Discret mais prolixe, Chaton sera en concert ce vendredi 25 avril au Botanique. Dans ses bagages, ses chansons-dub minimalistes à la sincérité crue, avec pour seul filtre son autotune lunaire. Avant de tirer sa révérence pour de bon?
C’était en 2018. On découvrait Chaton et son album Possible. Une collection de chansons insulaires et minimalistes, gorgées d’échos reggae-dub existentiels et d’auto-tune lunaire. Avec déjà une idée fixe : dire la vérité, rien que la vérité, y compris les plus douloureuses – « Au bord de la faillite, je continue d’écrire des poésies », avouait-il sur son single-manifeste Poésie. Simon Rochon Cohen, de son vrai nom, ne cachait rien. Ni son passé de compositeur de l’ombre, planqué dans les coulisses de la variété française (pour Yannick Noah, Natasha St-Pier, Jenifer, etc). Ni son envie de s’en éloigner le plus possible pour « sauver sa peau ».
A l’époque, Chaton était encore soutenu par une major. Depuis, il a pris ses cliques et ses claques pour naviguer toujours plus en solitaire, chérissant son indépendance. Quitte à disparaître des radars, s’éloignant même des réseaux sociaux. Qu’il nous pardonne : emporté par le flot de l’actu, on avait ainsi perdu sa trace. Chaton n’a pourtant jamais arrêté de produire. Après les 11 ( !) albums publiés l’an dernier, il en a déjà sorti trois autres depuis le début de l’année. Aussi barrés que touchants, capables d’irriter autant que de bouleverser. Il sort en outre son tout premier featuring de sa carrière (avec Biga Ranx) et repart sur les routes pour une série de concerts. Ce vendredi 25 avril, il sera ainsi de retour sur la scène du Botanique. L’occasion d’une conversation avec un artiste qui a décidé à un moment de ne plus tricher.
Cela fait longtemps. Pourquoi ce silence médiatique ?
C’est juste que je n’ai pas grand-chose de spécial à dire de plus que ce que je raconte déjà dans ma musique. Et puis, je ne suis pas facilement joignable. Il n’y a pas beaucoup de gens qui ont mes coordonnées. Au départ, c’était pour des raisons privées, pour m’éloigner de certaines relations un peu toxiques. Mais comme chez moi, tout est lié, cela se ressent forcément sur le côté professionnel. Mais si on m’invite à parler, je réponds toujours. La preuve…
Sauf que cette discrétion s’étend même aux réseaux sociaux. Ce n’est pas suicidaire pour un artiste en 2025 ?
Je ne suis pas sur les réseaux parce que je suis concentré sur ma musique. Je veux lui consacrer le plus de temps possible. Comme je fonctionne en totale indépendance, je fais tout : j’édite, j’écris, je compose, je joue, j’interprète, je produis, etc. En ligne directe, de ma cuisine aux plateformes. Tout cela demande beaucoup de temps. Et comme j’ai aussi deux enfants, et que je veux m’occuper d’eux, je veux éviter de me disperser. D’autant que les réseaux sociaux sont très chronophages. Mais il n’y a aucun statement là-derrière. Si j’avais deux journées en une, par exemple, ce ne serait pas un souci de passer du temps à répondre à mes DM, comme j’ai pu le faire à un moment. Mais ce n’est pas le cas. Donc je me fixe un ordre de priorités.
Le prix de cette indépendance n’est-il pas parfois trop lourd à payer ?
Je n’ai aucun contrat avec personne, je ne suis lié à rien. Si demain, je veux tout arrêter, tout retirer, je peux. Parce qu’au fond, ce n’est pas une question de confort professionnel ou économique. C’est une question de liberté. Je veux pouvoir me lever le matin et suivre mes envies. Il se trouve que 90 pc du temps, je veux faire de la musique et bosser. Mais si je préfère passer la journée avec mes enfants, je le fais. Ou partir pour quelques dates en tournée. Ou à l’inverse de ne pas sortir d’album pendant deux ans. Bien sûr, je pourrais probablement avoir plus d’audience, vendre plus d’albums, et remplir plus de salles si je jouais davantage le « jeu ». Mais ce serait au détriment d’une forme de liberté vraiment absolue qui est géniale. Et puis, j’ai un gros problème avec l’autorité. De ne pas en avoir c’est un régal. Je suis prêt à payer le prix.
Sur le morceau La gifle, tu racontes pourtant : “Je me rends compte que ce n’est pas viable, je suis vaincu par le système”…
C’est le propre de mon travail : je dis exactement ce que je pense. Avec tout ce que cela suppose de contradictions. Ma phrase préférée par exemple, c’est : « chaque matin je reviens de très loin ». J’ai une énorme sensibilité, qui fait que je peux aller très haut comme très bas dans les humeurs. Je compose avec ça. Quand je fais La gifle, c’est une note vocale que j’enregistre le 6 ou 7 janvier, quand je reçois les chiffres de l’année de la Sacem, et que je suis déçu. A ce moment-là j’ai juste envie de tout jeter à la poubelle, et de partir en courant. Et en même temps, pondre un morceau pour dire « j’arrête », c’est encore faire de la musique. Même quand je veux stopper, je continue. D’ailleurs, le morceau qui suit, Jérémie, dit que je « peux pas finir là-dessus ». Parce que le plaisir de créer est incomparable. J’ai pas mal voyagé, j’ai fait plein de choses dans ma vie, mais créer reste encore l’une de sensations le plus rares que j’ai pu expérimenter.
« J’ai promis à Alpha, j’arrête pas tant qu’on m’aime pas », sur Alpha Freestyle…
Ce projet existe parce que je voulais partir de la variété. Parce que je ne supportais pas d’être dirigé par des gens que je trouvais moins talentueux que moi. Des personnes qui avaient moins de choses à dire ou qui savaient moins bien le dire. Du coup il y a une dizaine d’années j’ai créé ma société et je suis parti pour être libre. Cela a été une bagarre absolue pour la maintenir et la faire vivre. Depuis trois ans, elle est en progression constante. Mais cela reste compliqué. Parce que j’ai aussi une ambition énorme, de produire des choses belles et que cela touche les gens. Cela ne veut pas dire que j’espère remplir un Stade de France. Je préfère m’adresser à 500 personnes avec qui je parle la même langue et qui trouve un intérêt profond à ma musique, plutôt qu’à 50 000 qui trouve mes chansons « sympas »…
La musique de Chaton est unique en son genre, mais pas forcément « compliquée ». Ne penses-tu pas malgré tout qu’elle pourrait atteindre plus de gens ?
Je connais bien l’industrie de la musique. Et je ne suis pas dupe. Je fais des chansons où la voix est souvent traitée, et qui se nourrissent de reggae ou de dub. Je ne peux pas aspirer aux mêmes choses que si je faisais des morceaux guitare-voix ou si je reprenais plus franchement les codes de la variété. Je ne vais pas parler à la terre entière. Mais je suis ok avec ça.
Depuis le début de l’année, tu as sorti pas moins de trois albums: Bonnie m’a ghoster, Rome et La Pure. C’est beaucoup…
Oui, c’est sûr, cela n’aide probablement pas. En fait, je pense que ma plus grande passion est mon plus gros frein. Cela rend le signal plus diffus : parfois je fais du dub autotuné, parfois de la techno, etc. En ce sens, ma liberté est à la fois ma meilleure amie et ma meilleure ennemie. Si je manageais un artiste comme moi, je lui dirais que c’est n’importe quoi. Tu ne peux pas demander autant d’attention aux gens, avec une musique qui n’est pas calibrée, etc. Mais tant pis. Je privilégie la pureté de l‘art, quitte à être désordonné, et livrer un objet qui n’est pas facilement exploitable pour la majorité de gens. Je pense que le liant est la sincérité du propos, le fait qu’il y a pas de filtre, vu que je le fais pour sauver ma life…
Mon travail est plus important que de savoir si je pourrai mettre du fromage dans mes pâtes à la fin du mois
Toute vérité est-elle bonne à dire ?
Oui, je le pense. Même si ce n’est pas toujours simple. L’être humain n’est pas une très belle espèce, il a plein de zones d’ombre. Mais même atroce, la vérité est moins laide qu’un mensonge. Cela n’empêche pas le débat, au contraire. Mais sur une base d’honnêteté. Pour pouvoir faire ce que je fais, j’ai par exemple été obligé de couper les ponts avec plein de gens. Ma famille ne me parle plus. Cela me coûte, c’est terrible. Mais mon travail reste plus important que ma propre condition. Ma personne passe au second plan. La contribution que mon travail, à sa petite échelle, peut éventuellement apporter à un monde plus juste, est bien plus importante que de savoir si je pourrai encore mettre du fromage dans mes pâtes à la fin du mois…
En février de l’année prochaine, une « ultime » date est prévue à l’Olympia. Et puis ?
Je sors ces jours-ci un second livre, Autopsie d’un météore. Je ne veux pas spoiler, mais je raconte à la fin pourquoi ce concert sera en effet le dernier. Théoriquement, ce sera le « bouquet final ». Mais je ne sais pas forcément encore de quoi ? De Chaton ? Du projet sous cette forme ? J’ai conscience que cela fait un peu drama king. Mais ce n’est pas un jeu. Pour l’instant, c’est le plan. Dans l’une de mes premières chansons, je chantais : « Mon nom affiché/Olympia complet/J’en rêve » (NdR : sur Coco). Là, on y est presque. Donc ce sera au moins la fin d’un chapitre. Et si c’est la dernière, c’est cool de refaire encore un petit tour avant, et de passer dans des salles comme le Bota, que j’aime beaucoup.
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