Sur son deuxième EP, le Français Sam Sauvage se révèle, enfilant le costume d’un dandy attachant, entre pop eighties et chanson gentiment ironique.
Voix profonde, tignasse abondante et sourire de dandy ironique: si Sam Sauvage est passé dans votre champ de vision –ce qui est fort probable, vu l’emballement du moment–, vous n’avez sans doute pas pu le rater. A 25 ans, le jeune chanteur vient de sortir un deuxième EP éponyme. Un peu pop, un peu chanson française. Avec également des accents new wave prononcés. Comme sur le morceau La Fin du monde, à la manière d’un Lescop juvénile. Ou sur le single-locomotive Les Gens qui dansent (j’adore), avec son riff de synthé eighties. «Quand j’ai commencé à faire le tour des labels avec mes chansons, les gens me parlaient en effet beaucoup des années 1980. On me disait que j’avais dû certainement beaucoup écouter les Talking Heads, et un tas d’autres références dont, en toute honnêteté, je n’avais jamais entendu parler. (rires)» Comment alors expliquer ces sonorités vintage? «J’ai deux théories. La première tient à la musique que ma mère passait dans la voiture, quand j’étais gamin. L’autre est plus prosaïque, et sans doute plus juste. En résumé, je ne suis pas très à l’aise avec mes compositions de batterie, c’est souvent hyperbasique: un kick, un charley et une snare sur une boîte à rythme élémentaire. C’est un peu la même chose pour les basses. Ce qui peut faire penser à la new wave, mais ça n’a jamais été mon intention de départ.»
C’est clair, ne comptez pas sur Sam Sauvage pour se monter du col, ou jouer le néo-novö punk que manifestement, malgré son veston-cravate, il n’est pas. Raccord à sa génération, le vingtenaire sait comment dessiner les contours d’une image, mais sans forcément se sentir obligé de rabâcher des vieux mythes écornés. «Sam Sauvage, c’est moi, mais dans une version augmentée. Je porte un costard. Et j’en fais un peu plus parce qu’il faut bien se faire voir. Mais pas beaucoup plus.»
La dégaine Dylan
Dans sa version «entrée de gamme», Sam Sauvage se nomme Hugo Brebion. Il ne grandit pas à Paris ou Londres, mais à Condette, du côté de Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais. La légende –et sa bio officielle– veut qu’il ait eu une épiphanie, à 14 ans, en tombant un jour sur une vidéo de Bob Dylan, chantant Mr. Tambourine Man au festival de Newport. Ce qui est vrai. «Mais ce qui est marrant, c’est que ce n’est pas tant le morceau qui m’a frappé, mais la dégaine de Dylan. J’apprendrai à aimer sa musique par la suite. Mais ce qui me fascine en premier, c’est de voir ce mec arriver sur scène sans payer de mine, pas spécialement beau, chantant avec une voix pas particulièrement belle. Et malgré tout réussir à captiver son audience. Pour moi qui, au collège, souffrais beaucoup de mon apparence, c’était très interpellant.»
Sam Sauvage ressort alors la vieille guitare reçue à ses 6 ans –«Ma mère m’avait même payé des cours. Le prof n’était pas cher. Mais il n’était pas bon non plus, j’ai vite arrêté.» Il se rattrape sur des tutos YouTube, commence à gratter ses premiers morceaux, demande même à sa mère de la déposer en ville pour les tester en rue. C’est comme ça qu’il se fait par exemple repérer par un programmateur, qui réussit à lui fourguer une première partie: à 18 ans, Sam Sauvage joue devant 2.500 personnes au château d’Hardelot, juste avant l’icône synth-pop anglaise Jimmy Somerville. «C’était l’une de mes premières vraies scènes. C’est surtout à ce moment-là que je me suis dit: OK, si je ne me suis pas écroulé devant autant de monde, et que j’ai même complètement kiffé ça, c’est peut-être qu’il y a un truc à faire.»
EP zéro
Sam Sauvage se retrouve ainsi embrigadé dans son premier groupe rock –«Mais mes chansons ne l’étaient pas assez aux yeux des autres membres, ils ont fini par me virer et faire du metal (rires).» Parti étudier à Lille (un cursus en industries culturelles), il forme également un duo avec son amie Yasmine Leroux, Mascaraa, qui se crashe au moment du Covid –«On a décidé de se confiner ensemble pour écrire un album. Mauvaise idée!» Malgré tout, Sam Sauvage s’accroche. «J’ai énormément de défauts, mais j’ai fini par comprendre que je pouvais quand même faire preuve d’une volonté féroce. Je me levais tous les matins en me disant: j’ai rien, mais je vais quand même réussir à avoir plus qu’hier. » Suivant en cela l’adage «qui veut, peut », tiré non pas d’un post motivationnel sur Instagram, mais bien de son grand-père. «C’est le genre de phrase qu’il répétait tout le temps. A force, ça a fini par rentrer.»
Sur son tout premier EP, Sam Sauvage lui rend d’ailleurs hommage. Publié en 2023, le projet n’est encore qu’une ébauche. Il s’intitule Prémices. «Ce n’était évidemment pas innocent. Je n’étais pas encore sûr d’où je voulais aller. C’était vraiment une sorte d’EP zéro, la sortie la moins confiante du monde, en mode « si c’est bien, vous me le dites? » (rires) Je sais que ma maison de disques n’aimerait pas que je dise ça, mais On est là, c’est du Stromae acoustique. Si vous écoutez La Ville, vous entendrez Clara Luciani. Même une chanson aussi personnelle que Mon grand-père à moi est très référencée, en mode Biolay. Il m’a fallu du temps pour trouver un ton qui me représente vraiment.»
Alter ego
Avec son nouvel EP, Sam Sauvage croit l’avoir enfin cerné. «J’ai l’impression qu’il me ressemble vraiment. Je pense avoir trouvé ma façon d’écrire et mon regard sur le monde.» Ce qui passe par une chanson French pop malicieuse au romantisme nocturne (Ali roule de nuit), désenchanté mais pas désespéré (La Fin du monde). Et aussi la création d’un alter ego, dont les accents maniérés n’empêchent pas la sincérité.
Dans Pas bourré, par exemple, Sam Sauvage chante: «Tout se joue dans l’attitude», comme pour se justifier. «Je sais que certains se disent que ce n’est pas naturel, pensent même éventuellement que je suis un produit marketing. Libre à eux. Personnellement, j’ai toujours été fasciné par ces gens qui pourraient faire croire qu’ils sont avocats ou boulangers, rien que par leur façon de parler, de se comporter. Tout le monde en joue jusqu’à un certain point. Quand vous tentez de séduire quelqu’un, c’est pareil. Donc oui, tout se joue dans l’attitude. Moi, du moins, elle m’a sauvé. A nouveau, au collège, je ne m’aimais pas, j’étais mal dans ma peau. Développer une certaine verve orale, m’habiller d’une certaine manière, c’était un peu ma seule porte de sortie pour exister, sans pour autant me trahir.»
Sam Sauvage, Sam Sauvage, distribué par Cinq7/Wagram.
Le 2 août au Ronquières festival, le 27 novembre à la Ferme du Biéreau, à Louvain-la-Neuve, et le 28 novembre à la Maison de la Culture de Tournai.