Sous la plage de Live Is Live, les guitares
A Zeebruges, le nouveau festival Live Is Live a réussi son pari en rameutant la grande foule, avec une première journée rock indé imparable
Comme chaque port, Zeebruges a de vagues airs de bout du monde. Ici, c’est déjà un peu ailleurs. Il y le village de pêcheurs, sa marina, et puis surtout le ballet incessant de camions qui viennent larguer leurs containers (2,5 millions par an). De l’autre côté de l’entité, reste encore une petite place pour une plage de sable fin et une digue riquiqui. C’est ici que s’est posé le tout nouveau Live Is Live, festival à trois têtes – rock le vendredi, orienté vers le public néerlandophone le samedi, et plutôt pop le dimanche.
Pour son baptême du feu, le festival a pu compter sur une météo caliente. Et, surtout, une affiche rock alternatif particulièrement relevée. Sur le coup de 18h, « à l’heure de l’apéro », souligne Tom Barman, c’est dEUS qui est venu ainsi donner de ses nouvelles. Et il en a quelques-unes à communiquer. D’abord, comme annoncé il y a quelques jours, Mauro Pawlowski confirme son retour officiel dans le groupe. Ensuite, dix ans ( !) après Following Sea, les divins Anversois devraient sortir un nouveau single en septembre prochain – avant l’album, début 2023. Le début d’une nouvelle ère, promet Barman. D’ici là, comme lors des étés précédents, le groupe s’est prévu quelques dates estivales, histoire de ne pas se faire tout à fait oublier, et, surtout, de mettre un peu d’huile dans les rouages. A Zeebruges, cela donne Quatre mains en ouverture, suivi de Constant Now : après 30 ans d’existence, dEUS porte toujours beau, et même quand il tangue (Sun Ra), il parvient à garder le cap. Faut dire qu’il a quelques classiques à défendre. « In any old creek, with changing technique, you’ll see me playing », chante Barman sur l’intouchable Instant Street. De fait, on voit arriver dEUS de loin, roublard – la charge finale The Architect, Bad Timing, Suds & Soda. Pour autant, les cinq d’Anvers restent une formidable machine scénique, capable de percuter comme de jouer sur les nuances – Smokers Reflect à l’heure où le soleil commence à calmer ses coups. « Quel endroit magnifique ! », s’enthousiasme même Barman under a sea, ou plutôt face à la mer.
En réalité, dEUS avait déjà joué sur le même sable de Zeebruges. C’était en 1999. Le festival s’appelait alors l’Axion Beach. Et, en se baladant dans la foule, on devine qu’une bonne partie du public a dû également y mettre les pieds à l’époque. Ce public a aujourd’hui 40 ans, aime toujours la musique. Il n’a plus forcément envie de se taper une frites-pain saucisse – cela tombe bien, en collaboration avec le Best Kept Secret hollandais, Live Is Live a prévu un food truck festival -, mais est toujours prêt à une trop longue file – il ne faudrait pas perdre toutes ses sensations de jeunesse… En attendant, pas un seul millenial en vue. De fait, à moins de se retrouver au générique d’une série Netflix, ce n’est pas Wilco qui allait les rameuter.
Statiques et pas franchement causant, Jeff Tweedy et ses potes ne sont jamais « spectaculaires ». Ils n’en ont pas besoin, leur musique l’est à leur place. Une orfèvrerie americana longue en bouche, qui sait parfaitement gérer ses débordements, comme ils l’ont à nouveau démontré à Zeebruges. Au soleil couchant, avec une paire de mouettes venues survoler la scène, la mélancolie folk d’un titre comme Love Is Everywhere fait évidemment son petit effet. Mais c’est quand le groupe cesse de filer la BO idéale et détendue d’une soirée à siroter une bière sur le sable sous des airs de country, qu’il embarque vraiment. At Least That’s What You Said, par exemple, fait des étincelles. Autre « oldie », Via Chicago garde le cap, malgré le dynamitage en règle de la batterie de Glenn Kotche. Il y a trois semaines, les Américains sortait Cruel Country, douzième (double) album épatant (https://focus.levif.be/musique/avec-cruel-country-wilco-dresse-un-etat-des-lieux-des-etats-unis/). Sur le morceau Bird Without a Tail / Base of My Skull, par exemple, les guitares de Nels Cline et Pat Sansone se lancent dans un dialogue brillant, prenant des dimensions épiques. De quoi filer le grand frisson.
« Wilco fait partie de nos héros, c’est un honneur de jouer après eux », annonce Matt Berninger. A charge en effet de The National d’enchaîner et même clôturer cette première journée de Live Is Live, pour son seul passage Benelux de sa tournée d’été. L’histoire d’amour entre le groupe américain et le public belge est connue. Sans enjeu crucial – le dernier album, I Am Easy To Find, date de 2019 -, le « date » du soir a toutefois davantage joué sur la tendresse des retrouvailles que sur la passion dévorante.
Faut dire qu’à la base, The National est déjà un drôle d’animal – le plus « anglais » des groupes indie américains, marmonnant ses tourments existentiels dans une musique tourbeuse – et son leader, un showman contrarié. A Zeebruges, ce dernier paraît particulièrement concentré. Berninger n’est jamais à l’abri d’un accroc (quand il hésite à démarrer Slow Show). Mais plus que jamais, entre classiques maison (Day I Die, Pink Rabbits) et inédits, The National avance en bloc, entre guitares inflammables et cuivres triomphants. Moins flamboyant peut-être qu’à de précédentes occasions, mais toujours capable de remuer les palpitants (England). Le parfait headliner pour un nouveau festival qui a parfaitement réussi son entrée.
Laurent Hoebrechts
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