Samedi encombré à Esperanzah!
Journée sold-out où la sublime musique de Blick Bassy a entre autres côtoyé la punky fanfare des Ogres de Barback, la Brésilienne solo Dom La Nena et un mojito faiblard.
Floreffe, ses 8.114 âmes, ses trois éditions des années septante du folkeux Temps des cerises et son actuel Esperanzah! installé depuis 2002 dans une abbaye des XVIIe-XVIIIe siècles perchée sur un promontoire. L’accès en est escarpé: une centaine de mètres pour accéder à la première scène Alpha, trois fois plus pour atteindre l’agora principale, le Jardin. L’engagement durable du festival débute aux chiottes sèches par une jeune fille qui vous tend une feuille -deux si on insiste- de papier présumé recyclé. Une distributrice humaine d’essuie-cul: merci d’ainsi contribuer à l’emploi wallon. Autres engagements: les affichages un peu partout du SACHA, la Safe Attitude Contre le Harcèlement et les Agressions en Milieu Festif. Sur l’une de leurs toiles revendicatives, il est écrit « Je suis venu à Esperanzah! pour l’affiche. Pas pour me faire traiter de biche. » Une (?) anonyme a clashé le truc d’un « J’adore mon vagin ». Pas sûr, d’après nos connaissances anatomiques, que l’un empêche l’autre. Côté bar, on s’arme d’un mojito à 8 euros -dont un de garantie pour gobelet recyclable- totalement insipide. On soupçonne la main mise du lobbying des glaçons -ne pas accélérer la fonte des banquises- et donc l’éviction malheureuse de celui des alcools.
Les questions se dissipent dès que Blick Bassy installe sa musique sur la scène principale, celle prénommée Jardin. Ce Camerounais quadra a libéré l’un des albums de l’année –1958– et fera l’objet d’un portrait dans le Focus papier du 22 août. Ses atours africains convoquent d’emblée une magie mélancolique comme on rappelle d’incertaine manière, les fantômes douloureux du passé. Les siens sont portés par une voix magique, tellurique, sensible jusqu’à l’émanation accomplie de syllabes caressantes de sa langue, le bassa. L’équivalent d’un Sam Cooke afro revenu hanté par les migrations actuelles de noyés méditerranéens et de notions d’indépendance autant morale qu’économique. Accompagné d’un violoncelliste et de deux cuivres-claviéristes, ce fils d’une personnalité camerounaise politique d’importance possède une voix aux qualités crayeuses de spleen ultime. Ses chansons sont politiques, aucun doute là-dessus, et elles interrogent le sort actuel du Cameroun et plus largement de la (dé)colonisation ouest-africaine. C’est aussi tranché que superbe, écrit bien au-delà de l’implication historique. Et implique donc de revoir cette beauté-là à Bruxelles dans l’obscurité d’une salle de concert, plutôt qu’au grand air.
Qui est davantage la place naturelle des Ogres de Barback: les Français festifs bourrent l’espace devant la scène principale jusqu’à la gueule. Groupe à festival par excellence, voilà des gens combatifs pour toutes les actuelles causes sensées -quand on les entend en interview- mais leur musique s’avère moins efficace que leurs intentions. Une mesure balkanique, du ska, un peu de patampoum punky-funky: le résultat est banalement dansant. L’équivalent du groupe de bal pour bobas -mix réaliste de babas et de bobos- là pour prendre du bon temps et le bonus de se faire aimer en artistes engagés. Alors que l’on sait bien que l’enfer est pavé de trop nombreuses bonnes intentions. Gros succès néanmoins qui a comme conséquence un après-concert totalement congestionné lorsque le public se dirige vers la scène Alpha dans la descente de l’abbaye. L’organisation annonce le sold-out et la présence de 13.000 festivaliers. C’est visiblement trop. Là, on me souffle que les vieilles pierres de Floreffe seraient fatiguées de tout cela et qu’Esperanzah! devra peut-être déménager dès l’année prochaine. Peut-être aussi l’occasion de réorganiser un site à étages, aujourd’hui un peu vieillot et à l’étroit entre ses vénérables bâtiments. Et rayon toilettes, pas au top avec son unique lave-mains composé d’un tuyau d’arrosage… Un crowdfunding pour offrir du savon et des serviettes?
Mais Esperanzah!, c’est aussi les traditionnels Brésiliens itinérants: ceux de Floreffe font de la capoeira avec leurs camarades belges entre deux concerts. Dont celui de la compatriote Dom La Nena, proche de Camille qui a entre autres collaboré avec Daho ou Birkin, amenant son violoncelle traficoté dans leurs disques ou tournées. À l’instrument à cordes, cette native de Porto Alegre de trente ans, installée en France, rajoute une voix qui passe par différents échos et loopers. La musique devenant un principe labyrinthique et multilingue, offrant des chansons autant composées que décomposées. Avec selon son auteure, l’intention de donner du felicidade, la version saudade c’est-à-dire lusophone, de quelque chose se rapprochant du bonheur…
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