Party Harders, les dix ans: « The Pope of Dope, c’est un peu comme si j’avais fait du X »
Le collectif liégeois Party Harders fête ses dix ans. Dix ans de soirées, de graphisme déjanté et d’amitiés qui comptent. Retour sur le dancefloor.
Pour faire simple, on dira que Party Harders est l’émanation festive d’un collectif de graffeurs et d’artistes. ERS, pour ne pas le nommer. A l’aube des années 90, certains d’entre eux s’expriment sur papier, d’autres sur quelques murs de la ville de Liège. Ils sont parfois exposés en galerie, organisent des soirées. Au fil des ans, ils font des rencontres et nouent de solides amitiés. Notamment du côté de l’Hexagone, avec Pedro Winter, ex-manager de Daft Punk. Pedro Winter et les artistes de son label Ed Banger. Comme Justice…
Les Liégeois et leurs camarades de jeu imposent leur musique et leurs visuels. A Paris, ils incarnent le truc branché du moment et se voient offrir une résidence au Social Club. Les soirées sont mémorables, souvent plus proches de l’orgie sous Néron que du thé dansant pour vieilles ladies naphtalinées. Du Perfecto et de la sueur! Leurs flyers, affiches et T-shirts, entre polices dessinées à la main et bombages façon throw up, font école un peu partout. TransArdentes, Pukkelpop, I Love Techno: ils mixent dans les gros festivals et assurent les afters des stars. Comme Justice…
Ah oui: les Party Harders ont aussi leur mascotte. Mon Colonel. « Sa chevelure de Flamand, sa moustache et son look de Lemmy de Motörhead« , dixit 2Shy, le Français de la troupe. Un jour, ce colonel-là qui fait voir plus d’étoiles qu’il n’en porte, débarquera même déguisé en Saint-Nicolas louche, recommandant aux gamins de fréquenter les dealeurs… La Wallifornie est définitivement inscrite sur la mappemonde!
Melting potes
Dix ans plus tard, on retrouve le même Colonel un peu assagi, mais pas rangé des voitures. Cet été, on l’a vu, malgré sa béquille, honorer de sa mitre l’anniversaire des Subs au Pukkelpop, justement. Petit coup d’oeil dans le rétroviseur autour d’une tasse de café…
Party Harders a aussi été le reflet de l’époque, une époque de mélanges. « On venait de passer les années 90, on en avait par-dessus la tête de la techno, il fallait autre chose. C’était la fin de l’électroclash, la fin du retour du rock, après les Strokes, les Libertines… Le rap, c’était juste Booba. Alors on a joué dans des soirées avec tout ce qu’on trouvait cool. Il y a ces mecs qui sont arrivés avec ce son un peu vintage, des attitudes de rockeurs. J’aimais bien, il y avait une bonne énergie. » A Paris, ces « mecs » s’appellent Institubes, TTC, Surkin… « Toutes les semaines, il y avait quelqu’un de nouveau. En Allemagne, tu avais l’équivalent avec Boys Noize. »
Et puis, quand il étudiait à l’ERG, l’école de recherche graphique de la rue du Page à Bruxelles, il fréquentait assidument les Enjoy Apocalypse, les soirées d’Elzo Durt. « Ces gars-là m’avaient déjà marqué aussi. Parfois, ces soirées partaient complètement en sucette: ils étaient capables de mettre un morceau de psychobilly avec un truc de breakcore de dingue, c’était des putains de DJ’s! Il y avait aussi un DJ au Beurs, un rasta, qui mettait du psycho avec de la techno… Tout se mélangeait et je trouvais que c’était pas mal. Un peu comme ce qui se passe maintenant avec les diggers. Tout le monde allait rechercher dans ses vieux disques, le bon vieux tube d’AC/DC… Un peu comme Soulwax mais sans tomber dans les clichés. J’aimais bien cet esprit-là. »
Certains aiment tout ce qui vient du blues. Colo, lui, c’est quand ça part un peu dans tous les sens. Il garde quelques autres fréquentations aussi, des gens qui faisaient confiance à sa petite bande. « Ici à Liège, c’était ceux de la Soundstation, les Ardentes maintenant. A Bruxelles, on était tout le temps au Recyclart, où Marc Jacobs nous a toujours soutenus. » En février 2007, les Party Harders lui proposent un plateau avec Justice, alors en pleine hype: « Ce n’était pas du tout dans sa programmation, et ça s’est super bien passé. » Traduisez: grosse foule!
Du X ou presque
La bande de copains finit par se professionnaliser quelque peu. Colo et The Shore mixent, Rvo et 2Shy se chargent des visus de toutes les soirées, un copain conduit… « A un moment, il a fallu que tout ça se structure, pour que tout le monde s’y retrouve. » Et Party Harders rejoint la plateforme Spray Can Arts où l’on retrouve alors aussi des membres de Starflam.
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The Pope of Dope, c’est tout début 2010 qu’il a vu le jour. Mon Colonel et les Subs sont en studio, le premier s’amuse à débiter des horreurs dans le micro sur fond de vieille techno, les seconds vont récupérer l’enregistrement et en tirer un morceau. Colo est réticent, mais ça cartonne. « Vole 20 euros à ta mère, et tu les dépenses au dealer/Vole de l’argent/Ou va travailler au McDonald ou chez IKEA/Le dimanche pour t’acheter la drogue« … Certains ne s’en sont pas encore tout à fait remis! « Recevoir un disque d’or pour un morceau pareil, il n’y a qu’en Belgique que ça peut arriver! Tu sors un clip, et une semaine après, tu vois des remakes avec des gamins qui font les mêmes danses, c’est dingue! En France, ça circulait sous le manteau… Aujourd’hui encore, j’entends des remixes dans tous les sens! » Et il y a plus rigolo: « Je croyais que ça allait me faire du tort, faire du tort à mes amis graphistes. Je ne voulais pas le dire à ma mère, à mon galeriste… Un peu comme si j’avais fait du X. Mais non, ça m’a ouvert des portes, même dans mon parcours artistique! »
Le crew va tourner pendant trois ans sur cette lancée. A fond en Flandre pour commencer, un peu en Italie. « Bizarrement, ça a démarré l’été suivant en Wallonie. » A Madrid, ce sont les Zombie Kids qui les réclament, et Colo prend l’avion comme le bus. « On a eu une résidence là-bas le mercredi. Eux aussi étaient alors super éclectiques: il y avait des DJ’s rock, eux mettaient de la techno, et ils avaient à chaque fois un invité. Tous les tarés de Madrid allaient là: les graffeurs, les skateurs, les mecs percés, tatoués, les hipsters… Mais en mode Madrid, donc complètement détruits. Des filles montaient à poil sur scène, les afters étaient interminables, et c’était rempli à chaque fois. Tu fais ça à Paris, tu te fais jeter direct! Je n’ai jamais été aussi mal que dans l’avion quand je revenais! »
Montréal aura aussi droit à ces hérauts du gazon. L’Afrique du Sud également, de même que New York où ils jouent à l’invitation d’Andrew W.K. « Après, ça s’est éteint tout doucement. Highbloo se retrouvait plus souvent avec les Subs, on est partis sur un autre projet. Je crois que j’en ai eu marre, aussi. C’était trop. Et la musique a commencé à changer. » Les clubbeurs célèbrent l’avènement de Tomorrowland, de l’EDM. Et le public de Party Harders, soit les 18-25 ans, commence tout doucement à se ranger.
Souvent copiés, jamais…
« Aujourd’hui, tout cet univers-là fait fort an 2000, estime Mon Colonel. Mais ça marchait. Moi et mes longs cheveux, mes disques, et eux avec tous leurs visuels de dingues qui ont fait école. Le nombre de nos flyers qu’on a vus copiés en Italie, en Chine, en Australie! Olivier, avant de faire 2Shy, ne s’était jamais vraiment affirmé comme artiste. Pareil pour Farid (Rvo, NDLR) qui était tatoueur. » La chauve-souris emblématique est de lui… « On faisait déjà des T-shirts à l’époque de ERS, et ça marquait. Je me suis rendu compte qu’il y avait un potentiel dans notre langage, un truc frais. C’était un univers très créatif. » Alors que pour le moment… »En graphisme, ce n’est que du rétro. Soit des trucs des années 80, soit cette sorte de letraset des années 70, l’esthétique pré-punk ou de flyers des soirées hip hop. Mais il n’y a rien qui se démarque vraiment. Chez nous, tout était… bizarre. Parfois, certains n’arrivaient même pas à lire nos typos, alors que maintenant beaucoup de monde sait déchiffrer un lettrage graffiti. »
Et donc, les 18-25 ans de l’époque se sont « rangés ». Enfin, comme Colo, quoi! Il se marre: « En mai dernier, on a organisé une sorte de pré-soirée pour les dix ans. Il s’est produit une sorte de déclic revival. On se retrouve donc avec les mêmes jeunes mais qui travaillent. Qui n’arrivent plus morts saouls aux soirées mais en repartent bien pleins, qui dépensent plus d’argent, qui n’essaient plus de frauder pour entrer… » Et musicalement, ça donne quoi? « Aujourd’hui, je ne cherche plus spécialement à mettre toutes les nouveautés. Déjà que je n’arrive pas trop à en trouver qui me plaisent vraiment. Alors on essaie de composer, avec quelques nouveautés et des trucs plus anciens. »
PARTY HARDERS – 10 YEARS PARTY, LE 02/12, ESPACE GEORGES TRUFFAUT, 5 AVENUE DE LILLE, À LIÈGE. AVEC LE ED BANGER CREW, SOIT BUSY-P, SO ME ET DES INVITÉS SURPRISES.
Open Street Festival
Organisé par la plateforme Spray Can Arts, ce festival des arts urbains aura lieu, pour sa troisième édition, ce samedi 3 décembre. Fresque, expo, deejaying et turntablism au programme. Le line-up des concerts est on ne peut plus belge, avec: Convok, King Lee, Isha, STR, Little Mike, Skillz Machine, Le 77, Mariah Kaaris et Johnny Golden. Considérant la « party » de la veille, au même endroit d’ailleurs, on risque de dormir peu ce week-end à Liège. Dour en hiver? Info: www.spraycanartsasbl.be
Colo & Spit
Passé par le graffiti, l’architecture et la bande dessinée, entre autres, Mon Colonel (Eric Bassler dans la vie de tous les jours) poursuit son parcours d’artiste plasticien protéiforme avec son comparse Thomas « Spit » Stiernon. Le tandem explore pour l’heure la céramique, travaillée à coups d’images et de mots. « Les expos, c’est toujours le résultat de rencontres, de voyages, de réflexions, d’énervements et d’interpellations. » A Liège, le duo a terminé deuxième ex-aequo au Prix de la Création 2016.
Party Harders, le livre…
Pas de « best of » pour ces dix ans de tumulte festif mais un ouvrage richement illustré, qui fait le lien entre les activités musicales et graphiques du collectif. Soit une garantie de quelques photos shootées à l’arrache… « Venant du graffiti, explique Michael Nicolaï de Spray Can Arts, on photographiait nos fresques avec des petits appareils argentiques, qu’on a continué à utiliser quand on organisait des soirées. » De l’authentique! A Decade of Night Troubles, concocté sous la houlette de Jimmy Pantera, est disponible à la Galerie Central et le sera lors des divers events anniversaire prévus début 2017.
… et l’expo
Du 1er au 10 décembre, la Galerie Central (rue en Bois 6, à Liège) accueillera une exposition, montée en parallèle à la sortie du bouquin. Dix ans de visuels et d’archives diverses, accumulés par « ce collectif belge qui manie aussi bien la bombe, le pinceau, la gouache que la bière, les platines et la fête » (dixit Pedro Winter, qui préface l’ouvrage susmentionné), ça valait bien quelques murs!
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