Parmi les sorties du moment, on vous conseille de ne pas passer à côté du premier album d’Annahstasia, mais aussi de jeter une oreille aux expériences d’Elisabeth Klinck, à l’album posthume de Cola Boyy, au premier de la Tiktokeuse Addison Rae ou au nouveau du Budos Band.
1. Annahstasia – Tether
En 2023, Annahstasia (Enuke à l’état civil) avait marqué les esprits les plus curieux, aventureux et prescripteurs avec un EP splendide et habité (Revival). Six titres pour une prometteuse carte de visite qui la verra passer par la Belgique, Gand et son jardin botanique. Elle qui avait déjà assuré des premières parties de Monsieur Lenny Kravitz.
Fille de deux créateurs de mode, américaine d’origine nigériane d’un côté et germano-polonaise de l’autre, elle a grandi à Los Angeles. Son périple musical a commencé à 15 ans avec un livre d’accords folk déniché dans un magasin de seconde main. Mais un contrat signé avec une maison de disques qui faisait peu de cas de son autonomie artistique lui a mis quelques années dans la vue. Lui permettant de se consacrer à la danse, la céramique, la performance et la réalisation… «Si la pop est faite pour le capitalisme et le consumérisme, alors le folk est fait pour le collectivisme, la communauté et l’amour», déclarait-elle il y a deux ans. Mais pour Annahstasia, le folk, ce n’est pas tant une idée de simplicité que de dire au monde qui tu es, d’où tu viens et ce dont tu es fait.
Enregistré à Los Angeles, au Valentine Studio (The Beach Boys, Frank Zappa, Jackson Browne…), Tether est un disque pas comme les autres. Un album délicat, habité, puissant et fragile, qui ne manque définitivement pas de personnalité. Produit par Jason Lader (Anohni and the Johnsons, Frank Ocean, Lana Del Rey), Andrew Lappin (Cassandra Jenkins, L’Rain, Luna Li) et Aaron Liao (Liv.e, Moses Sumney, Raveena), Tether n’en est pas moins un disque folk. Une collection de onze chansons dignes des meilleurs singer-songwriters… Caméléon, la voix splendide d’Annahstasia rappelle tour à tour une Tracy Chapman, une Nina Simone, une Sade, un Jeff Buckley voire une Roberta Flack… Be Kind emmène au large. Villain élargit l’horizon. Unrest flotte sur des eaux tranquilles. Là où le tout dépouillé Silk and Velvet fait irrémédiablement chavirer. Les débuts longue durée (et trois fois réenregistrés) d’une artiste dont on risque de beaucoup entendre parler. ● J.B.
Distribué par drink sum wtr/Konkurrent. Le 24 juillet au Ha Concerts, à Gand, et le 12 novembre au Trix, à Anvers.
La cote de Focus : 4/5
2. Addison Rae – Addison
C’est peu dire qu’on y a été à reculons. Le premier album pop d’une jeune Américaine de Louisiane, qui doit l’essentiel de sa notoriété à ses chorés postées sur son compte TikTok – 88 millions d’abonnés, cinquième plus gros compte au monde ? Mmmm, merci, mais non merci. Déjà que, plus que tout autre genre, la pop est suspecte par essence – parce qu’elle adore par exemple jouer avec les artifices et n’a aucun mal à assumer son statut de produit. Comment dès lors ne pas imaginer que la musique d’Addison Rae ne soit qu’un grand plan marketing ? Certes. Si c’est le cas, elle est au moins extrêmement bien ficelée.
Celle qui est notamment pote avec Charli XCX sort en effet un premier album dont le principal mérite est d’éviter tout storytelling encombrant, et s’en tenir à enchaîner les bonbons pop, aussi efficaces que malins, de la dance faussement ingénue d’Aquamarine en passant par la ballade post-Lana Del Rey Summer Forever ou la profession de foi sarcastique Money Is Everything – « When I’m up dancing, please DJ, play Madonna/Wanna roll with Lana, get high with Gaga/And the girls I used to be is still the girl inside of me ». ● L.H.
Distribué par Sony
La cote de Focus: 3,5/5
3. Cola Boyy – Quit To Play Chess
Il y a un peu plus d’un an, le 17 mars 2024, Matthew Urango envoyait à son label la version finale de son nouvel album, le deuxième sous le nom de Cola Boyy. Quelques heures plus tard, il décédait chez lui, à Oxnard, Californie, âgé d’à peine 34 ans. Sa mort inopinée aurait pu jeter une ombre sur Quit to Play Chess. Il en faut cependant beaucoup pour assombrir la musique solaire de Cola Boyy.
Depuis ses premiers sons, en 2018, le musicien a en effet creusé une disco-pop invariablement feelgood, jamais niaise. Passé par le punk, féru de politique, Cola Boyy en a même profité pour distiller de sa voix nasale un discours passablement engagé –sur les questions de racisme mais aussi de validisme, marchant lui-même avec une prothèse, devant gérer un spina bifida, une scoliose et une cyphose. Coproduit avec Jared Solomon et Andrew VanWyngarden (MGMT), Quit to Play Chess se révèle ainsi assez irrésistible en son genre, des vibes reggae de Heroes and Villains au funk jouissif de Busy, rayonnant malgré son statut de disque posthume. ● L.H.
Distribué par Record Makers.
La cote de Focus : 3,5/5
4. Budos Band – VII
20 ans. Cela fait déjà 20 piges mine de rien que le Budos Band ensorcèle avec son magique et savant mélange d’afrobeat, de soul cinématographique et de rock psychédélique. Sobrement intitulé VII, le septième album du collectif new-yorkais jusqu’ici abrité par Daptone Records (Charles Bradley, Sharon Jones…) est aussi le premier sur Diamond West, label indépendant créé en 2023 par son saxophoniste Jared Tankel et son guitariste Thomas Brenneck.
Fela Kuti, Black Sabbath et Ennio Morricone sont sur un bateau. La sono tombe à l’eau. Qu’est-ce qu’il reste? L’un des groupes de soul funk instrumentaux les plus excitants de ce siècle. Le Budos Band compose la musique de films qui n’existent pas mais qu’il faudrait inventer (certains morceaux portent des noms de longs métrages d’ailleurs) et continue de faire évoluer de disque en disque son irrésistible matière sonore. Night Raid et Behind The Black Curtain constituent deux grands moments de ces onze titres composés en trois jours. De cette B.O. fictive habitée par des plantes grimpantes médicinales (Kudzu Vine), d’étranges malédictions (Curse of the Ivory Fang) et d’effrayantes créatures du folklore roumain (The Strigoi). Eh bien groovez maintenant…
Distribué par Diamond West Records/Konkurrent.
La cote de Focus : 4/5
5. Elisabeth Klinck – Chronotopia
S’offrant régulièrement des escapades vers le théâtre ou la performance, la violoniste bruxelloise Elisabeth Klinck aime l’aventure. Publié par le label suisse Hallow Ground (où l’on retrouve également d’autres têtes chercheuses comme Kali Malone), son deuxième album en est une nouvelle preuve. Réflexion sur le temps (qui passe, qui se contracte, qui s’étend), Chronotopia est de ces disques qui ne s’apprécient qu’en prenant le… temps de s’immerger entièrement dedans.
Au petit jeu des références, il évoquera éventuellement l’univers d’un Arthur Russell, autant pour le son des cordes (sur Off Day On) que pour son goût de l’expérimentation. Entre ambient électro-acoustique (Night Bite) et exploration quasi folk (One Day), gravité et fragilité, Elisabeth Klinck laisse même entendre ici et là sa voix. On apprend en outre que Chronotopia a été enregistré au cœur des Pyrénées espagnoles. D’où sans doute la profondeur de morceaux aussi amples qu’indomptés. ● L.H.
Distribué par Hallow Ground. Le 9 septembre, à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles.
La cote de Focus : 4/5