Nicolas Michaux : “Imaginer un art «pur», déconnecté de ce qui se passe, me semble complètement nul et non avenu”

Nicolas Michaux sera à l’affiche de Musiques pour Gaza, ce 8 juin
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Ce dimanche 8 juin, le Central de La Louvière accueillera Musiques pour Gaza. L’occasion de lever des fonds et de sensibiliser à la situation de la population gazaouïe, à travers une affiche inédite. Au programme notamment, Nicolas Michaux. L’occasion de demander au chanteur-auteur-compositeur les raisons de sa présence et de son engagement en général, en tant qu’artiste.

L’événement aura lieu ce dimanche 8 juin, dès 16h. A La Louvière, le Central accueillera ce jour-là un grand concert  intitulé Musiques pour Gaza. Une affiche inédite organisée au profit à l’ONG palestinienne Ma’An, basée à Ramallah, en Cisjordanie, qui vient en aide à des enfants orphelins à Gaza, et Paix Juste au Proche-Orient, lancée en Belgique. Sur la scène du Théâtre de La Louvière, sont attendus pas moins d’une quinzaine d’artistes belges : Nicolas Michaux, An Pierlé, Benni, Daan, Noé Preszow, Saule, Stef Kamil Carlens, Françoiz Breut…

Un joli panel, particulièrement éclectique, mobilisé pour un sujet qui reste encore et toujours en une de l’actualité. Certains des artistes attendus à La Louvière étaient d’ailleurs déjà présents à Together for Palestine, autre affiche caritative, montée il y a précisément 4 mois d’ici, aux Halles de Schaerbeek cette fois. Comme Nicolas Michaux. Pourquoi se mobiliser ? Dans quelles conditions ? Pour quelles causes ? On a interrogé l’auteur-compositeur-interprète sur l’engagement des artistes, dans une époque où les opinions sont de plus en plus polarisées.

Pourquoi avoir accepté de participer à Musiques pour Gaza ?

J’ai été contacté par l’un des organisateurs, Yves Merlabach, un ami de longue de date (NdR : ancien attaché de presse). La raison pour laquelle j’ai accepté tient tout simplement à cette phrase reprise sur l’affiche du concert : « On ne pouvait pas rester les bras croisés ». Cela résume assez bien l’état d’esprit. On se sent tous très impuissants par rapport au génocide en cours à Gaza. Par rapport à la gravité de la situation, c’est une toute petite chose qu’on peut faire. A savoir partager un moment musical et essayer de lever des fonds pour venir en aide aux personnes sur place.

Même si l’indignation autour de Gaza est devenue assez unanime, le conflit au Proche-Orient reste un sujet sensible. Et rend l’engagement plus délicat ?

Oui et non. Clairement, c’est toujours une prise de risque. Personnellement, je n’ai pas attendu ces dernières semaines pour prendre la parole et dénoncer ce qui se passe là-bas. En réalité, dès le lendemain du 7 octobre, je me suis exprimé sur le sujet. En reconnaissant évidemment l’horreur des attaques du 7 octobre, et en les condamnant. Mais en appelant aussi au cessez-le-feu. Ce qui m’a valu instantanément des messages « désagréables » sur les réseaux. Ce n’est jamais très gai. Mais aujourd’hui, très franchement, je m’en fous complètement. On a atteint un tel niveau d’ignominie qu’on ne peut plus faire semblant de rien. Si les gens sont choqués parce qu’on n’est pas d’accord avec le fait qu’on tue 20 000 enfants, alors tant pis pour eux.

Les artistes sont régulièrement sollicités pour des causes. Quels sont tes critères pour décider de participer ou pas ?

Je suis sollicité, c’est vrai, mais cela ne remplit pas non plus mon agenda. Je ne passe pas à la télévision, donc… Mais si l’on m’invite, que la cause me parle, et que je vois que c’est bien géré, j’accepte volontiers. C’est aussi comme cela que je me suis déjà retrouvé au concert pour Gaza organisé en février aux Halles de Schaerbeek. Cela a été un grand succès qui a permis de lever énormément de fonds pour des associations là-bas. En termes de sensibilisation aussi, c’était important. Mais pour être tout à fait honnête, l’opération a aussi été utile pour les gens qui y ont participé. Que ce soit dans le public ou sur scène, on est tous sortis de là un peu moins déprimés que le matin. De manière un peu égoïste, il y a cet effet-là aussi qui est important.

Plus généralement, l’artiste doit-il être engagé ? Le citoyen Nicolas Michaux a-t-il une responsabilité au-delà de sa pratique artistique ?

Je pense, oui. A fortiori dans l’époque que l’on vit : je m’imagine mal faire comme si de rien n’était. Que ce soit par rapport à ce qui se passe à Gaza, au réchauffement climatique, etc. Imaginer un art « pur », qui soit complètement déconnecté de ce qui se passe, me semble complètement nul et non avenu.

Que répondre à ceux qui dénoncent l’engagement de certains artistes comme du pur opportunisme ?

Ceux qui pointent les activistes de de pacotille, c’est ça ? Il y sans doute quelques cas isolés. Mais enfin, la majorité de ceux que je voie, que j’apprécie, ne sont pas là-dedans. Ceux qui étaient par exemple présents aux Halles de Schaerbeek, ou qui ont continué sur leurs réseaux sociaux, de manière quasi quotidienne, à pointer ce qui se passe à Gaza, même dans les moments où les médias n’en parlaient plus trop, ces artistes-là ont pris beaucoup plus de coups qu’ils n’ont « profité » de cet activisme.  On l’a encore vu récemment au Brussels Jazz Weekend, avec la saxophoniste Alejandra Borzyk : (NdR : jouant avec son groupe Bodies devant la Bourse), elle a voulu inviter deux activistes palestiniens à prendre la parole sur scène. On lui a interdit. Par la suite, il y a encore eu des problèmes avec la police qui a repoussé les gens qui avaient des drapeaux palestiniens. Donc les gens qui prennent position en tirent rarement des bénéfices. Ils prennent au contraire plutôt des risques.

A l’inverse, est-il possible pour un artiste de ne pas prendre position?

Il y a plein de musiciens que j’aime beaucoup et qui ne sont pas là-dedans. Ce que je respecte d’une certaine façon. L’autre jour, je suis allé voir Dua lipa pas à Hambourg avec ma fille. En effet, elle n’est pas montée sur scène avec un drapeau palestinien, elle ne s’est pas non plus lancée dans de grands discours. Ce que je peux comprendre. Pour le coup, ce n’est sans doute pas le lieu. Et sa musique pop sans doute pas le meilleur véhicule pour ça. Mais en même temps, lors de certaines interviews, elle a quand même dénoncé le conflit, parlé de génocide, etc. Ce que je veux dire, c’est qu’on peut être une immense star, ne pas vouloir rabâcher ou gâcher la fête avec de grands discours, et en même temps, se positionner clairement.

Est-ce que le danger de la prise de position des artistes n’est pas aussi de créer l’effet inverse ? Comme on a pu le voir par exemple aux Etats-Unis où le ralliement des plus grandes stars de la musique ou du cinéma à la candidature de Kamala Harris a pu jouer au final en sa défaveur…

Oui, je vois bien de quoi il est question. Ces supports peuvent paraître artificiels. Les gens ne sont pas dupes. Et, en effet, cela alimente aussi l’idée qu’il y a d’un côté une certaine élite libérale, composées des politiciens démocrates et des grandes stars du show-biz ; et puis de l’autre côté, l’Amérique du peuple avec Trump. Je vois bien le piège. Mais pour en revenir à Musiques pour Gaza, c’est plutôt le contraire qui se passe. Face à une grande partie des médias et de la classe politique qui a longtemps voulu ne pas trop en parler, j’ai l’impression que l’on assiste à une nouvelle convergence des luttes. Je pense que les classes populaires, et notamment les classes racisées, se retrouvent beaucoup dans le discours de gens qui, dans une certaine gauche, ont eu le courage de dénoncer la situation depuis le début.  C’est un peu comme ça que je le vois.

Récemment, le producteur bruxellois Le Motel a annulé sa participation au prestigieux festival Sonar, à Barcelone. Comme un trentaine d’autres artistes qui ont également renoncé à leur présence, il dénonce les liens entre l’événement et le KKR, un fond d’investissement israélien qui financerait notamment l’expansion des colonies en Cisjordanie. Es-tu également davantage attentif aux endroits dans lesquels tu te produis ?

Je trouve en tout cas que le Motel a bien fait d’annuler sa prestation à Sonar. J’aurais probablement fait pareil. Donc oui, je pense qu’il faut être conscient de là où vous mettez les pieds, de qui vous invite, etc. Après, c’est parfois complexe. Ce n’est pas toujours évident d’analyser tous les rouages d’un événement. Je joue cet été au Ronquières festival par exemple. Mais je n’ai pas fait pour autant une enquête de tous les investisseurs qui sont derrière l’événement… Cela n’en reste pas moins des sujets auxquels je reste très sensible. C’est aussi pour cela qu’on a monté Capitane Records sur le modèle d’un label coopératif. L’idée est justement de permettre une meilleure « traçabilité », de miser sur un financement participatif pour construire des outils qui sont au service à la fois des « music makers » et des « music lovers ». Cela ne résout évidemment pas tout. Comme je le dis souvent, chaque fois que je vais faire mes courses au supermarché, je participe de toutes façons d’une manière ou d’une autre au capitalisme. Donc vous pouvez essayer de changer le monde, mais je me méfie toujours un peu de la « pureté ». Pour en revenir par exemple aux festivals, je me retrouve forcément davantage dans un modèle comme celui mis en place par Esperanzah ! qui a également lancé une coopérative. Mais il y en a peu. Si cela devait être le seul critère, en tout cas, je ne jouerais pas souvent…

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