Pourquoi Bad Bunny a déjà sorti l’un des albums de l’année + les autres recos de la semaine
Bad Bunny qui sort l’un des albums de l’année; le retour de FKA Twigs; la folie électro de Tukan; ou encore la confirmation du talent rap de Jeshi : coup d’oeil sur les disques de la semaine
POP
Bad Bunny
“DeBI TiRAR MáS FOToS”
Distr. Rimas Entertainment. 5/5
Le 6 janvier dernier, jour de l’Epiphanie –ou dia de los reyes dans le monde hispanophone–, Bad Bunny sortait DeBÍ TiRAR MáS FOToS. Un sixième album magistral, entièrement dédié à Puerto Rico. Il est à la fois une réponse au bashing de son île, mais aussi, plus simplement, l’affirmation de ses racines par l’une des plus grandes pop stars de la planète.
Le disque arrive deux ans après le blockbuster Nadie Sabe Lo Que Va A Pasar Mañana. «Si j’étais une femme, je serais Madonna/Je serais Rihanna», y clamait notamment celui qui, entre 2020 et 2022, fut l’artiste le plus streamé au monde sur Spotify. Au sommet du monde, Bad Bunny a, semble-t-il, eu besoin de revenir aux sources. En mettant en avant l’histoire et les richesses de ses terres natales. Sur YouTube, pour accompagner la sortie de DeBÍ TiRAR MáS FOToS, chaque titre a ainsi eu droit non pas à son clip, mais à son visualizer: un court texte rédigé par l’universitaire Jorell Meléndez-Badillo sur un aspect de Puerto Rico. KLOuFRENS évoque par exemple la figure de Luisa Capetillo, autrice-syndicaliste-suffragette envoyée en prison pour avoir porté un pantalon.
Si DeBÍ TiRAR MáS FOToS est politiquement chargé, c’est surtout un manifeste musical éblouissant. Dès l’entame, il fait chauffer les cuivres, samplant l’orchestre El Gran Combo reprenant Un Verano en Nueva York (un classique du roi portoricain de la salsa Andy Montañez), se calant sur un beat dembow. Plus loin, BAILE INoLVIDABLE repart des mêmes bases salsa –chœurs masculins, chaloupes de piano , troquant l’euphorie pour une certaine mélancolie sous-jacente. «J’aurais dû prendre plus de photos», affirme Bad Bunny sur le titre de son disque. Un album qui ne planque pas ses vagues à l’âme, qu’ils soient amoureux ou politiques (quand il ne le combine pas les deux, comme sur Turista). Sans jamais virer dans l’amertume ou le passéisme. Grand auteur pop, Bad Bunny mélange reggaeton, perreo, salsa, dembow ou encore plena, musique traditionnelle portoricaine. Mais sans cesser d’expérimenter. A l’instar d’un titre comme DtMF, qui convoque le call-response du plena avec un beat synthétique, dans l’un des moments les plus touchants d’un disque qui sonne déjà comme un classique.
DANCE
FKA Twigs
“Eusexua”
Distr. Warner. Le 15 mars aux Halles de Schaerbeek. 3,5/5
Pour annoncer son nouvel album, FKA Twigs a donné en septembre dernier une performance dont elle a le secret. Un show d’un gros quart d’heure intitulé The Body Is Art, au cours duquel elle a chanté (un peu) et dansé (surtout) dans un décor métallique noir et blanc épuré. Avec son mélange désormais connu d’audace, de prouesses physiques et de poses arty (le «happening» était organisé dans le cadre de la fashion week de Londres). Il y a tout juste dix ans, sur son premier album, Tahliah Debrett Barnett de son vrai nom se promenait déjà en équilibre sur ce fil délicat, entre r’n’b expérimental et pop dissidente. Quitte à parfois irriter. En 2022, la Londonienne prouvait toutefois qu’elle était aussi capable de gestes plus «spontanés», avec la mixtape Caprisongs.
A certains égards, Eusexua prolonge et capitalise sur cette spontanéité. Selon les dires de son autrice, ce troisième album a été largement nourri par ses sorties dans les clubs et autres raves de Prague –lors du tournage du reboot de The Crow, sorti cet été (dans lequel elle joue le rôle de la petite amie de l’antihéros). Plus précisément, FKA Twigs semble avoir fait une fixette sur la dance des années 90-2000. Citant à nouveau le tube d’Olive (Your’Not Alone) sur le morceau-titre, elle sonne presque comme la Madonna de Ray of Light sur Girl Feels Good (ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si l’on retrouve au générique un producteur comme Marius de Vries, aux côtés de la «queen of pop» pour l’album en question). L’exercice n’est pas sans faille. Le single Perfect Stranger, par exemple, est, au mieux, banal –mot que l’on ne pensait pas forcément accoler un jour à FKA Twigs. En gardant de la place pour des gestes plus décalés, prolongeant une certaine esthétique vaporeuse, Eusexua réussit malgré tout à intriguer. ● L.H.
RAP
Jeshi
“Airbag Woke Up”
Distr. Because. A l’Ancienne Belgique, le 26 février. 3,5/5
En 2022, Jesse Greenway aka Jeshi sortait Universal Credit, un premier album remarqué. D’abord, pour son fond, socialement chargé: élevé par sa mère (passée par la case prison) et sa grand-mère, dans un quartier sensible de l’est de Londres, Greenway n’a pas dû faire beaucoup d’efforts d’imagination pour décrire la vie souvent violente des laissés-pour-compte de l’Angleterre post-Brexit. Pour sa forme aussi, le rappeur ne se contentait pas des sentiers balisés par les stars du grime made in UK. C’est encore le cas sur son nouveau Airbag Woke Me Up –référence à une sortie de route, après s’être endormi au volant au retour d’une soirée… Du breakbeat sous tension de Bad Parts Are My Favourite à la méditation troublée de Saint or Sinner, en passant par la plainte soul de Stuck on Loop (samplant Selah Sue), Jeshi ose, tente, et réussit souvent, ne manquant désormais plus de grand-chose pour transformer l’essai. ● L.H.
ELECTRO
Tukan
“Human Drift”
Distr. NEWS. Le 7 février à l’Ancienne Belgique et le 8 février au festival We Are Open au Trix. 3,5/5
Ils ont étudié et se sont rencontrés au Jazz studio d’Anvers. Ils viennent de signer avec un tourneur aux Etats-Unis. Et ils ont vendu tellement de places pour leur concert à l’Ancienne Belgique que la salle bruxelloise a décidé de pousser ses murs (ce sera en mode ballroom, la grande salle sans ses balcons). Les Belges de Tukan ont tellement la cote qu’ils se produiront au Berghain, mythique club techno de la nuit berlinoise, pour célébrer la sortie de leur deuxième album. La réédition (Atoll Extended) du premier, avec neuf remixes de producteurs et productrices, a renforcé leur amour pour les musiques électroniques. Et c’est ce que confirme avec vigueur et finesse son successeur Human Drift. Depuis l’arrivée en 2023 du batteur Alexandre Gauthier, Andrea Pesare (guitare), Samuel Marie (claviers) et Nathan Van Brande (basse) semblent encore s’être rapprochés du dancefloor. Rythmes électroniques et instruments organiques… Tukan, c’est la musique de boîte qui prend chair. C’est BadBadNotGood qui aurait préféré l’électro au hip-hop. Les grands gagnants du Concours Circuit 2020 peuvent continuer à lever les bras au ciel. Le succès et la fête ne font apparemment que commencer… ● J.B.
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