Retour de flamme pour Franz Ferdinand
Avec leur cinquième album, Always Ascending, les Écossais de Franz Ferdinand retrouvent la grande forme, entre pop excentrique et inclinaisons dance. Rencontre.
Attablé dans le coin du restaurant d’un grand hôtel bruxellois, Alex Kapranos met la main sur le Focus affichant Charlotte Gainsbourg en couverture. « J’ai enregistré un duo avec sa mère. Elle est adorable. Elle correspond exactement à l’image que vous pouvez en avoir, elle ne fait pas semblant! » Pour ceux qui, avec le temps, auraient eu tendance à l’oublier, voilà un petit indice qui rappelle à quel point le leader de Franz Ferdinand est capable d’incarner une certaine forme de coolitude, britannique et décalée. Le genre, donc, à reprendre du Gainsbourg (Sorry Angel) avec Jane Birkin. Mais aussi à écrire des chroniques fooding. Ou, pervers, à baptiser son groupe comme s’il s’agissait d’un artiste solo qui aurait pris pour pseudo le nom du célèbre archiduc (celui dont l’assassinat amena le déclenchement de la Première Guerre mondiale)…
Cela fait 15 ans maintenant que Franz Ferdinand a lâché son tube inaugural (Darts of Pleasure). Sorti en 2004, l’album éponyme qui suivit reste toujours leur plus gros succès, grâce à des cartons comme Take Me Out. À l’époque, le band de Glasgow, composé d’Alex Kapranos, Bob Hardy (basse), Paul Thomson (batterie) et Nick McCarthy (guitare), a pu aussi compter sur le revival rock du moment, peut-être l’une des dernières fois que celui-ci a pu encore infléchir le zeitgeist musical. De cette période, tous ne sont pas sortis indemnes, loin de là -de Bloc Party à Kaiser Chiefs ou Interpol. Franz Ferdinand, lui, tient bon.
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Est-ce parce que ses membres avaient déjà tous dépassé la trentaine quand le succès est arrivé qu’ils sont plus facilement passés à travers? Les Écossais ont en effet toujours su préserver l’énergie et l’obstination des conquérants, tout en cultivant le détachement amusé de ceux qui ne sont plus tout à fait dupes. Ce qui ne veut pas dire que le groupe n’a jamais trébuché. L’album Tonight (sorti en 2009), par exemple, montrait des signes d’essoufflement, que Right Thoughts, Right Words, Right Action (2013) n’a pas tout à fait dissipés. À chaque fois, pourtant, Franz Ferdinand est resté combatif. Porté au départ par des singles qui donnaient d’excellents albums, il est devenu le groupe de bons disques renfermant à chaque fois sa paire de chansons irrésistibles, parfois bien planquées. En 2018, il est ainsi toujours là. Quelque part, il est même plus affûté que jamais.
Le test du curry
Officiellement, le nouveau Always Ascending, le cinquième de leur discographie, est présenté comme l’album du grand retour. Celui d’un nouveau départ. Petit souci: c’était déjà un peu le discours tenu en 2013. « Hmmm, je comprends, mais, personnellement, je ne le vois pas comme ça, explique Alex Kapranos. C’est le début d’une nouvelle décennie, d’une nouvelle ère pour nous. Mais l’essence du groupe reste la même. Si vous écoutez n’importe quelle chanson de disque, vous entendrez Franz Ferdinand. Mais en même temps, elles sonnent toutes différemment de ce que l’on a pu faire avant. »
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Quelque chose a toutefois bel et bien changé chez Franz Ferdinand. Le groupe a en effet vu partir Nick McCarthy, présent pourtant depuis les tout débuts. Un moment douloureux? « Pour être honnête, cela traînait depuis un moment », lâche Alex Kapranos, alors qu’il tente désespérément d’enlever une écharde enfoncée dans son pouce (« voilà, vous avez votre métaphore », rigole-t-il). « Le fait que Nick soit devenu père a changé pas mal de choses. Il commençait à se sentir coupable de partir pendant de longs mois en tournée, loin de ses gamins. Du coup, il a préféré se retirer du groupe. On ne pouvait que respecter ça. C’était tellement évident que c’était la juste chose à faire pour lui. Je ne me voyais pas le convaincre de rester à tout prix. »
Le départ de McCarthy pourrait être une non-nouvelle. Après tout, la vie d’un groupe fait rarement l’économie de changements de personnel. Le plus souvent sans que cela émeuve grand-monde -à part les fans de la première heure et les journalistes musicaux. Dans ce cas-ci, cependant, il est question d’une formation qui s’est toujours autant représentée comme un band que comme un gang, soudé, frondeur . « Cela n’a pas changé! », insiste Kapranos. Dino Bardot (guitariste, vu chez les 1990’s) et Julian Corrie (claviers, guitare) ont ainsi rejoint le groupe. Ce dernier (le projet Miaoux Miaoux) accompagne d’ailleurs Kapranos lors de la tournée promo. Basé à Glasgow, il connaît bien la scène locale, comme Paul Savage des Delgados ou Stuart Braithwaite de Mogwai. « Alex les a croisés lors d’un festival de cinéma en Irlande. C’est eux qui lui ont parlé de moi, quand le groupe cherchait un remplaçant pour Nick. Je leur dois d’ailleurs toujours une bière! (rires). » Pour intégrer le groupe, pas de contrat, ni de manifeste à signer. « On a juste demandé si cela lui disait d’aller manger un curry », glisse Kapranos, pince-sans-rire. En l’occurrence, à en croire les intéressés, cela a directement cliqué. « Le fait que Julian habite depuis un moment à Glasgow, cela joue pas mal en sa faveur. Il a le même background que nous. Il peut apprécier l’humour assez sombre. Si quelqu’un était arrivé avec des idées plus optimistes, moins cyniques, avec un état d’esprit plus « californien » en gros, cela ne serait peut-être pas passé aussi facilement (sourire). »
Ah oui? On fait tout de même remarquer qu’en 2015, Franz Ferdinand a formé le supergroupe FFS avec les Sparks, basés à… Los Angeles! « Oui, mais ce sont les moins californiens des Californiens que je connaisse! (rires). Ils le disent d’ailleurs eux-mêmes ouvertement. Au début de leur carrière, ils réagissaient assez fort contre ce truc hippie solaire. Pour trouver l’inspiration, ils regardaient plus souvent en direction de l’Europe que vers les canyons » (référence à la scène de Laurel Canyon, qui regroupait la plupart des héros folk-rock sixties-seventies de Los Angeles, NDLR).
Avec FFS, Franz Ferdinand et les Sparks n’ont pas seulement enregistré un disque ensemble. Ils sont aussi partis en tournée, signe que le projet dépassait le simple « coup ». « Ce fut un exercice très rafraîchissant, parce que tellement différent de tout ce que l’on a pu faire auparavant. Libérateur aussi. Même à des niveaux très basiques: comme la manière d’utiliser ma voix, de chanter aussi, sans guitare, pour la première fois. » Mais si le projet FFS a compté, c’est sans doute, surtout, parce qu’il a contribué à ancrer Franz Ferdinand dans ses convictions. Celles que le medium pop peut être à la fois efficace et extravagant, instantané et malin. Une conception que les Sparks -40 ans de carrière déjà, pour le duo formé par les frères Ron et Russell Mael- incarnent à la perfection. Un exemple à suivre pour Franz Ferdinand.
Cage de papier
La première preuve en est donc Always Ascending, album quasi intégralement jouissif, relançant notamment l’énergie dance-rock qui faisait des étincelles à leurs débuts: du faussement dilettante Finally à la charge Huck & Jim en passant par la phase disco de Glimpse of Love ou le saxo très Roxy Music de Feel the Love Go… On imagine que la présence du Français Philippe Zdar à la production a pu favoriser ce parti pris. Si Always Ascending séduit, c’est toutefois autant par sa couleur « sonore » que par son état d’esprit -décomplexé, ludique. Julian Corrie: « Pour moi qui viens d’un projet solo, c’était très intéressant d’arriver dans un groupe, qui bosse de manière si collaborative. Et qui se permet autant de choses. Vous êtes tout le temps encouragé à « casser » les schémas, foutre le bordel, etc. C’est ce qui nous rassemble: on aime tous les chansons qui font le boulot de manière un peu bizarre, des chansons pop un poil tordues. » Kapranos: « L’idée est d’essayer de repartir à chaque fois de zéro. Pourquoi ? Parce que cela reste le meilleur endroit pour démarrer quelque chose! »
D’accord. Mais comment fait-on quand on a quelque chose comme une carrière derrière soi? Comment continuer à se réinventer? « We’re living our lives in paper cages », chante ainsi Kapranos sur le nouvel album. Le passé est-il justement la cage dont il faut s’échapper pour créer quelque chose de neuf et d’intéressant? « C’est l’une d’entre elles! Mais je ne vois pas le passé comme un fardeau pour autant. J’aime nos anciens morceaux. J’adore toujours jouer Take Me Out en concert, par exemple. Mais cela ne veut pas dire que je veux vivre en rabâchant sans cesse les mêmes choses. Vous devez choisir où vous voulez être: est-ce que vous voulez rester coincé à jamais dans la même décennie ou tenter d’avancer? Il y a plein de groupes -je ne vais pas les nommer, ce ne serait pas cool- qui se contentent de répéter ce qui leur a amené à un moment la notoriété. Et puis vous avez les autres, mes artistes préférés, comme les Sparks, ou Bowie, ou les Beatles qui ont toujours voulu aller de l’avant. »
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Pour la première fois, Franz Ferdinand s’est ainsi essayé à la charge politique plus frontale, avec le morceau Demagogue, un inédit sorti dans le cadre de la playlist « 30 Days, 30 Songs », lancée après l’élection de Donald Trump. « Vous n’échappez jamais totalement au monde extérieur, même si ce disque s’y essaie en grande partie. » Sur le morceau Huck & Jim, il est ainsi question du système de soins de santé, aussi bien au Royaume-Uni (NHS) qu’aux États-Unis où l’Obamacare a été suspendu par la nouvelle administration. « Pour moi, c’est évident que la santé et l’éducation sont la mesure de toute civilisation. Mais Huck & Jim fait aussi référence aux héros du roman de Mark Twain. Quand vous êtes gamin, c’est juste une histoire d’aventures. Mais quand vous le relisez adulte, vous vous rendez compte qu’il est quand même question d’un gamin qui a fugué à cause d’un père abusif et d’un esclave en fuite. C’est une plongée fascinante dans l’Amérique de l’époque, qui en dit en même temps beaucoup sur l’Amérique d’aujourd’hui. Ou simplement sur toute société post-coloniale, comme le Royaume-Uni, la France ou la Belgique. »
Always Ascending n’est pas pour autant un disque politique. Ou alors si c’est le cas, c’est surtout pour sa capacité à réinsuffler au rock cette capacité à rassembler, tout en célébrant la marge et la dissidence. Sur Finally, Kapranos chante: « Finally I found my people/I found the people/who were meant to be/found by me. » « En écrivant ce morceau, on pensait à un pote à nous. Quand on l’a connu, c’était quelqu’un de très introverti, qui n’avait pas encore fait son coming out. En grandissant à Glasgow, il en a pas mal bavé. Et puis, il a fini par s’installer en Californie, et c’est comme s’il était arrivé à la maison. Aujourd’hui, il est heureux, il peut assumer ouvertement sa sexualité. Mais au-delà de son histoire personnelle, c’est un sentiment universel. Tout le monde peut se reconnaître dans cette chanson. »
Franz Ferdinand, Always Ascending, distr. Domino. ****
En concert le 28/02, à Forest National.
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Si Always Ascending sonne effectivement comme un disque de Franz Ferdinand, il porte malgré tout la marque de son producteur: Philippe Cerboneschi, alias Philippe Zdar. Il démarre sa carrière en bossant sur les premiers MC Solaar en duo avec Hubert Blanc-Francard, alias Boom Bass. Dans la foulée, il deviendra l’un des héros discrets de la première vague French Touch, en concoctant un groove chaud et léché qu’il appliquera à la house et la techno -sur des disques aussi fondateurs que Pansoul (avec étienne de Crecy sous le nom de Motorbass), ou ceux de Cassius (en duo avec son compère Boom Bass). Au fil du temps, Zdar n’a toutefois cessé d’élargir ses horizons musicaux en diversifiant ses boulots en tant que producteur. Qu’il se penche sur les disques de Phoenix, des Beastie Boys ou encore de Cat Power. « C’est exactement ce que j’aime chez lui, explique Kapranos. Son côte tout-terrain. C’est un producteur très à l’écoute. Certains mettent au point une signature sonore, et ont tendance à juste la poser sur le groupe, quitte à le phagocyter. On en connait un comme ça, je ne dirai pas son nom, qui insiste pour utiliser toujours la même guitare basse, les même amplis, la même batterie, etc. Du coup, tous ses disques sonnent pareil. Philippe, lui, réagit à ce que vous jouez. Il fait ressortir votre personnalité, votre caractère. Mieux: il l’amplifie.
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