PNL ou l’attrait du vide
Après l’hystérie, tentative de décryptage de l’album Deux frères, consacrant PNL tout en l’enfermant un peu plus dans sa… tour d’ivoire désenchantée.
Ce n’est pas tout de lancer un buzz. Encore faut-il le faire atterrir. Annoncé par un live streaming fumeux de près de 15 heures, chauffé par un clip énorme – Au DD, au sommet de la Tour Eiffel -, enflammé par un leak qui a suscité l’hystérie, le 3e album de PNL n’a pas loupé son effet. Comme peu d’albums le font au cours d’une année, Deux frères a créé l’événement. Il a suscité le débat, animé les conversations – non seulement dans la sphère rap, mais aussi à la machine à café de la culture pop (voire carrément à la Une du JT de la RTBF).
Le jour de la sortie, on a d’ailleurs assisté à une drôle de collision. Au moment où PNL craquait une bonne partie des Internets, une autre se rappelait de Kurt Cobain, mort il y 25 ans, suicidé d’une balle dans la tête. Le choc des générations? Certes. Il est pourtant plus tentant de rapprocher que d’opposer les deux événements. Non seulement pour l’effet que les uns et les autres provoquent ou ont provoqué. Mais aussi pour le malaise existentiel que Nirvana, tout comme PNL, ne peuvent s’empêcher de creuser. La rage est différente, mais le nihilisme est identique, carburant à l’autosabotage – Kurt Cobain fracassait ses guitares, Ademo avoue: « J’aimerais te faire des poèmes/Mais je gâcherais tout avec un « j’te baise » » sur Frontières.
Depuis le début, les frères Tarik (Ademo) et Nabil (N.O.S) Andrieu se plaisent à malaxer leur mal-être. L’univers de PNL, c’est d’abord celui de la galère, de l’ennui infini, et des heures crasseuses à glander dans les halls des tours, à attendre que les clients viennent chercher leur packson. Pas de poses crâneuses: PNL « traîne dans la cité bourré de vices » (91’s), dégonflant tout éventuel glamour de bad boy gangster. Ici, encore et toujours, cela ressemble à la jungle: appelez-les Mowgli, woo woo ounga ounga.
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Ce spleen, ils l’épanchent sur une musique cotonneuse, hypermélancolique, rappant sous autotune, histoire de malaxer encore davantage une langue aussi vulgaire que fulgurante (« Je récolte ce que je saigne », sur Zoulou Tchaing). Ils ont ainsi réussi à créer un univers qui leur est propre, imperméable aux influences extérieures. Un système qui a bouleversé le rap français, certes. Mais qui tellement refermé sur lui-même (QLF/Que la famille, qu’ils disaient), qu’il n’en a pas vraiment modifié son cours: autarcique, voire autiste, la musique de PNL ne se dissout pas facilement.
C’est ce que l’on se dit en écoutant Deux frères. L’album reprend en effet tous les ingrédients des disques précédents. Long, lent (voire quasi à l’arrêt sur l’incroyable À l’ammoniaque), le nouveau PNL peut paraître monochrome. Voire monotone – si la précision du mix ne permettait pas d’en révéler tous les détails poisseux.
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Ademo et N.O.S. sortent pourtant des rails à quelques reprises. On peut les compter sur les doigts d’une main: Au DD, l’andalouserie Hasta la vista, le summer funk de 91’s ou le désarmant La misère est si belle. Ils sont tous de vraies réussites. Pourquoi alors de ne pas avoir davantage ouvert le jeu et s’être acharné au contraire à creuser toujours le même sillon neurasthénique? Parce que c’est précisément le propos de PNL. Ici, rien ne bouge. « L’ascenseur est bloqué », l’histoire connue d’avance. Tout, et tout le monde, est condamné. Terrassé par la haine de soi (« Je ne suis bon qu’à écrire des textes de merde ») et des autres (« Je préfère être franc, je vous déteste tous »), Ademo et N.O.S. ruminent leur angoisse existentielle, paralysé par la vanité de toute chose.
Du morceau Chang, certains se sont amusés à faire le lien avec le personnage de Tintin. À vrai dire, il y a fort peu de chance que les frères Andrieu, a priori plus amateurs de manga que de BD belge, l’aient pris comme référence. Mais qu’importe: c’est aussi l’intérêt de la musique de PNL qui, aussi autobiographique soit-elle, laisse assez de flou et de zones flottantes pour y projeter sa propre interprétation. Alors, allons-y. Après tout, les premiers mots de Deux frères ne font-ils pas directement référence au décor des aventures de Tintin au Tibet: « J’m’en bats les couilles, de l’Himalaya »… Le héros de papier est prêt à tout pour sauver son ami perdu dans les montagnes; de la même façon, les frères l’assurent, « rien ne nous séparera ». Et puis il y a la figure du Yéti, sorte de double inversé de Tintin, décliné en Mowgli chez PNL: une figure sauvage qui a pourtant sauvé la vie de Tchang, suggérant que le mal n’est pas forcément où on le pense toujours… Enfin, faut-il rappeler que la bande dessinée a été réalisée alors qu’Hergé traversait une profonde crise existentielle: perdu, il rêvait d’être absorbé dans de grandes surfaces blanches; PNL lui affirme: « J’ai envie d’être vide, de ne plus avoir d’âme » (Un autre monde). Les grands espaces dont rêve le duo sont désertiques.
Tout de même, le ton a évolué. Ademo et N.O.S. osent désormais une plus grande fragilité (« J’essaie d’ouvrir mon coeur, chelou comme ça fait peur », sur Kuta Ubud). Comme quand ils se déclarent l’un l’autre leur amour fraternel (Deux frères), ou dissèquent les contradictions insolubles de leurs sentiments amoureux. Mais malgré ça, c’est le désespoir qui domine. « C’est pas normal d’être si malheureux », constate Ademo sur La misère est si belle. Et la réussite n’arrange visiblement pas les choses. « Le monde ou rien », revendiquait la fratrie au début de son aventure. Aujourd’hui qu’ils ont, sinon le monde, au moins la Tour Eiffel à leurs pieds, ils se rendent compte que cela ne change rien. Le succès est juste un autre cul-de-sac. N.O.S. explique ainsi sur Zoulou Tchaing: « La couronne a l’odeur du ghetto/Bon qu’à peser les grammes/Bon qu’à peser les mots ». Dealer ou superstar du show-biz, finalement, c’est le même jeu de dupes.
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