Souffrance, rappeur : “Ma musique est intègre, dure, parfois extrémiste. Mais je ne veux pas non plus lui mettre de barrières”

Souffrance,
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Plus enragé qu’engagé, le Parisien Souffrance rappe le blues des galériens, avec un sens de la rime vacharde qui fait mouche. Exemple avec son dernier album, Hiver Automne, nouveau tour de force sur lequel apparaissent aussi bien Soprano que Chilly Gonzales.

Au fond, comment définir le rap? Après une décennie de mutations en tous genres –au cours de laquelle il a été trap, pop, drill, afro, etc.–, bien malin serait celui capable d’en préciser les contours complets et définitifs. Depuis quelques années, cependant, certains ont décidé non pas de revenir en arrière, mais bien de revenir aux sources.

Prenez Souffrance, par exemple. Biberonné aux sorties hardcore des années 1990-2000, il a réussi à raviver la flamme d’un rap intègre (on n’a pas dit intégriste). Comment? En combinant la forme –à coup de rimes crues et de sentences vachardes (mais jamais gratuites)–, et le fond –­r­acontant la vie de galérien (mais sans glisser dans le misérabilisme). ­Derrière le blaze du rappeur, il faut donc entendre d’abord le jeu de mot: sous-France. Celle des quartiers délaissés où Sofiane Meridja, de son vrai nom, a grandi –du côté de Montreuil, en banlieue parisienne.

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En mars dernier, il sortait Hiver Automne, nouvelle collection de morceaux ombrageux, écrits à fleur de bitume, zonant entre le kebab et la zone de deal. «J’ai des textes dérangeants/Ma musique, elle est pas faite pour les enfants», assume-t-il sur Meilleur (en duo avec le ­Bruxellois Isha). Dans les classements de ventes, ­Souffrance n’est donc pas celui qui va chatouiller les têtes d’affiche du moment. Depuis quelques années, il n’a cependant cessé d’élargir son audience et sa notoriété.

Souffrance insoumis

Il était temps. En 2021, quand il sort son tout premier album, Souffrance a déjà 35 ans. Quelques années ­auparavant, il a même pensé raccrocher le micro. «Je faisais du rap un peu en dilettante. Je n’y croyais pas vraiment. C’était aussi une époque où le streaming n’était pas encore arrivé. Tout le monde téléchargeait, c’était compliqué d’imaginer vivre de la musique.» A l’époque, il laisse tomber les combines pour reprendre des études et bosser comme comptable. Avant d’être rattrapé par sa passion.

Membre du collectif L’uZine, il turbine, s’accroche, ronge son frein pendant la pandémie et finit par sortir Tranche de vie. «Je savais que c’était un peu ma dernière chance. Je m’accrochais à l’exemple de Kaaris, qui a aussi percé tard (NDLR: il a déjà 33 ans quand il sort son classique Or noir). Je voulais surtout ne pas avoir de regrets. Donc j’ai arrêté d’esquiver et je me suis donné les moyens.» Toujours sans garantie. Dix jours avant la sortie de Tranche de vie, il retrouve du travail. «Je me disais que j’avais au moins été au bout du processus, et que j’avais pu accomplir quelque chose dans cette passion que je traîne depuis que je suis tout petit…»

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Avec Tranche de vie, les étoiles vont heureusement enfin s’aligner. Souffrance apparaît sur le Classico organisé par la superstar Jul, puis enchaîne, coup sur coup, Tour de magie (2022) et l’époustouflant Eau de source (2023). Il enfonce aujourd’hui le clou avec Hiver Automne. Désormais mieux identifié, mais toujours en pétard. «Bienvenue tout en dessous», annonce-t-il sur King Size, ajoutant, narquois: «Les flics me collent au mur/je suis un Banksy.» «Depuis mon premier texte, à 8 ans, j’ai toujours su ce que je voulais raconter. En gros, je parle de ma vie, mon origine sociale, ma famille, mes amis, ou des sujets d’actualité qui me marquent.»

Comme par exemple la question de la montée de l’extrême droite ou la situation en Palestine. «Je viens de l’époque « Touche pas à mon pote », puis « Black Blanc Beur ». J’ai aussi vu comment le 11-Septembre a complètement changé la physionomie du monde. Donc, oui, la politique m’a toujours intéressé. De toute façon, tout l’est. Surtout aujourd’hui. Evoquer la Palestine est politique. Mais ne pas le faire aussi. Est-ce qu’en parler dans ma musique va changer quoi que ce soit? Probablement pas. Mais au moins, cela permet que le problème ne soit pas complètement invisibilisé ou rangé sous le tapis.»

Rappeur toréador

Désenchanté, Souffrance constate donc, par exemple, qu’«à la télé, ils parlent comme le moustachu dans les années 1930». Dans Métro, sur Eau de source, il décrit encore: «Je suis dans le métro et dans la rame, ça pue/Y a un crackman qui demande des thunes.» Et de se demander si, en décrivant cette scène, «merde, je vais encore donner des voix au RN». Se pose-t-il vraiment la question? «Franchement, j’en ai rien à foutre. De toute manière, ils auront des voix, avec ou sans moi. J’aurai beau raconter la réalité, ils pourront toujours l’utiliser à mauvais escient, pour alimenter leurs discours. Ce qui ne veut pas dire que je ne fais pas attention à ce que j’écris. Cela peut arriver que je fasse sauter certaines phases par exemple, parce que je ne suis pas certain qu’elles seront bien comprises. Pour autant, j’essaie en général de ne pas trop intellectualiser. C’est important que ça vienne avant tout des tripes.»

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Aussi affable dans la vie que teigneux dans ses textes, ­Souffrance est donc ce rappeur-toréador, plus enragé qu’engagé. Un interprète hargneux qui «n’aime pas les fêtes» et préfère les saisons froides. «Je n’aime pas trop le soleil, la chaleur, c’est vrai. L’été, par exemple, me touche moins que l’hiver et l’automne. C’est un peu une saison de m’as-tu-vu, là où l’hiver et l’automne sont des périodes plus introspectives.» Pour autant, Souffrance ne fonctionne pas en autarcie, isolé dans son coin, borné dans un boom bap vintage. Au contraire, il n’a cessé ces derniers temps d’élargir son spectre musical –le mini-EP électro Elephant, sorti l’an dernier– et de rassembler du monde autour de lui.

Après le vétéran Oxmo Puccino ou la tête d’affiche Vald, il a par exemple invité Soprano, le rappeur des familles (retrouvant ses anciennes sensations sur Compte double). Ou encore le pianiste Chilly Gonzales. «C’est lui qui m’a contacté. J’ai rencontré quelqu’un qui connaissait vraiment le rap et le respectait. J’ai senti qu’il était sincère. De toutes façons, je n’ai pas assez de succès pour attirer des gens qui ne le sont pas…» N’a-t-il pas eu peur malgré tout de brouiller son message? «Ma musique est intègre, dure, parfois peut-être extrémiste. Mais je ne veux pas non plus lui mettre de barrières. Pourquoi fermer la porte? On nous en a tellement claqué à la figure. Ce n’est pas moi qui vais maintenant la fermer aux autres, si?»

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