Pari Bruxelles: ces musiciens étrangers qui ont choisi la capitale européenne
Ils sont Français, Américains, Suédois et partagent un faible pour la capitale de l’Europe. De Françoiz Breut à Robin Proper-Sheppard (Sophia) en passant par les Atlas Mountains attendant leur Frànçois, zoom sur ces musiciens étrangers qui ont choisi Bruxelles pour port d’attache.
« Dans le noir de mon âme, toi ville nyctalope, tu sais voir l’espoir. Bruxelles, capitale de l’Europe… » Judah Warsky, qui fait actuellement le buzz de l’autre côté de la frontière avec une déclaration d’amour à Bruxelles, n’habite pas à Saint-Gilles, Schaerbeek, Ixelles ou Molenbeek. Il crèche à Paris du côté de La Chapelle. Mais qu’ils lui déclarent leur flamme ou non, la ville de l’Atomium, du Manneken-Pis, de Crammed Discs et de l’Archiduc n’en est pas moins une terre pour musicos expatriés. Rockeurs, poppeux, folkeux ou jazzmen…
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Le déjanté McCloud Zicmuse (Le Ton Mité, Hoquets) en sait quelque chose. McCloud s’est installé à Bruxelles en 2008. « J’y ai joué avec mon projet solo et je suis tombé amoureux de la ville. Sous le charme de sa diversité, de son chaos, de son architecture renaissance flamande/art nouveau, raconte le mec originaire d’Olympia, dans l’Etat de Washington. En plus, les filles sont jolies et j’aime bien les frites. » Sa passion pour nos contrées, McCloud l’a chantée. Partageant avec ses farfelus et passionnants complices de Hoquets la vision d’un Américain sur le pays du chocolat, de la bière et des moules… « Avant même qu’on bosse sur Belgotronics, j’avais écrit des morceaux comme Maïs, qui parle du centre de Bruxelles, ou encore Potagers, inspiré par les petits jardins entre les rails de tram à Schaerbeek. A Bruxelles, vous possédez une grande richesse de folklore, de tradition et le rapport décomplexé que vous entretenez avec eux leur permet de vivre et d’avancer. »
Françoiz Breut, qui lui rend hommage à travers Bxl Bleuette, titre d’ouverture de son dernier album, vit à Bruxelles depuis quatorze ans maintenant. Elle a débarqué une première fois en 1993 avec Dominique A. « J’habitais à Nantes, j’étais illustratrice et me disais que Bruxelles, c’était sans doute pas mal… Dominique n’a pas du tout apprécié la ville à l’époque et on est parti au bout de deux ans. » Breut est revenue en 2000 pour enregistrer aux studios Caraïbes. Elle a rencontré son compagnon et a posé son baluchon. « A Paris, il m’était difficile de travailler. Ça grouille. On vit les uns sur les autres. Ce ne sont pas les musiciens qui manquent mais l’espace. En même temps, s’adapter à une ville nécessite du temps. En arrivant en Belgique, il a fallu que je me recrée un cercle d’amis, me trouve de nouveaux partenaires de jeu. «
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Ces immigrés de la culture, expatriés de la musique, voient comme tout le monde la ville muter. « Il y a 20 ans, observe la musicienne, le centre partait en miettes, baignait dans une ambiance désuète. Et les administrations ressemblaient à celles d’Europe de l’Est. Bruxelles s’est embellie. Bruxelles s’est enrichie. Mais elle perd de son âme. Les quartiers changent. Deviennent tout lisses. Aujourd’hui, on te parle en anglais dans les cafés. En français ou en flamand, je veux bien… Mais en anglais? »
« Quand on me demande pourquoi je ne parle pas encore le français, je dis que je suis en train d’apprendre le néerlandais. Et quand on me demande pourquoi je ne parle pas encore le néerlandais, je réponds que je commence le français », rigole Robin Proper-Sheppard. Originaire de San Diego, Robin a lui aussi vécu à Bruxelles et il y revient plus souvent qu’à son tour. Le Californien avait débarqué à Londres avec son groupe, The God Machine, au début des années 90. « Quand Jimmy (Fernandez, son bassiste, emporté par une tumeur au cerveau, ndlr) est décédé, j’ai pensé rentrer aux Etats-Unis avec ma femme et ma fille mais un ami m’a prêté un appartement rue de Flandres. C’est ainsi que j’ai débarqué à Bruxelles. Et puis Bang fut l’un de mes premiers distributeurs en Europe. Sans la Belgique, Sophia n’aurait d’ailleurs pas connu le même destin. Je ne pensais pas tourner avec ce projet. Mais je vivais à Londres et Georges de Bang voulait que je vienne boire des coups avec lui. Il m’a motivé à accepter trois concerts qui sont devenus deux semaines puis un mois entier de tournée. »
Plus cool et moins cher
L’attrait de Bruxelles tient souvent à des raisons pratiques et géographiques. « Bruxelles est moins chère que Londres ou Paris et te permet d’être un artiste sans devoir te sentir financièrement sous pression, note Proper-Sheppard. Pour les artistes en général, et les musiciens en particulier, sa position, centrale, sur la carte de l’Europe est un atout. En plus, quand j’ai décidé de m’y poser, c’était le début des compagnies low-cost. Des vols Virgin démarraient de Zaventem à des prix on ne peut plus attractifs. Je pouvais à l’aise prendre l’avion pour un concert en Italie. »
Le Français François Marry de Frànçois and The Atlas Mountains, signé chez Domino, ne vit pas encore à Bruxelles mais il est en passe de s’installer. « Je cherche encore un appartement. Par facilité, et parce que je dois souvent me rendre à Paris, je vise le coin de la Gare du Midi. Je suis déjà venu deux semaines faire du repérage. Je passe mon temps sur Immoweb. »
Ce déménagement, pour lui, c’est un peu un projet commun. Amaury Ranger, multi-instrumentiste du groupe, vit à Bruxelles depuis août. « On est venu jouer une paire de fois ici. J’ai tout de suite apprécié les gens, la chaleur humaine, raconte Amaury. On vivait à Bordeaux depuis quelques années. Culturellement, la ville a connu un creux. Dans la création mais aussi en termes d’infrastructures. Beaucoup de salles ont fermé. Forcément, il y avait moins d’offre. Ça devenait compliqué. Je me sentais un peu frustré. Je me suis dit que Bruxelles était une bonne alternative. D’autant qu’on passait trop de temps dans le van à faire Bordeaux-Calais, Calais-Bordeaux, soit dix heures de route. On a même refusé pas mal de dates en Allemagne à cause de notre éloignement. »
« Ayant vécu en Grande-Bretagne, je trouve que la Belgique combine la francophonie et la mentalité anglo-saxonne, ajoute François. Plus cool. Moins intellectualisante. »
Fasciné par Les Brochettes, un groupe des années 90 qui faisait de la musique lo-fi avec des claviers Casio, mais aussi par un label comme Crammed, Marry a pas mal fantasmé la Belgique, Bruxelles, sa modernité culturelle. « En Belgique, on trouve beaucoup de choses audacieuses. La musique est moins formatée que chez nous. Vous semblez moins baigner dans le jugement constant. Je perçois davantage un vrai plaisir de création. Même Stromae, qui est hyper mainstream, me semble vachement intéressant dans son genre. Avec sa manière de chanter, ses samples aussi, Stromae creuse son sillon. En France, si tu veux réussir dans la musique, tu dois creuser le sillon des autres. »
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La musique de Hoquets, leur Belgitude qui lui rappelait les tribus africaines parlant de leur village, l’ont aussi beaucoup inspiré. Mais François entretient une relation étroite avec la peinture. « Je suis très intéressé par Spilliaert, ses tableaux sur les côtes belges. Outre sa noirceur, son trait me fascine. Ça date du début du siècle mais ça tend vers ce qui se fera en bande dessinée après. En décembre dernier, j’ai visité le Musée Magritte avec ma copine. On s’est endormis dans la salle de L’Empire des lumières et on s’est réveillés là, sous la bienveillance de ce tableau. C’était très beau. »
Consommateurs de culture, les (futurs) exilés? Certes. Mais une culture qu’ils font eux aussi bouillonner. « J’ai la volonté d’apporter quelque chose à Bruxelles, intervient Amaury qui vient d’organiser au Brass la première édition bruxelloise de ses soirées Coconut. Avec Maxime Le Hung (Hoquets, le label Matamore, ndlr), on a ouvert La Carotte, un café culturel associatif à Schaerbeek, à côté du parc Josaphat. On a un local de répétition en bas où on peut travailler librement. Et où on croise Françoiz Breut, Sylvain Chauveau, les membres de Hoquets… Mais l’idée est aussi de créer du lien dans le quartier. Avec, en haut, un café culturel associatif où il y aura des concerts, des expos, des ciné-clubs. »
Rencontres du 3e type
Originaire de l’Indiana, « le Luxembourg des Etats-Unis », Bruce Ellison, chanteur de PPZ30 qui papillonne aujourd’hui dans le jazz (The Swell Rhythm Combo, The Jellodies), a débarqué à la capitale il y a un quart de siècle via une formation de trois ans à Paris chez le Mime Marceau. « En compagnie d’un ami belge, on est venus créer un spectacle à Bruxelles. Vu son succès, on a tourné pendant cinq ans, se souvient le comédien. A la fin, on a organisé une grande fête et j’ai invité les punks d’en face. Ils tiraient des tronches jusque par terre: ils venaient de se séparer, ou du moins de perdre deux membres. Et ils m’ont proposé de devenir leur chanteur. Depuis 24 ans, ce sont les rencontres et les projets qui me tiennent à Bruxelles. Je me considère comme un plouc qui a eu beaucoup de chance. »
Autre genre. Autre histoire. La folkeuse originaire d’Avranches Clare Louise, idée un peu folle de soirée imbibée entre amis, a débarqué pour entreprendre un DES en gestion culturelle à l’ULB avant de se faire embaucher à la Communauté française. Quant à l’Américaine Christina Vantzou, qui vient de sortir No. 2, son nouvel album, chez Kranky, elle a atterri ici par le plus grand des hasards. « J’allais en Grèce où vit une partie de ma famille et mon avion a dû faire une halte imprévue de 24 heures à Zaventem. Ça m’embêtait plus qu’autre chose mais cette journée-là j’ai rencontré Adam Wiltzie (A Winged Victory for the Sullen, ndlr) qui vivait déjà en ville depuis quelques années. Il a vu mes vidéos et a suggéré qu’on monte un projet ensemble. The Dead Texan était né et un an plus tard j’emménageais dans cette ville où j’ai trouvé le silence et l’espace dont j’ai besoin. C’était le début de mes aventures musicales. »
Il y a quelque chose de logique à ce que ces deux Américains-là vivent dans la capitale de l’Europe. Tant leur musique semble plus proche du Vieux Continent que du vieil oncle Sam. « Je ne suis pas sûre que j’existerais aux Etats-Unis comme j’existe ici. D’autant que j’ai pu bénéficier d’aides financières, qui permettent aux artistes comme moi de se concentrer sur leur travail. Le cycle Silence Is Sexy de l’AB est une belle preuve de la manière dont la musique peut fonctionner en Belgique. Johann Johannsson a donné pas mal de ses plus grands concerts ici. Ensemble, ils ont préparé le terrain pour les compositeurs classiques contemporains. » Last but not least et tout un symbole: formé à Bruxelles, Puggy, l’un des groupes belges les plus plébiscités (il a, pour la petite histoire, d’abord fait son trou au Royaume-Uni), est composé d’un Anglais, d’un Français et d’un Suédois… Expats forever.
Génération 80
Les Californiens de Tuxedomoon (ils ont vécu en Belgique pendant huit ans) ou encore les Israéliens à la new-wave décloisonnée de Minimal Compact emmenés par Samy Birnbach (DJ Morpheus)… Dans les années 80, bien avant que les Miossec, les Bénabar et les Mathieu Boogaerts viennent y prendre l’air, bon nombre de musiciens étrangers traînaient déjà leurs guêtres sur le pavé bruxellois. La faute essentiellement à deux labels indépendants, mystérieux et audacieux: Crammed Discs et Les Disques du Crépuscule. « Il n’y avait pas autant de clubs et de concerts qu’aujourd’hui mais on produisait beaucoup de musique en ville. Ça participait au va-et-vient, explique le patron du premier, Marc Hollander. Colin Newman de Wire par exemple est resté ici pendant quatre ou cinq ans. Il était venu produire un album de Minimal Compact et il est tombé amoureux de la bassiste. Un hasard. Des trucs qui arrivent de fil en aiguille. Mais il y aussi des groupes à qui on a conseillé de venir s’installer chez nous. Pour pouvoir tourner à moindre frais et faire de la promo plus facilement. Et quelque part briser leur isolement. »
Dans le temps, ce fut le cas avec les rockeurs norvégiens de Bel Canto. Et tout récemment avec Lonely Drifter Karen. « Elle est autrichienne. Lui de Majorque. Ils vivaient à Barcelone et pensaient partir s’installer en Suède ou en Ecosse… » Un non-sens.
En attendant, selon Hollander, ces exilés de la musique ont inspiré beaucoup de groupes belges dans les eighties. « Et ils ont d’ailleurs apporté leur contribution à des disques. » The Brussels musical melting-pot…
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