Pop philo (5/7): C’est bientôt, maintenant?

Chaque semaine, un philosophe planche sur une question existentielle de la pop.

« Qu’est-ce donc que le temps?« , demandait saint Augustin au milieu de ses Confessions, quelque part aux alentours de l’an 400 de notre ère. Avant de répondre: « Si personne ne me le demande, je le sais. Mais que je veuille l’expliquer à la demande, je ne le sais pas. » C’était une expérience qui était à la portée de tout le monde: s’amuser à saisir le présent est la meilleure manière de le rater; le présent ne se vit que s’il est ignoré.

Lorsque Morrissey demandait, sur How Soon Is Now?, la face B du maxi William, It Was Really Nothing, publié par les Smiths 1500 ans après Augustin, « Quand tu dis que ça va se produire ‘maintenant’, quand exactement veux-tu dire?« , il s’en souvenait peut-être. Il savait très bien, en tout cas, que « maintenant » n’est qu’une arnaque -le genre d’arnaque qu’on tente à tout prix de vendre aux gens sans passé, ni avenir, aux « criminellement vulgaires ».

À ceux dont le présent se résume à n’être qu’un rêve d’avenir plein de promesse, ou, comme Frédéric Moreau et son ami Deslauriers, les héros de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert, le souvenir de « ce que nous avons eu de meilleur« , le « maintenant » a toujours un drôle de goût. Car, comme toute chose, le temps est une marchandise qui se consomme de façon différente suivant la classe à laquelle on appartient, qu’elle soit sociale, ou bien simplement liée à la chance. Certains ont droit à la sensation du présent, d’autres doivent se contenter de son fantasme.

Le héros de la chanson ne l’ignorait pas, ce qui renforçait encore son impression d’être « rien de spécial« , surtout lorsqu’il lui prenait la lubie d’aller faire un tour dans une boîte de nuit afin d’y trouver quelqu’un qui pourrait l’aimer. Bien entendu, il finissait par rentrer bredouille -bredouille de l’amour, bredouille de l’existence, et bredouille d’un présent qu’il ne cessait d’attendre. Car il ne fallait pas s’y tromper: tout cela n’était qu’une seule et même chose -le présent, la vie, l’amour.