ressemblait trop au premier”. Puis un deuxième –“beaucoup trop sombre”. Avant d’arriver enfin à Quand il est seul, retour lumineux, dont le premier tour de force est de refléter les doutes de son auteur, sans jamais donner l’impression d’hésiter.
Achevé en solitaire, mais concocté à plusieurs, Quand il est seul témoigne des nombreuses rencontres faites par Témé Tan tout au long de ces dernières années. Notamment au Québec: Pierre Kwenders sur le funk de Pancake, Dominique Fils-Aimé sur Douleur, la chanteuse inuite Elisapie sur O.Y., etc.
Sur Un grand plat de riz, Témé Tan se rappelle également le mois passé au Mali en 2018: “J’avais fait la première partie de la tournée anglaise de Fatoumata Diawara”. Quand celle-ci lui propose de venir jouer à Bamako, il n’hésite pas une seconde: “Pour moi, d’un point de vue musical, c’est un peu la Mecque, avec le Congo et le Brésil. C’est vraiment une culture qui m’a énormément façonné”. Entre saxo highlife et guitare cristalline, Un grand plat de riz cavale, mettant en lumière le décalage entre l’accueil reçu sur place et les portes fermées de l’Europe: “Beaucoup de gens associent encore ma musique à quelque chose d’un peu décalé, voire humoristique. Ils ne comprennent pas, par exemple, qu’un morceau comme celui-làparle d’un sujet hyper sérieux. Même si pour ne pas sonner trop moralisateur, je passe par un souvenir très concret”.
Eloge de la fragilité
Certaines années comptent plus que d’autres. Depuis 2017, la vie de Témé Tan a ainsi été pas mal chamboulée. Après avoir quitté Bruxelles et construit son propre studio, le néo-quadra est devenu papa. Le monde, en général, a pu donner l’impression de tourner un peu plus vite. Quand le premier album de Témé Tan est sorti, #MeToo commençait à se répandre. Et Greta Thunberg n’avait pas encore lancé sa première grève étudiante. Aujourd’hui, Témé Tan lit l’essayiste Mona Chollet (sur Snob) tandis que, sur Douceur, il a du mal à cacher son éco-anxiété –“Je fais comme tout le monde/ J’augmente l’effet de serre”…
Le morceau est aussi l’occasion de revendiquer une certaine fragilité. Une vulnérabilité qui ne passe pas toujours bien: “On a pu me dire, ici et là, que je faisais de la “musique de pédés”, de “hippies”, que je devais être plus dur, que ma seule palette était la douceur, etc. C’est assez symptomatique d’un état d’esprit général.”
Témé Tan tique
Les codes ont beau avoir été bousculés ces dernières années, certaines étiquettes restent difficiles à décoller. Notamment quand on est, comme Tanguy Haesevoets, métisse né (en 1982) à Kinshasa, arrivé en Belgique, dans le Brabant flamand, à l’âge de 6 ans? “Je vois bien que, malgré tout ce qui a pu être dit sur la mixité et les identités multiples, on continue d’enfermer les gens dans des cases. Je me souviens d’un festival où j’étais présenté sous la bannière RDC. Vu l’affiche, ça les arrangeait, c’était plus vendeur.” Même si Tanguy a un nom flamand et le teint ivoire. Il tique: “Un jour, lors d’une soirée au Québec, je croise une programmatrice d’un grand festival qui me dit, toute étonnée:“Ah ben ça alors, je pensais que t’étais Noir!”. Je n’ai pas su quoi lui dire… À quoi suis-je censé ressembler?”
Sur le morceau Sage, Témé Tan tacle encore plus précisément la manière dont l’industrie musicale cherche sans cesse à faire entrer ses artistes dans un moule. Le musicien ne perd pourtant pas espoir. Avec Le Million, il s’amuse à reprendre une rythmique reggaeton pour mieux célébrer le pouvoir rassembleur de la pop -sans pour autant courir derrière les vues. “Au fond, j’avais envie d’un disque qui soit très dansant, qui donne la patate. Tout en creusant la position de l’artiste. En rappelant à la fois l’énergie que cela demande, parfois jusqu’à l’épuisement, mais aussi en la célébrant. Parce que faire ce métier reste une chance énorme.”
Témé Tan, Quand il est seul, distribué par Pias. À Bruxelles (le 23/11, AB) et Liège (le 16/02, Reflektor)… ****
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