Rififi sur Konono n°1
Panne de visas, concert annulé, hôtel raciste, avion manqué, printemps glacial, manager au bord de la crise de nerfs, et puis nouvel album de grande musique tradi-moderne et scènes de transes à Bruxelles et Anvers. La routine des Congolais de Konono n°1 au pays de Tintin.
Lundi 26 avril. La veille du vernissage de l’album de Konono n°1 à Bruxelles, coup de fil de Crammed Discs: « Il y a un petit problème de visa, Konono n’a pas pu prendre l’avion, donc on ne sait pas quand ils vont pouvoir venir. » On appelle Michel Winter, manager du groupe. « Cela concerne les visas anglais: les Congolais doivent faire une demande à Nairobi et la règle est que cela prend 10 jours. Mais cela prend désormais 3 semaines (…). Au mieux, ils partiront ce soir. Ces histoires de visas sont toujours liées aux problèmes globaux de migration. » Coincéà Molenbeek, Winter en a vu d’autres, notamment avec les loustics du Taraf de Haïdouks, mais là, il n’a plus qu’une solution: jouer au grand sachem téléphonique.
Mauvais souvenirs: Konono programméà Couleur Café 2008 a d’abord couru plusieurs semaines pour obtenir des passeports auprès du gouvernement congolais qui ne les fabriquait plus… Le groupe, mondialement reconnu -il a joué au Radio City Music Hall new-yorkais avec Björk- n’a finalement pas obtenu les visas parce que Schengen ne fait pas toujours de différences bienveillantes entre des musiciens professionnels et des apprentis clandestins. La tournée européenne 2008 est annulée et Michel Winter boit une tasse financière. Finalement, les fameux visas anglais 2010 arrivent à Kin. Winter: «
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Après cela, Konono devait encore demander l’autorisation de sortie de la République démocratique du Congo dans 3 administrations différentes, dans une ville tentaculaire paralysée par une circulation démente. Ils sont arrivés à l’aéroport de Kinshasa une heure avant le décollage, mais Brussels Airlines a refusé de les embarquer ». Résultat, Winter doit racheter 7 billets d’avion pour le lendemain soir, le premier concert à Genk est annulé.
Village natal portable
Bruxelles, molle et déserte, accueille Konono au KVS. Aharon Matondo, le seul à vraiment se débrouiller en français, nous introduit auprès du nouveau chef de formation, Augustin, fils de Mingiedi, fondateur et âme historique de Konono. Le pater est restéà Kin, trop vieux pour les longs déplacements. Michel Winter: « Je craignais que ce soit compliqué mais quand j’ai expliquéà Mingiedi qu’il continuerait à toucher son salaire en restant au Congo, cela s’est très bien passé.
» Vincent Kenis, producteur des disques kononesques, explique l’importance de Mingiedi: « Pour moi, il est une sorte de Les Paul africain, sans évidemment jamais avoir entendu parler de l’Américain: dès 1963, il a démonté un micro électrique et l’a reconstitué sur un likembe (caisse de résonance à laquelle sont attachées des lames de métal), utilisant un bois plein, donc qui donne plus de puissance au son. Le père de Mingiedi était chef d’orchestre et utilisait 7 trompes d’éléphants avec une ou deux notes chacune. Mingiedi a reconstitué ce battement avec le likembe, qui est devenu une sorte de village natal portable. » Un Konono touche 150 euros par concert: vu les coûts de voyage et les risques logistiques -Winter a également investi dans un maquis/lieu de répétition à Kin-, cette somme frugale n’est pas forcément un hold-up managérial. Et puis, en RDC, le salaire mensuel est plutôt de 50 dollars… par mois, ce qui donne une idée du privilège financier de pouvoir s’exporter. Les 6 Konono actuels et Aharon sont des Bazombos, ethnie originaire du sud-ouest de la RDC, près de la frontière angolaise. La fatigue et les péripéties du voyage, le froid du printemps belge, renforcent encore leur mutisme naturel. Ils parlent peu, semblent affreusement timides, mais, telle une confédération de Cendrillons chocolats, se transforment spectaculairement sur le coup d’avant minuit à leur entrée en scène.
Croupe d’avance
Dans la nuit du 1er mai, les spectateurs du KVS -500 personnes à vue de nez- ont fini de transpirer sur les coups de rein de Konono. Au premier rang, la triplette des quadras: Pauline, boucles Harlem 1960 et boubou bleuté, se contorsionne sans compter alors que ses 2 voisins mâles assument aux likembes un merveilleux boucan électrique et groovy. Derrière se tiennent les jeunes, 2 percussionnistes aux mains cuivrées par le tempo, et le fils d’Augustin, likembiste, qui a une croupe d’avance sur papa. La transe est dans la maison.
Cafards import
Mercredi 5 mai. Email de Winter qui explique un petit souci d’intendance. Les Konono sont priés de plier bagages de l’hôtel bruxellois qui les loge, parce que, selon un employé du lieu, « ils auraient emmené des cafards avec eux ». Winter vitupère, brandit la « discrimination raciale », menace d’un procès et d’alerter la presse. Quoi qu’il en soit, il assure qu’il se présentera à l’hôtel avec les Konono. Le gérant du lieu appellera en proclamant que tout cela n’est « qu’un malencontreux malentendu et que, bien sûr, les musiciens sont les bienvenus « . Routine?
Konono joue ce 5 mai au Roma d’Anvers, splendide cinéma déclassé aux dorures princières où Iggy Pop fit ses premiers pas belges en septembre 77. Une nouvelle fois, la transition entre les Konono backstage et en concert est fulgurante. En coulisses, ambiance léthargique un peu chahutée par les 3 « jeunes » qui se mitraillent en photos.
Augustin mange une soupe puis téléphone à Kin pour voir comment se porte sa famille de 8 enfants, Pauline somnole sur un canapé. Puis, arrivés sur les vieilles planches de bois scéniques, c’est à nouveau la fête aux 220 volts. Les lames des likembes bombardent l’assistance -un peu maigre mais enthousiaste- d’une armée de rythmes carnassiers qui défient les lois de la distorsion. L’ingé son français, Guillaume: « Lors de la première tournée en Europe, Konono jouait facilement 4 heures par soir mais ils ont compris qu’il fallait s’adapter »…
Coup de froid
Konono est parti en Angleterre -au très branché festival de Minehead- puis dans toute une sarabande de concerts européens, jusqu’à la fin mai. L’Amérique, c’est pour juillet. Le temps est dégueulasse et on se dit que Konono pourrait revenir, juste pour décrasser toute cette pluie. Rendez-nous le Congo. Tout au moins, sa musique.
Philippe Cornet
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici