Philippe Katerine, l’énerghumain
Avec Confessions, Philippe Katerine sort un album complètement fou. Un disque majeur, aussi ludique que bordélique, entre doutes personnels, grincements politiques et incantations lacaniennes. « Amène tes fesses, Katerine fera le reste… » Rencontre.
C’est l’un des termes que Philippe Katerine convie le plus souvent dans la conversation: « monstrueux« . Ça tombe bien, il pourrait parfaitement qualifier son nouvel album, Confessions. Cela commence dès la pochette -malaisante- et continue avec une musique incroyablement libre et complètement fêlée. Pour sûr, vous n’entendrez pas deux disques comme ça cette année.
Depuis près de 30 ans, Philippe Katerine a pourtant habitué aux extravagances. Notamment, à coups de tubes improbables: de La Banane à Moustache, en passant évidement par Louxor j’adore. Ce qui lui vaut aujourd’hui sur la scène hexagonale une place majeure, étrangement « centrale » pour un tel ovni. Quitte, d’ailleurs, à parfois irriter -du personnage lunaire à la caricature bouffonne, il n’y a parfois qu’un pas.
Avec Confessions, le néo-quinqua évite cependant tous les écueils. Au sommet de son art dada pop, il sort en effet un grand disque bordélique, cru et confus, touffu et tout fou. Une claque d’album, à la fois terriblement intime et frontalement politique, qui vous tord et vous essore, avant de vous prendre dans les bras. Bourré d’invités (d’Angèle à Gérard Depardieu), Confessions fait, notamment, mine de prêter allégeance au genre dominant du moment -le hip-hop-, pour mieux en retenir les audaces et le langage salé. Pour la première fois, Katerine a également tout composé sur l’ordinateur. Dans une masterclass donnée l’an dernier pour France Culture, il expliquait d’ailleurs que c’est en samplant des chants de supporters d’Anderlecht lors d’un match contre le PSG qu’il a eu « l’épiphanie« : les Mauves n’auront pas tout raté ces dernières saisons… Tout cela valait donc bien un passage à… confesse -mot compte trouble d’un disque qui n’en manque pas.
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L’album démarre et se termine par la même sentence: « Arrêtez de parler! » Est-ce que vous êtes vous-même quelqu’un de bavard?
Je préfère écouter. D’ailleurs, si je fais des chansons, c’est pas pour rien. Ça me permet de dire des choses que je n’exprimerais jamais autrement. En fait, les seules fois où je fais des monologues de plus de 3, 4 minutes, c’est lors des interviews. C’est là que je cause le plus. Ce qui ne me déplaît pas. Ça permet de formuler, de comprendre ce qu’on a fait.
Un titre d’album comme Confessions est imposant. Il vous oblige à vous confier.
J’ai précisément commencé par là -ce que je ne fais jamais. Le mot est arrivé. Je l’ai encadré, en lettres capitales. Puis le reste est venu naturellement… Donc, oui, c’était l’idée première: se livrer. Je le fais sans doute un peu à chaque fois. Mais ici, il y avait comme une invitation de moi-même à le faire.
Un événement en particulier vous a poussé dans cette direction-là?
Je devais être un peu perdu dans ma vie. Je ne comprenais plus trop ce que je faisais là. J’avais moins de repères. Il fallait en trouver d’autres. Il y en a qui vont chez le psy. Moi je n’y suis jamais allé. Mais pour ce disque, j’étais allongé sur un divan, c’est sûr…
Pour ces « confessions », vous n’hésitez pas à utiliser un langage très explicite. C’est l’influence du rap?
Choisir un titre d’album dans lequel vous retrouvez les mots « con » et « fesse » amène déjà naturellement le sexe sur la table! Tout de suite, le « la » est donné… Après, je constate que beaucoup d’albums de rap actuels pourraient s’appeler Confessions. J’ai toujours écouté cette musique, mais aujourd’hui peut-être plus qu’avant, en effet. Pourquoi? Parce que c’est celle qui est la plus créative. Tout fait vieux et poussiéreux à côté. Même si on y trouve aussi des répétitions. Tout le côté « je m’en bats les iecou« , c’est bon, ça suffit maintenant!
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Il y a au moins une production de l’album, qui est explicitement rap, celle de Rêve affreux.
Oui, j’ai trouvé l’instru sur le Net: (un type beat) à la façon de Lil Pump. On peut s’en servir moyennant peut-être 100 euros. Ça a été réglé, hein! En ça, on vit une époque bénie. Tout à coup, on a accès à plein de choses. Ce disque, par exemple, hormis Rêve affreux, je l’ai entièrement composé avec GarageBand. Tous les soir, je bénissais la pomme qui se trouvait derrière mon ordi…
On vous a vu collaborer avec le rappeur Alkpote, roi des rimes porno bien salées…
Oui, j’avais participé à un Planète Rap avec lui (sur la radio Skyrock, NDLR). Je ne connaissais pas son oeuvre. Ni l’homme. Ce jour-là, il était engoncé dans une grosse veste en cuir, avec un col en fourrure, alors que le studio était un vrai chaudron. J’étais très choqué. En plus, pendant que je parlais de ma grand-mère, lui rajoutait des « pute« , « pute« , « pute« . Ça m’avait fort perturbé. Mais petit à petit, je me suis habitué à sa présence. Et rapidement une affection est née de ma part. De sa part aussi d’ailleurs, puisqu’il m’a recontacté pour chanter ensemble.
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Vous n’avez jamais eu peur de vous associer avec quelqu’un d’aussi clivant?
Si, bien sûr! Mais le danger est attirant. Bon, c’est vrai que ses propos sont difficiles à entendre. Mais ça reste quand même beaucoup plus intéressant qu’un homme qui vous dit toute sa probité. Avec Alkpote, le fait même qu’il ait des insécurités, un déséquilibre, m’intrigue. J’ai envie d’aller vers lui. Peut-être pour le comprendre. Voire le changer? Ça c’est une autre histoire. Mais éventuellement lui proposer un chemin, de rédemption (sourire). D’ailleurs depuis, il a fait un duo avec Bilal Hassani (chanteur queer, représentant de la France lors du dernier concours Eurovision, NDLR). Ce qui est quand même hallucinant.
Dans le morceau Blond, vous évoquez votre « blanchité » et ses privilèges. Un peu comme Blanche Gardin, qui explique dans son spectacle qu’elle pense arrêter la scène parce qu’elle est trop dans la norme: blanche, hétéro, etc. Vous ressentez la culpabilité de celui qui fait partie de la classe « dominante »?
Ah ben oui, bien sûr. C’est normal qu’on se sente coupable. Comme les jeunes gens nés en Bavière en 1956. Il y a un poids. Il remonte peut-être à plus loin, mais il est là. On ne peut pas nous l’enlever quand même
D’aucuns vous diront qu’ils n’ont rien à voir avec ce qui a pu se dérouler dans le passé…
Bien sûr qu’on a à voir! Et on en joue toujours inconsciemment. L’esclavage, les colonies, etc. Ça représente quand même un fardeau considérable qu’on doit soutenir d’une manière ou d’une autre. Avec Blond, je n’essaie pas d’alléger ce poids, c’est impossible, mais de savoir au moins de quel poids il s’agit. Il vaut toujours mieux connaître son ennemi. Y compris celui qui est en soi.
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Pour continuer avec Blanche Gardin, après pas mal de détours, elle termine son intervention, par une « apologie » du plaisir anal. Ce qui revient aussi souvent dans Confessions. « Emmène-moi là où je n’avais pas pensé, car c’est là qu’est la clé« , dites-vous…
Ce n’est pas pour rien que c’est très exactement au centre du corps! C’est l’axe! Il faut en prendre soin, il faut l’ouvrir. Mais cette Blanche Gardin, je l’aime bien. Je ne connais pas ce sketch en particulier. Enfin, si on peut parler de sketch, parce que, de ce que j’ai vu d’elle, ce sont souvent des oeuvres à part entière. Une pensée très profonde. Je l’aime beaucoup.
Une autre question récurrente du disque, c’est de savoir si l’important est d’enlever ou d’ajouter, si c’est le grain en plus ou la case en moins qui compte. Vous préférez créer à partir de rien, ou tailler?
Moi, j’enlève. Ça dégraisse, quoi. Comme un sculpteur, qui fait apparaître une figure dans le marbre. C’est des blocs. C’est ce que dit aussi Gonzales sur le titre Duo.
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C’est le morceau que vous chantez en compagnie d’Angèle, l’une des nombreux invités du disque. Pourquoi l’avoir conviée?
Pour tout dire, au début, pour ce morceau, j’avais imaginé un accent anglais. J’avais pensé à Rihanna. À un moment, on m’a donné un numéro de téléphone, mais je n’ai jamais appelé. Je me suis dit que ça n’allait m’amener que des emmerdes. Quand j’ai abandonné l’idée de l’accent, je me suis rapidement tourné vers Angèle. Elle a une voix unique, qui mélange les âges. Cette souplesse m’intéresse beaucoup. Et puis c’est une musicienne aguerrie. Pour une chanson qui parle de musique, je me suis dit que c’était la bonne personne.
En quoi sa génération est-elle différente de la Bof génération, que vous chantez en compagnie de Dominique A?
Déjà, elle a du succès. Contrairement à ce que l’on a connu, nous. Ce sont aussi, je trouve, des gens qui ont une maturité affolante. Ce sont peut-être des « enfants indigo », comme on dit maintenant, des êtres reliés aux forces de l’invisible. On n’en avait pas beaucoup, des comme ça, dans la bof génération. Aujourd’hui, ils sont partout. Ce ne sont pas des envahisseurs hein, attention. Des êtres bienveillants? Non, pas davantage! Ils ont leur cruauté, bien sûr.
La génération X est toujours passée pour particulièrement apathique. Vous avez des regrets?
Non, pas vraiment. C’est la vie que j’ai vécue personnellement, dans une certaine nonchalance. Je n’en suis pas fier non plus. Pour revenir à Angèle, par exemple, c’était très frappant. Au départ, la chanson comportait un pont, qui proposait un moment plus dur dans le morceau. Quand Angèle est arrivée, on a écouté la chanson. Elle m’a directement dit: « Tiens, ce passage-là, tu pourrais peut-être l’enlever. » On a fait l’essai et en effet la chanson fonctionnait mieux. Si j’avais été seul en studio, je n’y aurais jamais pensé! Surtout, je ne l’aurais jamais suggéré à un type de 50 ans, si j’en avais eu 23 (rires). J’ai trouvé ça génial qu’elle se permette ça. Ça ne m’a même pas bousculé. Je l’ai fait immédiatement, sans me poser de question. Pour constater que c’était vraiment une bonne idée. C’est en ça que je dis que cette génération n’a rien à voir avec la nôtre. Nous aussi, on faisait des disques, mais en s’excusant presque d’être là.
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Tout au long de votre parcours, on a parfois l’impression que vous avez tout fait pour rester à la marge -comme c’est encore le cas sur Confessions, qui n’est pas avare de moments bien barrés. Pourtant, aujourd’hui, peu de chanteurs sont aussi fédérateurs que vous. Vous avez loupé votre coup?
Ah mais moi, je me trouve hypernormal! Mes chansons ne sont pas des anomalies, ou des maladies. Certes, on m’a souvent dit que ça ne marcherait jamais. Comme avec Louxor, par exemple… Je m’aperçois aussi avec le temps que ce qui paraissait bizarre il y a dix ans est devenu classique aujourd’hui. Ou en tout cas plus accepté. C’est déjà pas mal. Donc se retrouver au centre, bof. Je n’aimerais pas avoir un succès fou, par exemple. Celui que j’ai aujourd’hui me convient très bien. La marge me plaît aussi. C’est ce qui fait tenir les pages ensemble, pour reprendre Godard…
Dans Confessions, vous faites référence aussi bien à Johnny qu’à Daniel Johnston, archétype de l’artiste ovni underground. Entre les deux, vous ne tranchez pas?
Je suis conscient que je joue dans la cour de la variété. Mais je me sens évidemment plus proche d’un Johnston. Au départ, on voulait reprendre sa phrase « Hi, how are you? » On a appelé l’éditeur de Johnston, quinze jours avant sa mort. Il a dit: « OK, on veut bien, mais on prend 50 % des droits du morceau. » Ce qui était quand même un peu gonflé. Du coup, c’est Renaud Letang (producteur de Confessions , NDLR) qui le dit lui-même, pour quand même avoir le clin d’oeil.
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Le plus beau morceau du disque s’intitule Aimez-moi. Aujourd’hui, tout le monde aime Katerine, non?
Oui? Oh, ça fait un peu peur quand même ça, non? J’aime quand même bien l’idée qu’il y ait des gens très contre. Mais c’est vrai que je ne les entends pas trop, là, sur ce disque… En l’occurrence, la chanson Aimez-moi est un peu différente des autres. J’avais tous mes morceaux, en rentrant en studio. Mais pendant les sessions, il y avait ce super musicien Rory McCarthy, qui est notamment derrière le projet Infinite Bisous. Il joue des guitares sur le disque. À un moment, il a lancé ces quatre, cinq accords, qui m’ont tout de suite soulevé le coeur. J’ai demandé à Renaud de les mettre en boucle. Et le soir-même, en rentrant chez moi, j’avais la chanson. Ça a libéré quelque chose en moi auquel je ne m’attendais pas. Comme, par exemple, le fait de parler de moi comme papa. Par la suite est encore arrivée l’idée de faire reprendre la phrase « Aimez-moi » par tous les invités du disque. Ça me plaisait bien. Parce qu’on est tous concernés par ça évidemment…
Katerine, Confessions, distr. Pias/Wagram. ****(*)
En concert le 15/01 à la Madeleine, Bruxelles.
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