Finis les règlements de compte! Sur son deuxième album, le groupe britannique Wet Leg célèbre l’amour sans détour et les biceps de la chanteuse Rhian Teasdale.
Ce n’était pas forcément le plan initial. Au départ, Wet Leg est né d’une conversation alcoolisée lors du festival anglais End of the Road, entre Rhian Teasdale et Hester Chambers, deux amies d’enfance de l’île de Wight. Faire de la musique et s’amuser étaient les seules ambitions. Sauf qu’il y a quatre ans, un premier single post-punk espiègle, Chaise longue, va devenir un tube. Suffisant pour en faire le groupe phénomène de l’année. Suivront une tournée aux Etats-Unis et en Europe, deux Brit Awards, deux Grammy Awards pour leur premier album, ainsi que des premières parties prestigieuses pour les Foo Fighters et Harry Styles. «C’est un pur hasard si nous avons connu un succès aussi rapide, confie Teasdale. Quand nous avons commencé notre groupe, nous ne pensions absolument pas à tout ce que cela impliquerait. Aujourd’hui, avec notre deuxième album, nous ne sommes plus aussi naïves. Nous savons mieux ce que nous voulons ou pas. Et nous pouvons poser certaines exigences.»
Autre évolution: grâce aux tournées, Wet Leg n’est plus seulement un duo, mais un groupe à part entière. Et cela s’entend sur Moisturizer, un nouvel album rempli de morceaux d’indie rock musclé, taillés avant tout pour la scène. Le groupe les a écrits à cinq dans un petit cottage à Southwold, sur la côte britannique. Loin des distractions de Londres, de l’île de Wight et de tout le bruit médiatique qui accompagne un deuxième album après un succès retentissant. Sur le plan thématique, cela a donné naissance à un album qui, de manière surprenante, explore un nouveau territoire: celui de l’amour. Un amour sans retenue, bouleversant, qui donne lieu, dans le morceau Pokemon, à des paroles résolument sirupeuses comme «you taste so sweet like grenadine».
«Si mon partenaire me disait: “Tue quelqu’un”, je le ferais. J’aiderais à dissimuler le cadavre. Sans poser de questions.»
Les hommes n’en prennent pas moins pour leur grade –sur Catch These Fists, Teasdale menace même de ses poings. Mais dans l’ensemble, les règlements de comptes du premier album laissent désormais place à une adoration aveugle. L’explication? «J’ai rencontré quelqu’un! Je suis très, très amoureuse. Je n’avais absolument pas l’intention d’écrire un album aussi gnangnan. En général, j’écris sur ce que je ressens. Et j’imagine que, pendant cette période-là, je me suis sentie débordée d’amour.» Sur le titre d’ouverture CPR, elle chante même être prête «à sauter de la falaise si tu me le demandais»… «Yeah, je tombe très fortement amoureuse. Avec toutes les conséquences que ça implique. Mais quel est l’intérêt de l’amour s’il ne s’agit pas d’un amour désespéré, obsessionnel, du genre qui ruine ta vie? Mon·ma partenaire pourrait me demander à peu près n’importe quoi, je le ferais sans hésiter. It’s creepy.» Comme quoi? «Si cette personne me disait: « Tue quelqu’un », je le ferais. J’aiderais à cacher le cadavre. Sans aucun doute. No questions asked.»
Male gaze
Il y a deux ans, l’ex-petit ami –et ex-membre du groupe– de Teasdale avait accordé une interview au Sunday Times intitulée «My Wet Leg lover gave me the boot –and won’t stop kicking», dans laquelle il revendiquait notamment du crédit pour certaines chansons auxquelles il aurait contribué. Cela avait suscité une petite tempête médiatique et lancé un débat sur la manière dont le succès des femmes est encore trop souvent éclipsé par des hommes qui cherchent à grappiller un peu de lumière. Aujourd’hui, la relation de Teasdale lui semble juste. Elle a rencontré son·sa partenaire –une personne non-binaire– il y a quatre ans, lors d’un festival au Portugal. Ce fut sa première relation queer. Ecrire des chansons d’amour pour une personne queer est différent, explique-t-elle, que de le faire pour des hommes. «Les grandes chansons d’amour de femmes pour des hommes ne sont pas très émancipatrices. Prenons Jolene de Dolly Parton. « I’m begging of you, please don’t take my man« , chante-t-elle, comme si c’était la femme l’antagoniste dans l’histoire.»
Sur la pochette de l’album, Teasdale s’affranchit ainsi clairement du male gaze. Elle y pose accroupie, avec des ongles démesurément longs et un sourire maniaque. Lors du récent passage du groupe chez Jimmy Fallon pour jouer Catch These Fists, elle est également montée sur scène en montrant ses biceps –une image féminine longtemps jugée peu attirante, mais devenue plus courante grâce à un film comme Love Lies Bleeding. «J’adore ce film! Ce n’était pas une décision consciente de faire quelque chose d’empowering. A la base, j’ai commencé la muscu pour ma santé mentale. Aujourd’hui, c’est vrai que je suis plutôt musclée, mais je ne fais rien d’extraordinaire: je m’entraîne deux à trois fois par semaine et je surveille mes apports en protéines, c’est tout. Mais oui, l’idéal de beauté joue un rôle. Être musclée en tant que femme intimide encore beaucoup de gens, hommes comme femmes. C’était intéressant de voir la réaction du public –qui n’était pas notre public habituel. Apparemment, mes muscles et mes aisselles poilues ont un certain effet dissuasif. C’est assez drôle de voir à quel point les gens peuvent avoir peur quand tu remets en cause le statu quo avec quelque chose d’aussi simple et inoffensif que des biceps.»
Le 2 novembre à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles.
ROCK
Wet Leg: Moisturizer
Distribué par Domino/V2.
La cote de Focus: 3/5
Catapultées sur le devant de la scène rock britannique avec un des hits les plus imparables de ces dernières années (Chaise longue), un disque tout aussi efficace (Wet Leg), beaucoup d’humour et pas mal d’insolence, Rhian Teasdale et Hester Chambers montrent leurs muscles au sens propre comme au figuré sur un deuxième album un peu décevant. Composé de chansons d’amour mais aussi inspiré par les hommes minables croisés sur leur route, Moisturizer doit son salut à un premier single addictif (Catch These Fists), à un titre d’ouverture percutant (CPR) et à l’entraînant Pond Song avec son final sautillant. Il n’en laisse pas moins sur sa faim quand il ralentit le tempo (Davina McCall, 11:21), embrasse davantage la pop que le rock (Pokemon) et tente le refrain à la Arcade Fire (U and Me at Home). Fun mais inégal.
J.B.