Concert - SCH
Date - 14/12/2024
Salle - Forest National
Critique - L.H.
Samedi soir, le rappeur SCH était à Forest National pour clore sa trilogie JVLIVS. Zappant ses tubes les plus mainstream, le Marseillais n’aura jamais aussi bien chanté son mafia blues. Compte-rendu.
En 2018, SCH sortait son troisième album, JVLIVS. Et le présentait d’emblée comme le premier volet d’une trilogie. Une sorte de polar à la marseillaise, aux accents cinéma prononcés, façon French connection 2.0. Un album-concept au moment où le rap FR explosait les records sur les plateforme de streaming à coup de singles tubesques. Six ans plus tard, Julien Schwarzer de son vrai nom clôt sa saga avec l’album Ad Finem – quelques mois après le prequel Giulio. Entre-temps, il est devenu l’une des têtes de gondole de la scène rap hexagonale. Et même une figure pop en tant que telle, depuis qu’il a participé au 13 organisé de Jul, et occupé le siège de coach dans la Nouvelle école de Netflix.
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Samedi soir, à Forest National, il n’y en avait toutefois (quasi) que pour JVLIVS. Autrement dit : pas de Bande organisée, ni de Fade Up – encore et toujours ses deux plus gros hits, ceux qui lui ont permis de toucher au mainstream. Un parti pris plutôt culotté. Pas certain que les autres cadors du rap FR auraient écarté aussi facilement leurs plus grosses « cartouches » de leur setlist…
Façon Al Capone
Mais SCH a un plan, ou du moins un scénario en tête. Comme annoncé, la séance, pardon le concert, démarre à 20h40 tapantes. Trois moines s’avancent alors sur scène, encensoir à la main pour bénir le défunt. L’ambiance est posée. Le décor ? Marseille évidemment. Sur les écrans, s’affiche le fameux panneau hollywoodien de la ville. Installé en 2016 sur la colline du grand littoral, comme outil promotionnel pour la série Netflix politico-mafieuse du même nom, il n’a toujours pas bougé… SCH déboule en veste en jeans à épaulettes, pimpée à la manière d’un toréador. « J’suis un rat, j’suis pas un héros/ je mets ton nom sur une balle », grince-t-il d’emblée sur Prequel. Julien Schwarzer est Julius, et ne sortira que très rarement de son rôle. Il faut dire qu’il le tient bien. A défaut d’être une bête de scène, SCH est un interprète charismatique, le débit teigneux, la rime vicieuse. A Forest, il n’a pas besoin d’en faire des tonnes ou de forcer son talent pour imposer son personnage.
Derrière lui, les cinq écrans légèrement décalés, créent une impression de profondeur et de relief. S’y succèdent les différents décors de la saga. Des rues sombres du quartier Noailles (Hell’s Kitchen) aux lustres éclatants d’une villa calabraise (Batterie vide), en passant par les murs froids d’une cathédrale déserte (« Sous les yeux de Marie/Toutes les prières de la Major », sur Skydweller) ou les docks du port en feu (Marché noir). Des comédiens viennent également animer les différents tableaux – ici une scène de deal, là le passage à tabac d’un rival, etc. Comme tout film de genre, la limite entre citations et clichés est souvent très ténue. Quitte même à frôler parfois le grotesque. Les tireurs sur la terrasse de la villa n’effrayent évidemment pas grand-monde. Et quand SCH tire en l’air avec une mitraillette à chargeur camembert, façon Al Capone, on n’est plus très loin du grand-guignolesque. Ce qui est d’ailleurs peut-être le but. Rappeler que tout ça, malgré tout, n’est que du cinéma. Surtout quand la fiction a eu parfois l’air, ces derniers temps, de rejoindre la réalité…
Fuck le top album
Au début du concert, SCH donne d’ailleurs l’impression de tenir les événements à distance, les commentant plus qu’il ne les joue. Petit à petit, il rentrera cependant dans l’écran. Quand on vient lui apporter une cigarette sur une plateau, ou qu’il enfile sa veste en fourrure, il est Giulio. Un petit débrouillard devenu le Baron rouge, parrain mafieux, pris dans un engrenage de violences. S’écartant rarement d’une trap ténébreuse et mélancolique, il incarne parfaitement ce double faustien, tiraillé entre sa morale et ses vices. A la moitié du concert, dès Marché noir, l’ambiance bascule d’ailleurs lentement. Dans la dernière ligne droite, juste après le triplé gagnant Crack–Champs Elysées–Loup noir -, elle devient particulièrement sombre.
Pour cause, hormis Je la connais, ressorti de l’album Anarchie (2016), SCH se concentre sur les humeurs crépusculaires du récent Ad Finem. « Fuck le top album, fuck être dans le tempo », annonce-t-il sur Stigmates, au bout d’un concert en effet peu préoccupé par l’idée d’aligner les hits à tout prix. C’est aussi à ce moment-là qu’il est rejoint par une violoncelliste, un guitariste et un claviériste. Une touche instrumentale, qui loin d’être un simple gadget scénique, ajoute encore un peu plus à la dramaturgie. Du beat dance claustrophobe de Quartiers nord à la mélodie morose de 02:00 (sans Damso), en passant par le poignant piano-voix de La pluie (« Le personnage n’a pas de coeur/C’est fort dommage, l’auteur aussi »), le rappeur baigne dans une lumière noire et blanche étouffante. Plus besoin de grand décorum. Flow de seigneur scélérat, écriture acrobatique, SCH est impérial. Rarement il n’aura aussi bien chanté son mafia blues.
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