Pomme : « L’enfance et l’adolescence sont les seules clés que j’ai pour essayer de comprendre qui je suis »
Album - Consolation
Artiste - Pomme
Genre - Pop
Label - Universal
Après avoir exposé ses tourments intimes sur Les Failles, succès-surprise du confinement, Pomme cherche la Consolation, sur un troisième album qui chérit ses libertés.
Ce jour-là, Pomme rentre tout juste de vacances. Bavarde, affable, elle avoue quand même: “Il faut que je retrouve un peu le rythme de la promo.” Celle-ci promet d’être intense. Ce vendredi, la jeune femme sort en effet son troisième album, Consolation, l’un des plus attendus de la rentrée. Il arrive un peu moins de trois ans après Les Failles, disque qui lui a valu non seulement le platine en France, mais également deux Victoires de la musique. Celle de la révélation en 2020, puis de l’artiste féminine en 2021.
Lors de la cérémonie de remise de cette dernière, la musicienne avait marqué les esprits. Entre deux live pétaradants, Pomme avait interprété son morceau Grandiose dans un silence de cathédrale. Suspendue dans un ciel étoilé, vêtue d’une cape noire, elle pianotait sur son mini-synthé, chantant en prime time les envies de maternité contrariées d’une fille qui aime les filles: “J’aurais sûrement dû taire parfois/L’envie si grande et menaçante…”
À la fois spectaculaire et dépouillée, la prestation montrait bien à quel point la musicienne pouvait rassembler, sans pour autant rentrer dans le moule d’une pop feelgood saccharinée. Quelques jours après les Victoires, elle publiera encore sur Mediapart une tribune dénonçant les violences sexistes et sexuelles de l’industrie musicale, dont elle a été elle-même victime. “De là où je suis, j’ai décidé de dire les choses.” En l’occurrence, le “point de vue” qu’occupe aujourd’hui la chanteuse est aussi privilégié que singulier. Avec Les Failles, Claire Pommet de son vrai nom, née du côté de Lyon en 1996, a mis en musique ses tourments intimes. Ce qui l’a amenée à toucher à la fois sa génération, comme peut le faire par exemple la pop gothique de l’Américaine Billie Eilish; mais aussi à parler à un public plus âgé, titillé par la fibre folk et acoustique de ses morceaux, ainsi que par ses accents à la Barbara.
Cette influence, Pomme est d’ailleurs la première à l’assumer. Sur son nouvel album, elle rend même directement hommage à l’interprète de Göttingen. “Si tu étais devant moi/je voudrais que tu saches/les jours où plus rien ne va/je pense à toi”, chante-t-elle sur B., la voix pudiquement étranglée par l’autotune. Le récent single Nelly évoque quant à lui l’écrivaine québécoise Nelly Arcan, autre destin féminin cabossé -l’autrice de livres-chocs comme Putain s’est suicidée en 2009, âgée d’à peine 36 ans.
On l’a compris, ce n’est pas aujourd’hui que Pomme risque de déclencher la prochaine choré virale sur TikTok. À travers ses confidences perso, la “reine des drames” a trouvé sa place dans le paysage musical. Un cocon que Consolation devrait encore un peu plus consolider, tout en distillant de nouvelles nuances. Par exemple en glissant un titre en anglais (When I C U), voire en superposant les deux langues (Puppy). En collaborant avec Flavien Berger, coqueluche de la scène indé française, ses morceaux démarrés pour la plupart en piano-voix ont pu prendre aussi des couleurs plus électroniques. À l’instar de la pop de chambre du titre Bleu, qui, à mi-parcours, plonge dans des eaux plus synthétiques.
À tout juste 26 ans, la musicienne, qui partage son temps entre Paris et Montréal, donne le sentiment de savoir où elle va. Ou en tout cas, d’avoir conscience d’où elle ne veut plus aller, visiblement toujours traumatisée par un premier album enregistré à 18 ans, qui ne lui correspondait pas. Plus que jamais, Consolation veut donc célébrer son indépendance et ses particularités. Ce qui n’empêche pas les doutes. En réécoutant l’entretien, on réalise ainsi que Pomme commence quasi systématiquement ses phrases par “J’ai l’impression…”, comme si elle tâtonnait en permanence, avançant en terrain mouvant. C’est qu’elle sait que tout ne tient souvent qu’à un fil. Publié en novembre 2019, Les Failles aurait pu se fracasser contre la pandémie. Au lieu de ça, il est devenu l’une des bandes-son du confinement…
Comment celle qui chantait qu’“elle ne voulait pas sortir” (sur Je ne sais pas danser) a-t-elle vécu le confinement?
(sourire) L’enfermement a été traumatisant pour tout le monde. Personnellement, j’imaginais surtout que ça signifiait l’enterrement de mon album. Au final, j’ai l’impression qu’avec le confinement, il a trouvé une résonance particulière… Sur Les Failles, beaucoup de chansons parlaient de choses qu’on a fini par vivre pendant la pandémie. C’était très étrange. Beaucoup de gens m’ont expliqué par exemple que l’album les avait aidés. Certains m’ont aussi raconté qu’ils ne seraient probablement jamais tombés dessus s’ils ne s’étaient pas retrouvés enfermés chez eux, scotchés devant leur écran. C’est vrai que j’ai fait beaucoup de promo sur les réseaux sociaux, j’étais hyper présente sur le Net. Donc même si le disque n’a pas eu la vie qu’il aurait pu avoir sans le virus, il a fait son chemin.
Plus que ça même. Comment vit-on le fait de rencontrer le succès avec des chansons qui ne parlent que d’échec et d’angoisses intimes?
C’est à la fois une chance et une pression. C’est vrai que j’ai raconté des choses très personnelles. Mais je n’ai pas le sentiment que ce que les gens attendent de moi aujourd’hui est directement lié à cette intimité. Ils espèrent surtout que je sois honnête. Ce qui me va très bien. Peu importe que je raconte des choses hyper intimes -qu’elles soient dures ou joyeuses-, ce qui compte au final, c’est que je fasse ce que j’ai envie de faire. Sur Les Failles, j’ai réussi pour la première fois à être exactement ce que je voulais être. Pour Consolation, la démarche a été la même: me fier à mon intuition. Rester fidèle à moi-même, et ne pas faire de compromis. Ce qui était un défi, à partir du moment où, désormais, il y a des gens qui écoutent ma musique.
Ça change tout…
Oui, même si la pression que je ressens ne provient pas tellement du public. Elle vient surtout des médias ou de l’industrie, pour qui il y a une série de critères à remplir. Or l’authenticité n’en fait pas forcément partie. En général, ma musique n’est jamais vraiment rentrée dans les formats.
Consolation démarre avec une petite intro, apparemment légère: un enregistrement “sauvage” pendant lequel, devant le miroir de la salle de bains, vous finissez par avouer: “Je ne sais pas à qui je parle, mais c’est pas grave”. Aujourd’hui, avez-vous une image plus ou moins claire des gens qui écoutent votre musique?
Ben non (rires). C’est quand même très bizarre, ce métier. Vous écrivez des chansons où vous racontez toute votre vie, et après, ça se retrouve dans les oreilles d’illustres inconnus. Je me souviens qu’au début de la composition du nouvel album, quand je fermais les yeux pour me concentrer, je voyais une salle remplie de gens, les bras croisés, en mode “bon, qu’est-ce qu’elle va nous proposer maintenant?”. Cette image m’a longtemps hantée. J’ai dû inventer des petits trucs mentaux pour passer outre, avancer, et ne pas m’attarder sur le fait d’avoir réussi pour la première fois de ma vie à atteindre un public. Au final, je crois pouvoir dire que j’ai d’abord fait cet album pour moi…
Dans un documentaire de tournée, on vous voit danser en coulisses, parce que vous savez qu’“une fois sur scène, ce ne sera plus possible”. La musique qui sort de soi est-elle toujours celle que l’on a envie d’entendre?
En réalisant Les Failles avec Albin de la Simone, il m’a donné un super conseil: “Tu n’es pas obligée de faire la musique que tu écoutes, tu peux très bien écouter du rap et faire de la folk ou du r’n’b”. ça a été très libérateur. Qu’est-ce que j’ai envie de faire? Ce n’est pas juste de la chanson ou de la folk, mais un mélange de plein de choses que j’écoute, de lectures, de films, des endroits… En cela, j’ai l’impression d’être libre, de me trouver à une place où les gens n’attendent pas de moi que je rentre dans une case. Ce qui n’était pas le cas sur mon tout premier album (À peu près, en 2017, NDLR). À l’époque, j’étais encore très jeune. Je ne savais pas encore ce que je voulais. C’était facile pour les gens autour de moi de prendre toute la place et de me dire quoi faire. Aujourd’hui, je sais exactement ce que je veux. Même si j’ai parfois du mal à le définir. Avec Flavien Berger, par exemple, on est allés vers des choses plus électroniques. Les morceaux sont moins construits comme des chansons couplet-refrain. J’ai l’impression d’être allée plus loin dans les expérimentations sonores.
L’album s’intitule Consolation. Comment précisément combiner la volonté de bousculer et de réconforter?
En général, le processus d’écriture est l’une des choses qui me font le plus de bien. Sur Les Failles, ça m’avait permis d’exposer des choses très personnelles. Ce qui était cool. Après, je ne peux pas passer ma vie à chanter que je suis anxieuse, et ne jamais proposer de moment de réconfort. En cela, Consolation est un peu une suite logique, qui correspond aussi, je crois, à un besoin collectif, si l’on pense à ce que l’on a vécu ces deux dernières années, ou ce que l’on vit toujours aujourd’hui. C’est aussi, je trouve, un concept sous-estimé, dont on ne parle assez. J’ai effectué pas mal de recherches. Claude Ponti (auteur-illustrateur jeunesse, responsable du célèbre poussin masqué, NDLR), avec qui j’ai eu la chance de collaborer pour le livret de l’album, m’a par exemple lancée sur plein de pistes, comme cet essai de Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (paru un an après le suicide de l’auteur suédois, en 1956, NDLR). Il existe aussi un tas d’œuvres classiques autour de ce thème. Puis, j’avais l’impression que la consolation reste très liée à l’enfance, qui est un sujet que je continue de creuser sans cesse…
Il est au cœur du morceau Jardin: “Pourquoi j’y pense encore autant?/Y a quoi de mieux avant?”
Oui, c’en est presque énervant pour moi, d’être obsédée à ce point. En même temps, c’est logique. À l’âge que j’ai, l’enfance et l’adolescence sont les seules clés que j’ai pour essayer de comprendre qui je suis, pourquoi je suis à ce point anxieuse, pourquoi j’ai tellement peur de la mort, pourquoi à certains moments je vais bien et à d’autres je me déteste… De l’enfance, j’ai des souvenirs très ambivalents, à la fois merveilleux et hyper durs.
Est-il aussi question d’une nostalgie pour une époque que vous n’avez pas vécue?
Oui, sans doute. Par exemple quand j’écris deux chansons sur des femmes que je n’ai jamais rencontrées, qui sont Barbara et Nelly Arcan. Je n’ai pas l’impression de parler pour autant à des fantômes. Mais de me confier à des personnes qu’à force, je connais un peu. Me sentir liée à ces personnes a aussi été très réconfortant… Tout le monde cherche un peu des “alliés”, qui vous font vous sentir moins seul. Peu importent les époques. Il y a même des personnages fictifs auxquels je peux m’identifier, comme ceux que l’on peut trouver dans les films de Miyazaki. En fait, dans l’album, ce sont beaucoup de lettres que j’adresse à des gens. À travers elles, je parle de moi de manière peut-être encore plus intime et secrète que je n’avais pu le faire sur Les Failles.
À qui est adressé le morceau Dans mes rêves et cette phrase: “Je t’en voulais de me comprendre”?
En l’occurrence, la chanson parle de ma mère, mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’une grande sœur ou de toute autre personne en position de pédagogie ou d’apprentissage. J’ai énormément admiré dans ma vie -que ce soit ma mère ou des artistes, comme Barbara ou même Lady Gaga et Cœur de pirate que j’ai énormément écoutées. Elles m’ont permis de me construire. Mais à un moment, j’ai dû aussi m’en détacher, parce que je ne pouvais pas devenir ces personnes. J’avais besoin d’un moment de recul, de me “désolidariser”. Ce qui n’est pas toujours simple. On s’entend aujourd’hui très bien avec ma mère. Mais évidemment, il y a eu un moment où elle a dû y “passer”. Ce n’était pas de la haine, juste un besoin d’indépendance. C’est pour ça que je suis partie assez jeune de chez moi, à 17 ans. Enfant, j’étais hyper mélancolique tout le temps. Ma mère essayait de me comprendre. Mais souvent, elle n’y arrivait pas. Et quand elle y arrivait, j’étais encore plus triste parce qu’il n’y avait pas de solution. Donc à un moment, j’ai eu besoin de m’éloigner. Mais ce morceau parle aussi du fait que j’ai fini par trouver une place, celle que j’occupe aujourd’hui et qui est encore mieux que dans mes rêves…
Le 08/03, au Cirque royal, Bruxelles.
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