Pop philo (7/7): All the lonely people, where do they all come from?
Chaque semaine, un philosophe planche sur une question existentielle de la pop.
Les Beatles en avaient marre de tout -de leur succès, de la pop musique, de la nécessité de toujours devoir parler de filles et d’amour sans plus vraiment parvenir à y croire, d’eux-mêmes. Au moment où ils enregistrèrent Revolver, en 1965, il était temps que les mignons auteurs de tubes se transformassent en autre chose, davantage en rapport avec le monde qui les entourait. La seconde chanson de l’album, Eleanor Rigby, qui racontait l’histoire d’une enfant de choeur dont la vie fut si nulle que personne, sauf le prêtre de l’église, ne se montra à son enterrement, illustrait à merveille ce revirement. D’un côté, les guitares et la batterie avaient disparu, remplacées par un quatuor à cordes orchestré par George Martin; de l’autre, le sujet de la chanson n’était autre que l’immense solitude qui pouvait traverser certaines vies. « Toutes ces personnes solitaires, d’où viennent-elles donc? », chantait Paul McCartney avant d’ajouter: « Personne n’est sauvé », et surtout pas la trop pieuse Eleanor, qui n’avait rien fait de sa vie, sinon nettoyer les grains de riz sur le sol de l’église après les mariages.
L’âge de la maturité était venu pour les Beatles, et avec lui les questions importantes -celles secouant le fond un peu dégueulasse de la condition humaine. Pourtant, malgré cette volonté de sérieux, il restait un peu des anciens Beatles dans les arabesques instrumentales et la dentelle vocale de Eleanor Rigby, une impression douce-amère aussi irritante qu’un baiser maternel. C’était bien malin de jouer aux grands garçons, et de tenter de se confronter aux vrais sujets -mais c’était aussi oublier un peu vite que, pour la plupart des individus, il n’y a précisément rien de plus sérieux que les filles et l’amour. Car d’où viennent toutes ces personnes seules, sinon du lieu vide et glacial que les filles ont déserté -et avec elles l’amour qui, seul, était capable d’y apporter un peu de chaleur, un peu de joie, un peu de vie?
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• En 1966, Eleanor Rigby est le deuxième titre de l’album Revolver et paraît en single double face A avec Yellow Submarine, antienne enfantine dont il constitue la parfaite antithèse.
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