Perfume Genius sort son nouvel album, le brillant Glory: “Je suis conscient de ne pas être très doué pour vivre le moment présent”

Perfume Genius sort Glory, nouveau bijou de pop indé, truffé de références cachées
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur son nouvel album, le brillant Glory, l’Américain Perfume Genius imagine une pop aventureuse et poétique, cherchant comment mieux accepter le temps qui passe, ses démons intérieurs. Et l’époque qui bascule…

Mike Hadreas, aka Perfume Genius, a eu chaud. Littéralement. En janvier dernier, les incendies géants de Los Angeles ont en effet frôlé son quartier. «Avec Alan (NDLR: Wyffels, compagnon et partenaire d’écriture), nous suivions en direct l’évolution des feux sur une application, minute par minute. Ce qui est à la fois très pratique et en même temps terrifiant. Un matin, on s’est réveillés, et la zone d’évacuation bordait vraiment notre maison. On a alors décidé de partir quelques jours dans le désert, au cas où. Finalement, notre domicile n’a pas été touché. Mais on connaît pas mal d’amis autour de nous qui ont tout perdu dans les incendies, dont des gens qui ont travaillé sur le disque.»

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Comment se sent-on quand, après l’avoir longtemps cherché, le lieu qui est censé servir de refuge et d’abri face aux agitations du monde extérieur, est finalement lui-même menacé? «Vous savez, je n’ai pas attendu cela pour me préoccuper de ce qui pourrait arriver à Alan ou moi, ou aux autres personnes qui me sont chères. Avant même qu’il ne se passe quoi que ce soit, je balise. Donc, quand ces choses arrivent, je ne dis pas que je suis calme, mais je me sens presque comme… préparé. Ou en tout cas plus ou moins équipé pour gérer. Cela fait par exemple longtemps que j’ai fait un stock de lampes de poche, dans toute la maison» (sourire). Et d’ajouter: «En fait, assez bizarrement, je suis plutôt bon pour gérer les situations d’urgence et les malheurs. C’est comme si ce qui se passait à l’intérieur de ma tête s’alignait avec l’extérieur…»   

Perfume Genius, héros indie

La musique fonctionne-t-elle de la même manière? Sous le nom de Perfume Genius, Hadreas a en tout cas souvent donné l’impression de sublimer ses urgences dans ses chansons fiévreuses. Né en 1981, il a grandi à Seattle. Ado ouvertement gay, il subira du harcèlement scolaire, avant de fuir à New York, où il brûlera la chandelle par les deux bouts, dérivant dans la drogue et l’alcool…

 En 2010, un premier album, Learning, se débat précisément avec ces démons (Mr. Peterson, évoquant les abus sexuels d’un prof sur un élève), les auscultant dans un songwriting dépouillé et lo-fi. Petit à petit, l’écriture de Perfume Genius va prendre de l’ampleur, s’épanouissant dans un rock indie baroque et lettré, jouant volontiers avec son identité queer. Et de devenir ainsi au fil du temps, sinon une star, en tout cas l’un des noms les plus en vue de la scène musicale indépendante nord-américaine. Trois ans après l’avant-pop sinueuse de Ugly Season, il sort cette semaine Glory, septième album et nouvelle réussite à ajouter à son impeccable discographie. «Chaque fois que je me remets à écrire, c’est compliqué. Qu’est-ce que je vais raconter que je n’ai pas encore raconté? Et comment? Il y a aussi plus de stress qu’avant, parce que je sais que des gens vont m’écouter, et que mes rentrées financières dépendent même de ça (sourire). Donc c’est un métier bizarre, où vous devez utiliser cette pression pour avancer tout en faisant semblant qu’elle n’existe pas. Parce que les meilleures chansons arrivent toujours quand vous explorez et que vous vous permettez de faire des erreurs.»

Du chant et des larmes

S’éloignant des ambiances expérimentales de Ugly Season, Glory s’épanouit dans des morceaux qui piochent aussi bien dans l’americana et la folk (It’s a Mirror) que dans des tirades plus grungy (No Front Teeth) ou dans des ballades bouleversantes (Me & Angel). Le tout porté par des textes truffés de références obscures, tirées ici d’un poème de l’empereur Hadrien, là de l’une des dizaines de pages Wikipedia ouvertes sur le bureau d’ordinateur d’Hadreas (Capezio, du nom d’une marque de chaussures de danse).

Perfume Genius, intérieur queer

Pour l’accompagner, son compagnon Alan Wyffels et le fidèle producteur Blake Mills. «Ils me connaissent par cœur, je sais que je peux leur confier ce que j’ai de plus intime. D’autant que ces chansons évoquent cette fois des sentiments et des histoires personnels assez proches dans le temps –et pas des événements du passé que je fais remonter, comme j’ai pu souvent le faire sur les disques précédents. Ce qui a d’ailleurs rendu l’enregistrement de Glory parfois éprouvant: ce n’est physiquement pas simple de chanter quand vous êtes en larmes…» (sourire)

Jeu collectif

Pour la première fois, Hadreas a aussi inclus ses musiciens dans la création des morceaux –Meg Duffy (guitare), Greg Uhlmann (guitare), Tim Carr (batterie), Jim Keltner (batterie) et Pat Kelly (basse). «Cela a été très inspirant. Et puis, cela avait du sens de les impliquer dans un disque qui parle précisément de réussir à sortir de son isolement, d’arrêter de ruminer tout seul, et s’ouvrir aux autres…»

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Sur le morceau In a Row, Hadreas s’imagine ainsi kidnappé et enfermé dans le coffre d’une voiture, pensant déjà à tous «les poèmes» qu’il pourrait en tirer… Comme une métaphore de l’artiste coincé dans sa tête? «J’ai conscience que je ne suis pas très doué pour vivre le moment présent. Ni pour me montrer toujours reconnaissant. Il n’y a pas beaucoup de place pour la gratitude quand vous êtes à ce point plongé dans vos problèmes et vos pensées. C’est très unidimensionnel, la 3D n’existe pas. Mais j’y travaille. J’essaie de dé-zoomer davantage, de prendre du recul.»

Garder espoir

Il y a quelques mois, Perfume Genius sortait Point of Disgust, en duo avec Alan Sparhawk, autre héros indie américain. La chanson fait partie de la compilation Transa, réalisée par l’organisation Red Hot pour célébrer la communauté transgenre. Depuis, Trump est arrivé au pouvoir et n’a pas attendu pour s’attaquer aux droits des minorités LGBT.

Comment vit-il, en tant qu’homosexuel, la nouvelle ère politique? En commentaire du clip de It’s a Mirror, publié en début d’année, un internaute a ainsi décrit la chanson: «2025 s’annonce comme l’année où je passerai mon temps-à-me-languir-sur-une-chaise-longue-tout-en-étant-submergé-par-la-mélancolie-de-l’époque ». Envisage-t-il précisément sa musique de cette manière, comme un remède à l’angoisse mondiale? Hadreas rigole: «J’espère! En tout cas, c’est l’idée: parvenir à « processer » tout ce qui est au-delà de mon contrôle. Comment continuer d’avancer, rester positif, garder l’espoir et une certaine forme d’innocence, tout en n’ignorant pas la situation et toutes les choses qui ont réellement lieu actuellement?» Qui ne se pose pas la question… ●

Perfume Genius, Glory, distr. Matador.
La cote de Focus : 4/5

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