Portrait de Frenetik, l’un des grands espoirs de la nouvelle vague de rappeurs belges
Avec sa plume sombre et imagée, solidement accrochée au bitume, Frenetik est l’un des grands espoirs de la nouvelle vague de rappeurs belges.
Les premiers mots sont timides, la voix à peine audible. Pas de panique: juste le temps pour David Elikya de s’échauffer, Frenetik n’est pas très loin. Son double a la même carrure, imposante, mais les sourcils froncés et le verbe martial. Depuis plusieurs mois, le nom du rappeur bruxellois revient en boucle dans les conversations des amateurs de rap FR. Sur la foi notamment d’un premier EP, Brouillon, paru l’an dernier, et d’une série de clips particulièrement chiadés. Fin de l’été passé, une session Colors est venue taper sur le clou (1,8 million de vues pour la vidéo d’Infrarouge). Et depuis, même les médias parisiens frétillent (Booska-P a fait le déplacement jusqu’à Bruxelles). Cerise sur le gâteau, Frenetik a réussi à être validé à la fois par Damso (qui le cite sur le titre BPM) et son meilleur ennemi, Booba, qui a repris plusieurs de ses titres dans sa playlist.
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Il faut dire que le timing du Bruxellois est parfait. Pas très loin des ambiances lugubres de la scène (UK) Drill, sa musique ombrageuse colle parfaitement à l’ambiance de l’époque. Mais pas seulement. Au moment où le rap à gimmick commence à lasser, ouvrant une fenêtre pour un retour à des flows plus « techniques », la découpe de Frenetik tape aussi dans le mille. Le débit est précis, à la fois haché et imagé. Les mots sont simples, mais les images frappantes. À cet égard, difficile d’imaginer que Frenetik vient à peine de fêter ses 22 ans. « On me le dit souvent. Des jeunes de mon âge, les gens s’attendent à ce qu’on raconte tous les mêmes trucs, les mêmes bêtises, de la même manière, même fond, même forme, etc. » Frenetik prouve le contraire avec une proposition déjà extrêmement charpentée, qui cherche moins les acrobaties verbales que l’uppercut, le verbe souvent sale mais aussi très lucide. « Déjà à l’école je m’intéressais à des choses dont les autres gamins se fichaient. Les profs comprenaient d’autant moins qu’à côté j’étais incroyablement turbulent. J’étais fourré dans tous les mauvais coups possibles. » Dans Virus BX-19, il rappe: « Maman perd le nord, conseiller d’orientation lui dit que son fils est complètement à l’ouest. » C’est le rap qui servira de GPS…
L’art et la manière
Né à Bruxelles en 1998, David Elikya est d’origine congolaise. Mais il n’a encore jamais mis les pieds en RDC. « C’est dans mes projets. Je pense que ça peut débloquer certaines choses dans ma vie. Comme on dit chez nous, tu ne peux pas tout à fait savoir où tu vas si tu ne sais pas d’où tu viens. » Le jeune Frenetik passe ses premières années dans le quartier des Marolles et Anneessens, avant de bouger vers la commune d’Evere quand il a treize, quatorze ans. Il est alors déjà complètement happé par le rap. Il cite souvent les noms de Lino, Youssoupha, Sniper, « des rappeurs avec du vocabulaire, même si le message pouvait être cru et dur« , ou encore, côté Bruxelles, G.A.N., le « bourgmestre du 11-40 » (le code postal d’Evere, NDLR). C’est aussi vers cet âge-là qu’il entre pour la première fois en studio. C’est la révélation. « C’est comme si j’avais trouvé ce que je cherchais. J’ai compris que c’était là que je voulais être. Quelque part, ça m’a sauvé la vie: quand tu es en studio, tu n’es pas dehors à faire des conneries… »
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Les petites combines, les trafics, la débrouille… En solo ou au sein du collectif NSY (pour Nouvelle Source d’Ypérite), Frénétik en parle abondamment dans ses textes. La rue y est même omniprésente. « Elle fait partie de ma vie. Elle en fera toujours partie. J’essaie d’en parler du mieux que je peux, et montrer ce qu’ elle cache, ce que les gens ne voient pas forcément, le pourquoi du comment, ce qui peut nous pousser à faire telle ou telle connerie. » Il ajoute: « Vous savez, la rue, elle n’est pas forcément dehors. Elle est partout… » Il évoque également entre les lignes le racisme, mais sans en faire un cheval de bataille -« Je n’ai pas envie de rester bloqué dessus. Le racisme, on le vit, on le connaît, on sait qu’il est là, ça ne sert à rien de le crier. Ce qu’il faut, c’est agir. » Il pointe également les abus des forces de police, mais tout en expliquant que les premières violences se déroulent souvent entre les jeunes eux-mêmes. Dans Trafic, il balance cette phrase qui a marqué les esprits: « Un policier meurt dans une bavure/C’est ce que j’appelle une remontada. » « Ce qui est fou avec ce morceau, c’est qu’il est sorti au moment où l’affaire George Floyd a éclaté, tout le monde ne parlait que de ça. Mais la vérité, c’est que, ce morceau, je l’ai écrit il y a cinq ans! » Dans le même titre, il poursuit: « Ma chérie, je ne suis pas sauvage/moi, la violence, je l’embellis. » Il précise: « Mais je ne la glorifie pas. J’ai toujours été attiré par les musiques qui racontaient parfois des choses très dures, mais qui étaient tellement bien dites que vous étiez obligé de « prendre ». »
De fait, bien plus que la rue, c’est son rap que Frenetik cherche à poétiser, avec ses formules qui cognent, tout en peignant un tableau bien plus nuancé qu’on pourrait le croire. Ce n’est pas pour rien qu’il a d’ailleurs intitulé son nouvel EP, Jeu de couleurs. Il y a deux ans, dans un freestyle sur la radio Bruzz, il rappait notamment: « Ce n’est plus du rap, c’est de l’art/Je finirai au musée du Louvre. » À l’époque, il pensait pourtant arrêter le rap, lassé. Ce sont les gars de l’émission Lowkey, qui vont le relancer. Ils ont bien fait. Avec ses potes du groupe Elengi Ya Trafic, mais aussi YG Pablo ou Geeeko, Frenetik fait partie des rappeurs les plus en vue d’une seconde vague rap belge qui pointe avec de plus en plus d’insistance. Avec pour lui, une personnalité et une écriture déjà affirmées. « Réussir à enfermer toute une vie dans un simple geste artistique, que ce soit un morceau, ou même un tableau, un film, me fascine complètement. » La voie s’annonce royale.
Frenetik, Jeu de couleurs, distribué par Jeunes Boss. ****
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