Notwist again: « Ce n’est pas qu’on cherche la mélancolie, on ne réfléchit guère à tout ça »
Avec l’aide d’Angel Bat Dawid, Juana Molina, Ben LaMar Gay et Saya, les Allemands de The Notwist questionnent les notions de groupe et d’identité nationale sur un album soigné et vertigineux.
« État de dépression, de tristesse vague, de dégoût de la vie. Propension habituelle au pessimisme. » La première définition de la mélancolie proposée par le Larousse est un peu plombée. La deuxième – « caractéristique dominante de quelque chose qui inspire de la tristesse »– colle davantage à la musique de The Notwist, à ses paysages sonores et à la voix bouleversante de Markus Acher. « Ce n’est pas qu’on la cherche, dit-il. On ne réfléchit guère trop à tout ça. On aime et propose juste un certain type de musique qui dégage cette ambiance si caractéristique. » Spleen pop, cafard kraut soyeux, électronica désenchantée… Les Allemands ont toujours eu l’humeur nostalgique et un brin désabusée. Mais la mélancolie n’est-elle pas, aussi, un acte politique? À sa manière une forme de rébellion?
Leur nouvel album, Vertigo Days, parle de ces moments où tout bascule, de ces instants où tout change drastiquement dans nos vies. Le titre du disque ne remonte qu’à l’automne mais ne fait pas référence qu’à la catastrophe sanitaire. « Je pense à une séparation, un accident. À ces choses qui peuvent arriver n’importe quand dans ton existence. Et donc à ces moments où tu as l’impression que le sol se dérobe sous tes pieds, où tout semble avoir la tête à l’envers. Cette pandémie a donné à ce sentiment une signification plus universelle que jamais. Le monde entier a été chamboulé. Nos vies ont changé. Rien n’est plus comme avant. »
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Originaire de Weilheim, une petite ville de Bavière plantée à une cinquantaine de kilomètres de Munich, Markus n’a pas seulement The Notwist et une tripotée de groupes pour en juger. Il possède aussi son label, Alien Transistor, et programme depuis cinq ans le festival Alien Disko. « La situation est difficile bien sûr. Comme on ne sait rien prévoir, on fonctionne en réaction. On ne désespère pas. On cherche de nouvelles manières de faire. J’ai été fort inspiré par certains de nos amis japonais. Ils ont immédiatement commencé à s’organiser. Ils ont créé une radio et un site web totalement indépendant où ils chargent de la musique et des albums de leur potes pour le streaming et le téléchargement (Minna Kikeru, NDLR). Ça permet aux groupes et aux auditeurs d’entrer en contact. C’est aussi très politique et indépendant. Tout ça fonctionne sans les gros opérateurs. »
À leur manière, à leur échelle, les Teutons se sont eux aussi inventé de nouvelles méthodes de travail. « Avec notre groupe acoustique, Micha et moi jouons sur des toits, ici, à Munich. Dans des jardins aussi pour des gens qui nous regardent depuis leurs balcons. C’est dur et compliqué mais d’un autre côté, quand tu es limité, quand tu ne vois pas trop quoi faire, tu dois penser différemment. Ça aide à faire germer de nouvelles idées et à tout repenser. Cet album nous a rappelé pourquoi on s’était mis à la musique au départ. On ne savait pas où on allait, qui nous sortirait. Ça a été très improvisé, très spontané. On a partagé des morceaux aussi rapidement que possible. Sans clip. Sans grosse promo. C’est quelque chose qu’on n’aurait jamais fait sans cette crise. »
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Casting 5 étoiles
The Notwist avait déjà bien avancé dans son disque quand le Covid nous est tombé dessus en mars 2020. Il se penchait sur son mixage et ses arrangements. « Heureusement, la majeure partie de la musique avait été enregistrée, retrace le batteur Cico Beck. Pendant un moment, il nous a été interdit de nous voir. Mais à d’autres, on a eu la chance de pouvoir se rassembler physiquement pour finir tout ça. Avec les invités, ça nous a même facilité la tâche. Parce que tout le monde était chez lui. Personne n’était accaparé par une tournée et des concerts. »
The Notwist commence à plancher sur l’album dès 2015. À l’époque, les Bavarois évoquent la création de nouvelle musique et réfléchissent à la manière de s’y prendre. Les idées vont et viennent. « Je me souviens qu’on écoutait beaucoup l’album Foam Island de Darkstar. On en parlait. On voulait se diriger vers quelque chose de plus électronique. De plus upbeat j’ai envie de dire. Mais c’était juste une idée amusante. Elle ne s’est pas vraiment matérialisée. » Vertigo Days s’est construit patiemment. D’improvisations en sessions d’enregistrement. « On a utilisé certaines des impros pour l’album mais on a aussi développé des chansons que Markus composait chez lui. Des trucs plus classiques avec de vraies mélodies. »
Les guests ont fait le reste. C’est l’une des grandes particularités de Vertigo Days, le premier album de The Notwist depuis sept ans. Les Allemands y ont convié des invités de premier choix. Un casting cinq étoiles dans lequel figurent leur pote japonaise Saya, la one-woman-band de Buenos Aires Juana Molina, la chanteuse et clarinettiste de Chicago Angel Bat Dawid ou encore le cornettiste et ancien graffeur, Chicagoan lui aussi, Ben LaMar Gay. « On avait invité Angel et Juana à notre festival mais elles n’avaient pas pu venir, reprend Markus. On est restés en contact. Je ne les connaissais pas personnellement. Ni l’une ni l’autre. Je ne les avais même jamais vues en concert. Avec Angel, on a participé à un projet commun. Une pièce radiophonique autour du poète beat Bob Kaufman. On lui a proposé d’ajouter un truc à cette chanson. Elle a vraiment rendu ce morceau spécial et intéressant. Elle a tout arrangé elle-même, créé sa propre structure. Un peu comme un remix. »
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LaMar Gay, lui, avait fait le déplacement et apprécié l’atmosphère munichoise… Les Allemands ont cherché à interroger la notion de groupe. « C’est le premier disque de The Notwist auquel je participe, concède Cico, mais il a toujours été important pour le groupe de se développer, de ne pas se répéter. C’était une nouvelle opportunité de changer la musique. Et ce en faisant appel à des gens dont on admirait le talent. »
Jardin japonais
Asie, Europe, Amérique du Nord et du Sud… Même si l’utilisation de différentes langues les intéressait, les frères Acher n’ont pas choisi leurs collaborateurs en fonction de leurs origines géographiques. Ils ont toutefois voulu questionner ou même davantage encore flouter le concept d’identité nationale. « C’est très important pour nous, reprend Markus. Ça appartient à la dimension politique de ce disque. Une réaction à la situation de ces dernières années avec l’ascension de gouvernements et de mouvements de droite populiste un peu partout. On a vraiment ressenti le besoin de connecter les gens. Beaucoup de monde aux quatre coins de la planète cherchent une alternative. »
Ces dernières années, Acher s’est trouvé des affinités avec la scène japonaise. Il a créé le groupe Spirit Fest avec les membres de Tenniscoats, a sorti sur son label des disques de leurs amis (Andersens, Yumbo) et a même proposé une déroutante compilation Minna Miteru concoctée par Saya qui travaille déjà sur sa suite. « Ça a été une chouette expérience. Beaucoup de gens étaient heureux en dehors du Japon. Parce que ce sont des disques qu’il est difficile d’acheter et des artistes que très peu de gens connaissent. Mais les musiciens aussi étaient très satisfaits. Il y a tant de trucs incroyables là-bas. On essaie de sortir davantage de choses de cette scène. Disque après disque. Pour l’instant, on est sur des espèces de rétrospectives de groupes. Mais il y aura de nouvelles compiles. »
Les membres de Rats on Rafts évoquaient pas plus tard que la semaine dernière dans ces colonnes leur amour du Japon et de ses musiques. « C’est très spécial, original, unique même, s’enthousiasme Markus. Ces groupes mélangent tellement de choses. Ils sont vraiment ouverts d’esprit. Avec des mélodies incroyables souvent. Je découvre des chansons formidables tout le temps. Des classiques pop quasiment. C’est très surprenant. Les arrangements aussi sont différents. Cette manière de mélanger l’électronique et les instruments acoustiques, les cuivres. Tous les quinze jours, ils m’envoient deux ou trois artistes que je ne connais pas et qui m’emballent. C’est fascinant. »
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Étonnant tout de même qu’avec les moyens de communication modernes et les réseaux sociaux actuels, la scène indé japonaise ne bénéficie pas de davantage de visibilité. « J’y vois différentes raisons. Le Japon est très isolé. Il est devenu nationaliste et conservateur. Ce qui n’est évidemment pas le cas de ces artistes. Je pense qu’ils essaient de se construire un réseau à l’intérieur même du pays pour pouvoir s’entraider. Ils pensent d’abord à se promouvoir et à grandir dans leurs frontières. Après, il y a eu le tremblement de terre. Une vraie crise. Les gens ont essayé de s’organiser. Mais voyager, regarder à l’étranger n’a pas figuré pendant ces années parmi les principales préoccupations. Le Japon est très loin. Il n’y a pas de soutien pour les musiciens. C’est une énorme étape pour eux d’attaquer l’international et de s’exporter. »
Histoire de boucler la boucle, la pochette de l’album est l’oeuvre de Lieko Shiga, une artiste japonaise qui joue avec l’obscurité et la lumière quelque part entre land art, performance et photographie. « C’est souvent à la croisée de l’installation et de la photo. Mis en scène, arrangé mais avec un aspect très naturel. J’ai trouvé le bouquin Blind Date (des photos de couples accrochés à des motos, NDLR) et ça m’a beaucoup parlé. J’en ai cherché d’autres. J’ai voulu en commander et je me suis retrouvé directement en contact avec elle. On a eu une chouette conversation. Quand on a terminé Ship, la première chanson de l’album, même avant Loose Ends qui a cette atmosphère sombre et cinématographique, on s’est dit que ça collerait bien avec ses atmosphères. »
Acher, qui la qualifie de spéciale et d’intense, parle même de Shiga comme d’une influence. « On avait son travail à l’esprit et je pense qu’il a infusé dans le disque. Vertigo Days est quelque part la bande originale de cette photo. L’album fonctionne un peu comme une BO et ses clichés sont parfois très cinématographiques. Ça colle et apporte une autre touche, une autre couche aux chansons. Lieko a contribué à la musique comme Juana, Angel et Saya… »
Distribué par Morr Music/Konkurrent. ****(*)
Sept ans se sont écoulés depuis leur dernier album studio Close to the Glass, six depuis The Messier Objects, collection d’instrumentaux inédits. Mieux qu’un retour gagnant, les Allemands de The Notwist réussissent avec Vertigo Days un véritable coup de maître. Avec son kraut rock léché, son electronica ciselée et sa pop mélancolique, The Notwist embarque l’auditeur dans ses voyages hypnotiques. Qu’ils atterrissent à Tokyo, Detroit ou Buenos Aires. Une merveille.
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Saya
Markus Acher: « J’ai découvert son duo Tenniscoats il y a de nombreuses années maintenant. On jouait avec Lali Puna à Tokyo dans le cadre d’un festival et j’ai demandé dans un magasin de disques qu’on me conseille des groupes indé japonais. J’ai déjà souvent collaboré avec elle. On connaissait sa voix, sa manière de chanter. Elle est incroyable quand il s’agit de trouver des mélodies. C’est peut-être la personne la plus douée que je connaisse en la matière. Ship est une chanson très kraut, un peu monotone. On s’est dit que quelqu’un qui viendrait chanter par-dessus en japonais lui donnerait une autre couleur. Une couleur moins germanique. Elle en a écrit elle-même les paroles. »
Angel Bat Dawid
Markus Acher: « Les gens la rangent dans la catégorie jazz comme les autres artistes de son label International Anthem. Mais Angel est très spéciale. Elle transcende le genre. Elle le rend plus ouvert et vivant. Elle le fait sonner comme quelque chose d’aujourd’hui et de maintenant. Ce n’est pas de la musique de musée, de la musique que tu étudies en tant que jazz à l’université. C’est comme si elle avait inventé son propre monde. Il y a de l’impro, du hip-hop, de l’électronique, du gospel, du r’n’b et du free dans ce qu’elle fait. On est des grands fans de jazz, mais quand on joue avec des musiciens, on aime que ça vive dans l’instant. Elle incarne quelque chose qu’on apprécie énormément. »
Juana Molina
Markus Acher: « Contrairement à Angel, Juana connaissait notre musique. On s’est retrouvés sur le même label, Domino, pendant un moment. Juana est incroyable. Une des artistes contemporaines les plus intéressantes. Elle a créé son propre genre. Il y a bien sûr dans son travail des références à la musique sud-américaine, à l’indé, à l’électro. Mais elle est unique, désarmante, fascinante. Son oeuvre est très personnelle. Tu sens que ce n’est pas de la musique intellectuelle et conceptuelle. C’est sa manière de communiquer. Nos invités ont, je pense, une manière de penser la musique assez proche de la nôtre. J’entends par là qu’ils sont ouverts d’esprit. »
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