Mercredi soir, Dua Lipa donnait le premier de ses trois concerts au Sportpaleis d’Anvers. Récit d’un show pop à l’ancienne, où il est question d’Axelle Red, Julia Roberts et Bojack Horseman.
Quand Dua Lipa apparaît, sur le coup de 20h30, elle n’est encore qu’une ombre. Un profil découpé sur fond bleu marine, perché au-dessus de la scène en forme de vague. Petit rouleau inoffensif ou grand tsunami emportant tout sur son passage ? On allait voir ce qu’on allait voir, lors du premier des trois concerts, quasi tous sold out, au Sportpaleis d’Anvers. Pas question de round d’observation ou d’échauffement. « Es-tu dans mon équipe ou coincé sur le côté, attendant que quelqu’un te dise d’y aller » (« Are you on my team or stuck on the sidelines, waiting for someone to tell you to go? »), questionne-t-elle dans Training Season. A-t-on vraiment le choix ?
Au-dessus de la seconde plus petite scène, avancée au milieu du public, deux cercles se chevauchent, à la manière d’un casse-tête. Précisément : ces dernières années, Dua Lipa fait partie de celles qui ont su le mieux résoudre l’énigme pop, cet art d’apparence extrêmement simple et pourtant terriblement complexe à mettre en oeuvre. Avec des tubes comme New Rules ou Be The One – servis en fin de set-, et surtout son album Future Nostalgia qui, publié en 2020, en pleine pandémie, servira de grand exutoire dance au confinement. Son successeur Radical Optimism a paru l’an dernier. Sans tout à fait provoquer le même raz-de-marée, mais en confirmant malgré tout le rang de la chanteuse albano-britannique au sein du gotha musical.
Dua Lingo
Une place forgée à coup de hits volontiers référencés, piochant dans les années 80-90. Comme One Kiss, scie dance manigancée avec Calvin Harris. Sur la scène du Sportpaleis, il est prolongé/remixé avec des citations du classique disco Keep On Jumpin’. On est alors à peine au quart d’heure, et la fête bat déjà son plein. Entourée d’une douzaine de danseurs, Dua Lipa suit les codes du grand show – découpé en quatre tableaux principaux, pour autant de changements de tenue. Mais à sa manière. Alors que les bandes-son sont devenues ainsi quasi incontournables dans les grandes messes pop, la star est encore accompagnée d’un vrai groupe – dont elle présente chaque musicien. Elle chante aussi, pleinement, sans se cacher – pour la ballade piano Anything for Love, en toute fin de concert, elle terminera même a capella. Et, petit détail qui a son importance, avec un micro tenu à la main. A l’ancienne.
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Dua Lipa fait dans la simplicité. Et la proximité, fidèle à l’image qu’elle a construite depuis le début. Certes, la chanteuse évolue dans des sphères que seules fréquentent celles qui sont aussi devenues égéries de mode. Mais elle continue malgré tout à cultiver l’image de la girl-next-door, partie de rien pour concrétiser ses rêves, moquée au début pour son manque de charisme et ses difficultés à suivre ses chorégraphies, et devenue aujourd’hui une show-girl inarrêtable. Pendant que l’on installe le groupe à l’avant-scène, elle prend ainsi le temps de descendre dans la fosse pour saluer, pendant de longues minutes, les premiers rangs. Elle discute, prend des selfies, multiplie les accolades. A la fois icône disco, fuselée dans sa tenue argentée, et meilleure copine.
De la même manière, l’ultra-star internationale qu’elle est devenue se fait fort d’interpréter chaque soir une reprise d’un artiste du pays visité. Comme Alizée (Lolita) ou Indila (Dernière danse) en France, Raffaella Carrà (A far l’amore comincia tu) en Italie, Alphaville (Forever Young) ou Lena (99 Luftballons) en Allemagne, etc. Et en Belgique ? Comment allait-elle se sortir du piège communautaire ? Maligne, Dua Lipa va reprendre à Anvers une artiste flamande, Axelle Red, chantant en français – Sensualité. Bien joué.
Pretty woman
On a alors atteint plus ou moins la moitié d’un concert haletant, et Dua Lipa n’a plus qu’à lancer la charge. Elle enchaîne Physical, Electricity et une version extatique de Hallucinate. Le K.O. n’est pas loin. Ne manque pour cela qu’une petite étincelle supplémentaire. Spectaculaire mais relativement classique dans sa forme, le show file droit, un peu trop même. Presque sage. Dua Lipa semblant même par moment un peu émoussée – on le serait à moins, après un an de tournée. Alors que d’autres collègues se lancent volontiers dans des mises en scènes théâtrales (Chappell Roan) ou jouent les pestouilles en léchant le sol de la scène (Charli XCX), la vedette du soir semble vouloir rester dans les clou d’une parade pop presque old school. Les hits défilent, parfaitement maîtrisés. Mais sans qu’ils ne se retrouvent sublimés dans un univers plus riche. Il existe pourtant une autre Dua Lipa – celle qui interviewe par exemple des écrivains dans son podcast littéraire ou qui n’hésite pas à prendre position sur Gaza, l’une des premières (des seules) à parler de génocide de la part d’Israël, il y a plus d’un an d’ici.
Mercredi soir, au Sportpaleis, cette autre version de la star est restée toutefois en coulisses. C’est un choix qui, à nouveau, n’empêche pas un concert où l’on ne s’ennuie pas une seule seconde. Mais qui manque d’un récit plus large. On repense à cet interlude : sur le grand écran, des chevaux courent au ralenti, en pleine nature. Selon, la séquence fera penser soit à une pub pour des cigarettes des années 80 (à nouveau). Soit à l’une des scènes les plus bouleversantes de la série Bojack Horseman, quand le personnage principal, miné par la célébrité, voit passer un troupeau de chevaux sauvages, questionnant ses propres rêves de liberté. On n’est pas en train d’écrire que Dua Lipa se retrouve aujourd’hui écrasée par le poids de sa notoriété et de son statut d’icône pop. En réalité, à même pas 30 ans (elle les aura au mois d’août), la chanteuse vit sans doute juste son rêve. Elle est un peu l’équivalent d’une Julia Roberts, aussi craquante qu’attachante, dans Pretty Woman. On est juste curieux de voir ce qu’elle va donner dans Erin Brockovich…