Pharrell Williams, pop maestro
Daft Punk, BO de Moi, moche et méchant, Robin Thicke… Pharrell Williams a été dans tous les bons coups cette année. Tout ce qu’il touche se transforme en or. Ça valait bien un portrait.
Présent depuis plus de 20 ans dans les charts du monde entier, Pharrell Williams a encore réussi à se retrouver sur les deux plus gros tubes de 2013. Portrait.
Il a tout compris. Dans une industrie musicale où le single fait à nouveau la loi (en Angleterre, on n’en a jamais vendu autant qu’en 2013), Pharrell Williams est plus que jamais incontournable. Prenez deux des plus gros tubes de l’année écoulée, Blurred Lines et Get Lucky: Pharrell y a posé sa patte. Et ce n’est pas fini. Tiré de la B.O. de Moi, moche et méchant 2, son morceau Happy est bien parti pour atteindre les mêmes sommets.
A tout juste 40 ans, dont la moitié passée dans le business, Pharrell Williams ressemble à une sorte d’Huggy-les-bons-tuyaux: toujours au bon endroit au bon moment. Avec son éternel visage de jeune prince égyptien (son père s’appelle Pharaoh Williams, cela ne s’invente pas), il évoque volontiers un boxeur poids plume, classe et stylé. Un genre d' »aristocat », sautant de toit en toit, d’une fête à l’autre. Comme le résumait récemment le magazine Complex: « Si c’est cool et tranchant, il y a de fortes chances que Pharrell soit dans les parages »…
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Il est par exemple dans le coin quand les deux Daft Punk se pointent à une soirée organisée par Madonna. Les Français en profitent pour lui proposer de collaborer à leur prochain disque –« ils m’auraient demandé de jouer du tambourin, j’aurais accouru ». Pour leur premier album en huit ans, les deux Daft Punk offrent ainsi à l’ami Pharrell deux titres: Lose Yourself To Dance et Get Lucky. La suite est connue. Sortie en avril dernier, la scie disco-funky tournera en boucle le restant de l’année, reprise par tout le monde (et n’importe qui), de Bono à Yoko Ono. Un chercheur australien a fait le compte: le temps du morceau, Pharrell décline 64 fois la phrase « we’re up all night to get… », soit une fois toutes les 3,75 secondes… Impossible de résister. Derrière ce tube d’une vie, et le coup de génie de Daft Punk, il y a aussi comme un passage de relais, ou à tout le moins la rencontre de deux générations: à la guitare, Nile Rogders, producteur miraculeux, faiseur de hits à la chaîne pour Chic, Bowie, Madonna, Duran Duran… sert sur un plateau Pharrell Williams, autre touche-à-tout surdoué.
Comment expliquer le succès interstellaire de Get Lucky? D’aucuns auront volontiers glosé sur la nécessité impérieuse de légèreté en temps de crise. Après tout, le disco est né en plein choc pétrolier, servant de refuge à la sinistrose et à la déglingue généralisée. Le revival consacré par Daft Punk fonctionnerait sur un ressort identique. On pourrait d’ailleurs dresser le même constat avec Blurred Lines. Avec ce morceau, le bellâtre Robin Thicke s’est attiré les foudres des féministes, en partie à raison -voir les paroles et le clip, macho à souhait. Pour autant, il ne faudrait pas suranalyser un tube qui sent surtout la déconne et la fumette (« I got this from Jamaica »). Calqué sur le Got To Give It Up de Marvin Gaye, Blurred Lines tient du crooning rigolard, limite potache. Dans la vidéo, par exemple, Thicke prend les pieds nus d’une des top models pour un micro -pourquoi pas? Plus loin, Pharrell Williams dialogue de son côté avec une chèvre -normal…
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Le morceau en tout cas cartonne. Crédité à sa composition, Pharrell Williams y fait certes de la figuration: un petit « Everybody get up », quelques « hey, hey, hey », l’un ou l’autre « wouh » michaeljacksonien et l’affaire est faite. En juin, Williams réussit ainsi l’exploit d’occuper les deux premières places du Billboard américain –Blurred Lines trônant juste devant Get Lucky. Fort…
United colors
Les grands producteurs mettent souvent un point d’honneur à créer une marque, un son typique. La signature de Pharrell Williams est plus difficile à définir. A moins peut-être d’insister justement sur sa malléabilité, cette capacité à rebondir sur tous les terrains avec la même aisance, qu’il bosse avec Gwen Stefani ou Frank Ocean, Miley Cyrus ou Snoop Dogg. Quand on l’interroge sur le sujet, Williams renvoie à chaque fois vers son enfance et les différents milieux qu’il a traversés. Né en 1973, à Virginia Beach, sur la Côte est, il est élevé par une mère prof et un père réparateur. Avant de déménager dans un endroit plus bourgeois, il passe ses sept premières années dans les logements sociaux d’Atlantis Apartments. Dans le quartier, raconte notamment Pharrell, le groupe de bikers du coin faisait hurler Born To Be Wild, tandis que les parents Williams jouaient Earth, Wind & Fire en boucle dans le salon. Le mélange des contraires, il aime.
Plus tard, au collège, il refuse de s’attacher à un groupe en particulier. Ni nerd, ni branché, ni skate, ni hip hop… On le surnomme Oreo, comme le biscuit, « parce que j’étais un Black qui traînait avec des Blancs et faisait du skate ». Le seul uniforme qu’il accepte de porter est celui de la fanfare de l’école. Il y retrouve son camarade Chad Hugo, avec lequel il s’est lié d’amitié lors d’un stage musical d’été, à l’âge de douze ans. À eux deux, ils formeront plus tard Neptunes, nom sous lequel ils lâcheront leurs premières productions.
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Dès 92, ils mettent ainsi la main sur le Rump Shaker de Wreckx-N-Effect (uniquement barré de la première place du Hot 100 américain par le I Will Always Love You de Whitney Houston). C’est Teddy Riley qui leur a mis le pied à l’étrier. Le parrain du new jack swing, cette version nineties du r’n’b actuel, a construit son nouveau studio à quelques centaines de mètres du collège. Lors d’une traditionnelle « battle » entre groupes étudiants, il repère Hugo et Williams et les prend sous sa coupe, les mettant par exemple sur le premier Blackstreet. Les élèves dépasseront rapidement le maître…
Tout bascule en 99. Cette année-là, les Neptunes se retrouvent crédités au générique des premiers albums de Kelis, et des frangins de Clipse, des potes de Virginia Beach. Suivent Jay-Z, Britney Spears (I’m a Slave 4 U), Janet Jackson, No Doubt, Justin Timberlake, Nelly, Snoop Dogg… Le gratin de la pop mondiale les réclame. Parallèlement, les deux compères convoquent leur camarade de Shay Haley pour former N.E.R.D. (pour No One Ever Really Dies). En 2002, leur inaugural In Search of… cherche la formule magique: celle qui réconcilierait musiques noires et blanches. La quête n’est pas simple. L’album ressort un an plus tard, dans une seconde version, complètement réenregistré.
Le fait est que Pharrell Williams a été marqué aussi bien par le punk-hardcore des Dead Kennedys ou le Nevermind de Nirvana que par le chef-d’oeuvre hip hop The Low End Theory d’A Tribe Called Quest. Entre les deux, il refuse de choisir. Exemple frappant: pour la vidéo d’Everyone Nose (All the Girls Standing In The Line For The Bathroom…), il pogote et saute de la scène comme dans un concert punk-rock, sur fond de scratch hip hop et de contrebasse jazzy…
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Atteint de synesthésie, Pharrell Williams voit les notes de musique en couleurs. Toutes les couleurs.
La démarche en fait bien tiquer quelques-uns. Avec The Neptunes, Williams est pourtant les deux pieds dans son époque. Raccord avec l’esprit hédoniste et décomplexé des années 2000, il est par exemple l’une des idoles du mouvement fluo, teenagers à casquettes qui mélangent rap et rock, skate et électro, binge drinking et sexe frénétique. On se rappelle notamment d’un concert de N.E.R.D. pendant lequel le groupe invitera les filles à monter sur scène -avant de les convier en coulisses…
Ce profil de joli-coeur, Pharrell Williams prend toujours un malin plaisir à l’entretenir, avec toute la crédibilité nécessaire. Au fil du temps, il a cependant densifié son image. Icône pop, il fricote également avec le monde de la mode et de l’art contemporain. En 2003, dans la vidéo de Frontin’, il présente pour la première fois des vêtements de sa ligne de streetwear, Billionaire Boys Club, qu’il a lancée en collaboration avec le Japonais Nigo. En général, il fait partie de cette génération qui n’a pas de scrupule à travailler avec des marques. Surtout si elles sont clinquantes. Il collabore ainsi avec Louis Vuitton, Chanel, conçoit un modèle pour les doudounes de luxe Moncler… Bling bling, Pharrell Williams? Définitivement, même s’il a réussi à éviter jusqu’ici les extravagances outrancières pour préserver une certaine élégance -quelqu’un d’autre pour conjuguer aussi bien noeud pap’ et bermuda?
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Dans la foulée, il a également commencé à fourrer son nez dans le design (il dessine un siège pour Domeau & Pérès) et l’art contemporain. Récemment encore, on l’a vu se balader dans les allées de l’Art Basel, à Miami, le grand raout annuel rassemblant les galeries d’art les plus prestigieuses du monde. Il y a notamment retrouvé Takashi Murakami. En 2009 déjà, il collaborait avec le Japonais pop art pour réaliser une « sculpture ».
Néo-quadra, Pharrell Williams semble ainsi en être arrivé au point où il peut jongler à sa guise avec différents médias. Depuis l’an dernier, il a d’ailleurs regroupé tous ses joujoux sous une seule bannière: i am OTHER sert de coupole à tous ses partenariats (par exemple avec la compagnie de textile écolo Bionic Yarn), marques et autres envies créatives. L’illustration la plus récente: la vidéo de son tube Happy. Pour l’occasion, Pharrell Williams a imaginé le premier clip au monde long de 24 heures! Tourné dans les rues de Los Angeles, il enchaîne les plans-séquences, la chanson tournant en boucle durant deux tours d’horloge. A chaque fois, une personne différente danse sur le morceau. Des quidams mais aussi des people, comme l’acteur Steve Carrell, les rappeurs d’Odd Future, Janelle Monae, Magic Johnson, Sergio Mendes… C’est à la fois audacieux et simplissime dans sa présentation. Exactement comme la chanson même, tube feelgood irrésistible, aussi limpide qu’efficace. « Clap along if you feel that happiness is the truth », chante la star. La mélodie du bonheur.
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