Philippe Katerine nous présente Zouzou: “Si on était tout nu, où cacherait-on un revolver ou une bombe?”

Philippe Katerine sort Zouzou, un quinzième album de pop dada. © Philippe Jarrigeon
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Cinq ans après l’album Confessions, et trois mois après la fameuse cérémonie d’ouverture des J.O., Philippe Katerine sort Zouzou. Où l’indispensable chanteur dada médite sur la mort et le temps qui passe, en ne se prenant toujours pas au sérieux. Everybody loves Philippe Katerine…

Philippe Katerine n’est pas encore là. Rien d’anormal. Une légende urbaine raconte que le chanteur arrive systématiquement 17 minutes en retard -soit le temps durant lequel son cœur s’est arrêté, à 8 ans, lors d’une opération particulièrement délicate. On ne doit pas en être loin du compte. Il faut dire aussi que l’agenda de Philippe Katerine est particulièrement chargé. Surtout depuis la fameuse séquence des J.O. -apparaissant quasi nu, en Dionysos schtroumfesque, lors de la cérémonie d’ouverture. Depuis, les sollicitations se sont multipliées. L’épisode aurait pourtant pu mal tourner. À l’heure où tout le monde a droit à son bad buzz, où les idoles tombent les unes après les autres, le beau-fils de Gérard Depardieu a, au contraire, vu sa popularité encore augmenter. Au hasard, un commentaire YouTube sous la vidéo du single Sous mon bob: « J’ai 71 ans, je ne vous connaissais pas, je vous trouve génial. Les J..O m’auront au moins servi à qq chose » (@denisrobert2950).

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Trois mois plus tard, celui qui est aussi acteur/plasticien/dessinateur sort Zouzou, son quinzième album. Produit avec l’aide de Victor le Masne et Adrien Soleiman, il succède à Confessions. Un grand disque de pop dada, publié en 2019, à la fois chaotique et politique. Cinq ans plus tard, le ton a toutefois changé. Moins abrupt et branché sur les turbulences de l’époque, il se révèle plus intime et domestique -à l’image de Zouzou, la chienne de l’intéressé, posant à ses côtés sur la pochette. Accompagné de violons (Cinéma) ou d’une guitare jazzy, Katerine chante Sous la couette, dormant « en cuillère », dans Une chambre à moi. Ailleurs, il tend encore son micro à ses enfants -sa fille Edie, imitant les voix d’Angèle, Zaho de Sagazan, Clara Luciani, etc.

Philippe Katerine reste cet être à part sur la scène française. Le seul capable de citer aussi bien Cardi B que Félicien Rops, de parler de verge qui gamberge sur un air de Bach (Que deviens-tu) ou de se demander ce qui se serait passé si Hitler, gamin, avait joué à Fortnite (Père (toujours est-il)). Sous la déconne affleurent de nouveaux questionnements. À 55 ans, Philippe Katerine examine de plus près la mort, le temps qui passe, les gamins qui grandissent, les liens qui s’effritent. « Personne n’en sortira vivant », glisse-t-il, méditant au bord de la mer (Bonifacio). Explications.

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Comment naît un album de Philippe Katerine?

À un moment, je me sens comme boursouflé de chansons. Il faut que je m’isole un peu pour que ça sorte. C’est une espèce de vidange, comme pour les voitures. Là, en l’occurrence, ça faisait assez longtemps. Pas que ça m’a manqué. Ça s’est juste passé comme ça. Pendant le confinement, j’avais déjà essayé de faire des chansons, mais je les trouvais horribles. Ca parlait de la campagne. Elles ressemblaient un peu à des contes animaliers. Je trouvais ça affreux, totalement niais. Mais bon, c’est ce qui venait, on peut pas contrôler (sourire).

Quelle est la différence entre la naïveté et le niais?

Le niais, pour moi, c’est de la pédagogie. Dans ma famille, il y a pas mal de profs. Je les admire. Parce que, bon, quelque part, c’est comme être sur scène tous les jours. C’est héroïque! Mais moi, c’est pas ça que je fais. Je suis plus secret, plus solitaire aussi. Et quand je me vois prof, à faire en sorte que le message soit bien compris, et qu’il y ait une morale à la fin, ça ne me plaît pas du tout. Un peu comme dans les fables de La Fontaine. Qui ne sont pas ce que je préfère dans ce que l’Humanité a pu produire, malgré l’aisance avec laquelle elles sont écrites. Donc j’ai renoncé à ces chansons. Il y en avait une douzaine quand même.

Cela fait un disque…

C’est vrai. Mais aujourd’hui, je sais même plus où c’est. Parti aux oubliettes! J’ai tout effacé, exprès. Je peux être mauvais avec moi-même… Mais voilà, ça fait partie du parcours. C’est pas très grave. Quand je fais des chansons, je pense surtout à me faire du bien, à passer des bonnes journées. C’est surtout ça qui compte. Après, que ça devienne un disque, c’est presque accessoire… Au final, j’ai écrit une cinquantaine de chansons. J’en ai enregistré 40. Et puis, j’en ai sélectionné 17. J’aime bien utiliser ce mot, sélectionner. Un peu comme le sélectionneur de l’équipe de France. Je suis un fan de foot, donc je conçois beaucoup mes albums comme une équipe. Avec un gardien, un libéro, des arrières latéraux, des ailiers, etc.

Vous avez mis quel morceau en attaque?

Ah ben pour moi, c’est Joyeux anniversaire! C’est le plus frondeur. C’est celui qui se vante d’avoir l’âge qu’il a. Il est content de lui, du temps qui passe.

Tout en rappelant qu’à chaque anniversaire, la mort se rapproche toujours un peu plus…

Ça, c’est la mélancolie du buteur…

Philippe Katerine: « Elvis était un collègue« . © Philippe Jarrigeon

Tout de même, ça revient souvent. C’est même un peu le fil rouge de Zouzou. Quelque chose en particulier a provoqué cela?

Il y a un copain à moi, il est batteur. Il s’appelle Christophe Lavergne. Il joue dans Francis et ses peintres. On avait enregistré 52 reprises ensemble. Alors qu’on répétait, il m’a dit un jour comme ça: « Je ne peux plus me séparer de cette idée, que, là, au moment où je te parle, quand j’aurai fini ma phrase, je n’aurai jamais été aussi proche de la mort! » (sourire). Au fond, c’est ce qui me fait rire dans la vie. C’est la mort. C’est ce qu’il y a de plus drôle quelque part. Cette idée qu’on s’en rapproche chaque jour un peu plus, c’est très marrant. À mon goût, bien sûr… La mort, c’est l’inéluctable, c’est la cruauté. Et la cruauté, c’est drôle. Donc oui, quand j’ai dû sélectionner les chansons pour monter sur le terrain, j’ai quand même fini par me tourner vers cette idée de l’inéluctable.

Cela donne des titres parfois très personnels, comme Père (toujours est-il) sur les inquiétudes de la paternité, le regard des enfants qui changent. Ou Frérot, sur lequel vous chantez les liens rompus, avec une voix passée dans l’autotune. Comme pour planquer ses émotions?

Pas vraiment. Je trouvais juste que la chanson ressemblait à un blues. Et le blues est une musique qui ne me va pas trop en général. Je sonne trop terre-à-terre. Alors, avec Nk.F (producteur/mixeur notamment pour Damso et PNL, NDLR), on a rajouté de l’autotune, pour donner un côté plus angélique et surtout moins « naturel » à la chanson.

Dans le morceau Chez Philou (el café bar) pointe même la nostalgie. C’est nouveau, ça, non?

C’est la première fois! Enfin, pas tout à fait. Sur mon premier album, Les Mariages chinois, en 1991, il y avait un peu un morceau comme ça. J’avais d’ailleurs fait chanter la maquette par Dominique A. Le morceau s’intitule Petite ville de campagne. Tout le monde l’a oubliée, mais c’est une chanson nostalgique. C’est un sentiment que je ressens, comme beaucoup de gens. Mais dont j’ai honte, que j’ai tendance à refouler.

Pourquoi?

Bah, je trouve que ça fait vieux con. C’est un peu la honte, quoi. Et en même temps, j’ai les boules d’avoir honte. Donc au bout d’un moment, je me suis dit que le grand tabou en fait, c’était ça. C’est pas tellement le sexe, la pornographie, etc. Non, c’est la nostalgie. J’ai dû finir par accepter que ça fasse partie de moi. Ce qui fait que la chanson a pu quand même intégrer l’équipe. Elle avait sa place. Mais bon, en défense, arrière latéral, bien sûr.

Ce refus de la nostalgie, c’est aussi un refus de devenir vieux? Dans Zouzou, vous écoutez PNL, citez Angèle et Zaho de Sagazan, ou Cardi B. Total à l’ouest est même une sorte de reggaeton/cumbia.

Ah mais moi, je veux pas rester jeune. Déjà je m’en fous. Être jeune, vieux, c’est pas le problème. Non, c’est simplement le fait que tous ces gens sont mes collègues. On fait le même boulot, eux et moi. Elvis était un collègue. John Lennon aussi. Billie Holiday pareil. Tout comme PNL, Drake, etc. Tout ce qu’ils font m’intéresse énormément. L’autre jour, j’arrêtais pas de regarder l’heure de New York pour savoir quand j’allais pouvoir écouter le nouveau Tyler, The Creator par exemple. J’étais trop impatient!

Quand même, ce n’est pas la majorité des quinquas qui restent aussi curieux, et attentif aux nouveautés… D’où cela vous vient-il?

Je sais pas trop… Ca n’a pas toujours été le cas, à vrai dire. Au début de ma carrière, j’étais un peu dans ma bulle, plutôt tourné vers le passé, la Nouvelle Vague, et les chansons d’autrefois -de Ferré à Rezvani tout ça. J’étais vraiment là-dedans. Et puis, au fil du temps, je me suis intéressé de plus en plus à ce qui sortait. Et finalement, c’est allé croissant sans que je le décide. Mon père a eu un peu la même trajectoire. Il s’est ouvert, et s’est renseigné de plus en plus. Alors que plein de gens se referment avec l’âge.

Dans Dormir en cuillère, vous revenez sur le fait de se sentir inadapté. C’est parfois pesant?

C’est pas tellement vrai en fait. Disons que j’ai été inadapté. Mais je me suis adapté, petit à petit. J’ai trouvé ma place. Elle n’est pas définitive, heureusement pour moi. Mais j’ai trouvé une place, qu’on m’a accordée.

Que vous décririez comment?

Je me suis renseigné récemment (sourire). C’est le phénomène du heyoka, qu’on retrouve par exemple dans le film Little Big Man et dans la culture amérindienne. C’est le clown sacré. En gros, c’est le gars qui fait le contraire de ce que les gens font. Par exemple, il va monter à cheval à l’envers. Ou alors il dit qu’il fait chaud quand il fait très froid. Surtout, il aide les gens en leur renvoyant un miroir, en se comportant de façon incongrue, en les faisant rire. Donc voilà, c’est des types totalement burlesques. Mais qui sont respectés de la tribu, parce qu’ils sont des guérisseurs. C’est un peu prétentieux de me voir comme ça, mais si je prends du recul, je me sens peut-être un peu dans cette peau-là.

C’est lui qu’on a pu voir, peint en bleu, lors de la cérémonie d’ouverture des J.O. de Paris?

Carrément! C’est le heyoka qui se donne, qui se rend vulnérable, peut-être un peu grotesque pour certains. Mais qui pose un point d’interrogation: et si on était tout nu, où est-ce qu’on cacherait un revolver ou une bombe? Je vous le demande! Tout irait quand même mieux, non? Bon, c’est un point d’interrogation que moi-même je ne m’étais pas posé. Mais une fois que j’ai écrit ça, je me suis dit: « tiens, je vais la poser au monde entier ». Bon, ça n’a pas forcément été entendu comme ça (sourire). Mais oui, j’étais dans la peau du heyoka à ce moment-là.

Dans une chronique sur France Inter, vous expliquiez quand même avoir été par la suite insulté dans la rue, y compris par un “punk à chien qui m’a traité de bon à rien devant mes enfants”.

Oui, oui, c’est vrai. Bah, ça fait partie du truc. J’ai été beaucoup plus moqué quand j’étais jeune. Donc aujourd’hui, vraiment, c’est rien par rapport à ce que j’ai connu. Même si c’est à une échelle un peu large que dans un collège bien sûr.

Dans une autre chronique, vous expliquiez récemment être allé voir un chirurgien esthétique pour qu’il vous… décolle les oreilles. Ce qu’il a refusé, en prétextant que vous étiez très bien comme ça. “Restez comme vous êtes, qu’il m’a dit! Mais quelle horreur!”

(rires) C’est pas une blague, je suis vraiment allé voir quelqu’un. Parce que dans l’un de mes films, j’avais eu la chance de devoir porter des oreilles décollées. On m’avait mis des prothèses, j’avais adoré. Je repartais le soir avec. J’ai pu remarquer à quel point les gens étaient fascinés par ma personne. Je sentais qu’il y avait une vibration différente. Et puis, un jour, je suis allé à la piscine avec mes enfants, et mes grandes oreilles.

Elles étaient waterproof?

Pas du tout! J’ai plongé. Mes enfants se marraient. Mais au contact de l’eau, mes prothèses ont explosé. Elles ont coulé au fond de la piscine. Un maître-nageur en maillot de bain est allé les rechercher et les a remontées. Il les tenait à la main en criant au milieu du bassin: « Monsieur, vous avez perdu vos oreilles!«  (rires). Là je me suis dit quand même, quelle vie de dingue, hein ?

Philippe Katerine, Zouzou ****, distribué par Wagram/Pias

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