Rencontre avec Cheveu et Group Doueh, immanquables du Dour Festival
Avant de retourner Dour avec Group Doueh, les Français de Cheveu racontent leur incroyable et halluciné disque sahraoui. Attention sables mouvants.
Tourcoing. Une heure du matin. Les pirates berbères sont partis se coucher mais deux brutes nordiques prennent encore le temps de causer dans leur chambre d’hôtel. À la surprise générale, les Sahariens de Group Doueh et les « punks » français de Cheveu ont sorti en mars sur le label Born Bad l’un des albums les plus excitants de l’année. « On ne connaissait pas grand-chose à la musique africaine, avoue le guitariste Étienne Nicolas au moment de résumer la genèse de Dakhla Sahara Session. J’étais juste parti pendant un mois au Mali début 2000. J’avais enregistré des mecs dans la rue à Bamako et Gao. Et j’avais été impressionné par leur manière de jouer de la gratte. Cet index qui gratte les cordes du bas. J’ai tout perdu mais ça m’avait bien fasciné. » « En fait, tous les projets dans lesquels on s’est investis ces derniers temps ne venaient pas de nous. Que ce soit la rencontre avec Group Doueh ou La Grande Montée, un opéra autour de Marco Pantani, ponctue le chanteur David Lemoine. C’est excitant de se lancer dans des aventures que tu n’as pas préméditées. »
Flashback. En janvier 2016, Cheveu débarque à Dakhla. Territoire disputé et non autonome, selon l’ONU, sous administration de facto par le Maroc depuis 1975. C’est là, dans ce patelin de 100.000 âmes classé en tête des spots de sports nautiques, qu’habite Group Doueh emmené par le guitar hero Selmou Baamar. « La première ville voisine est à 300 kilomètres au nord. C’est hyper isolé. L’endroit est un peu chelou. Entre poste avancé de garnison et grosse ville de pêche. Il y a aussi de l’exploitation minière dans la région. Et le tourisme. Il faisait crevant de chaud avec un soleil énorme. Tout est hyper récent. Maisons carrées en parpaings. Il y a des casques bleus et une atmosphère un peu tendue, mais c’est pas particulièrement fliqué. C’est un gros spot mondial de kitesurf. Les Doueh vivent au milieu de ce qui pourrait être assimilé à la vieille ville mais ne l’est pas vraiment. Ça ne fait pas longtemps du tout qu’ils sont sédentaires.. »
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Teatime…
Dans ses bagages, Cheveu a entassé plein de matos. Mais aussi un ingé son, des journalistes, une équipe de Vice. « Il y avait JB de Born Bad qui était là et qui payait pour le truc. On avait la pression à mort. »
Entre la barrière de la langue, des approches différentes de la musique, les modes de vie singuliers et la puissance du thé, le pari n’était pas gagné d’avance. David: « Les Doueh parlent un vieil arabe du désert. Même un Marocain ne comprend pas. On s’est débrouillés avec un peu de français et d’espagnol. Puis l’ingé son Laurent de Boisgisson, super médiateur et fin psychologue, nous a vachement aidés à nous entendre sur les morceaux. Leur journée est organisée bizarrement. L’un est plus nocturne que l’autre mais les gamins se couchent entre 5 et 7 heures du matin. Pas avant. Pour se lever genre entre 5 et 7 heures de l’après-midi. Du coup, on pouvait pas répéter avant 18 heures. Pour nous, c’était vraiment la fin de journée, on n’en pouvait plus. Après ils boivent du thé qui énerve à fond. Ça te fait comme du Red Bull. C’est hyper bizarre, ça te dilate les pupilles, tu restes collé. On dirait du bon speed belge. Ils en boivent 20 par jour. Des tout petits shots. Un fond de micro dé à coudre te défonce. C’est hallucinant. »
Au sein de son Group, Doueh, alias Selmou Baamar, 53 ans cette année, est entouré de sa femme Halima Jakani, de leur fils El Waer et d’un jeune ami de la famille. « Il semble que ce n’est pas le premier à avoir électrifié la tidinit (une sorte de guitare locale, NDLR) dans l’Histoire de la musique sahraoui mais c’est un des premiers virtuoses de la gratte à avoir injecté ce truc hyper occidental via la musique d’Hendrix, de James Brown, dans sa culture, note étienne. Ce qui est assez rigolo, c’est que les mecs ont jamais entendu parler des Beatles ou des Rolling Stones. C’est génial. Par contre, ils adorent Dire Straits et Eric Clapton. Ils ne savent pas qui est Beyoncé mais ils connaissent Céline Dion et Hélène Ségara. Ils vendaient même ses disques dans leur boutique. »
Finalement, ce qui a le plus rapproché les Français des Africains du Nord, c’est l’esprit Do It Yourself. « Une manière de faire qui nous rapprochait de nos premiers enregistrements. C’est à dire rien à foutre de l’esthétique, on enregistre comme des bourrins et puis tout est dans l’énergie. » David: « Quand on les a vus à Paris, ils jouaient avec une espèce de gros Casio super pourri et lançaient des boîtes à rythmes super trop fort. C’était hyper ghetto en fait. Vachement plus que les trucs à la Islam Chipsy. Un renouveau de la musique arabe qui est quand même ultra calibré pour faire tout le parcours des festoches. Eux n’étaient pas du tout dans la world à essayer de faire un truc qui plaise. La meuf tapait avec des tasses de thé sur un plateau en métal. Ça flinguait les oreilles. On avait aussi en commun la gratte à fond. Puis ce truc tournant, hypnotique, répétitif. »
Quant aux textes, les Cheveu ont été prudents. « Olivier et moi, on aurait tendance à parler politiquement de la situation, qui est quand même assez merdique, mais on ne veut pas mettre Doueh en difficulté. On a aussi essayé de pas trop faire décalé par rapport à leur bazar religieux et sacré. Eux n’inventent pas de morceaux. Ils rejouent un répertoire lié aux cérémonies, souvent de mariage. L’idée était de se permettre des trucs sans être trop cons et insultants. Le titre le plus osé, c’est Hamadi. Je pense que c’est un des top prophètes et la chanson parle d’un mec qui se parfume. C’est peut-être même déjà un peu abuser. »
Le 13/07 au Festival de Dour (17h30, la Caverne).
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