Nicolas Ker, Louis CK et les grandes petites victoires de l’ombre

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Le leader de Poni Hoax, de Paris et d’Aladdin, compagnon de route d’Arielle Dombasle, « dernière étoile filante du rock français » comme l’écrit Gonzai, est mort ce lundi 17 mai à l’âge de 50 ans. En fouillant dans nos archives, nous sommes retombés sur cette Sortie de route de Serge Coosemans, publiée il y a quelques années, qui sonne comme un vibrant hommage au personnage haut en couleurs.

Article initialement paru le 1er octobre 2012.

Il n’y avait pas foule à la soirée Actionnaires, ce samedi soir, mais si deux ou trois personnes sont rentrées chez elles avec un petit bloc bougé dans la tête, c’est encore une belle victoire de l’ombre, estime notre chroniqueur, pour une fois étonnamment sérieux. Sortie de route, S02E05.

Bruxelles ce samedi soir, chez Mister Wong, la soirée Actionnaires #6 (bis). Il est 23h30 et on est huit dans la salle, le personnel du bar compris dans le décompte. Ça va un peu se remplir durant l’heure suivante mais pas beaucoup. Juste assez pour ne pas avoir l’air trop pitoyable quand Paris s’empare de la scène. Le groupe vient de la ville dont il porte le nom et, ici accompagné de Mike Theis, un bidouilleur à la culture musicale assez prodigieuse, c’est l’un des multiples projets de Nicolas Ker, par ailleurs chanteur de Poni Hoax, tuerie notoire très culte à défaut d’engranger beaucoup de picaillons. Il se fait que je connais un peu les bonshommes, rencontrés sur un forum kakou au temps où Facebook n’existait pas. Virtuellement, nous avons vécu le 11 septembre ensemble et plus physiquement, avec Ker, une semi-biture à l’absinthe dont je n’étais pas le principal acteur, plus tard, dans un bar à touristes de l’Îlot Sacré. Quand Nicolas m’a fait écouter ses démos, il y a bien dix ans de cela, je ne me suis d’abord pas senti très concerné par cette musique, avant d’en aimer vraiment beaucoup certains morceaux. C’était quoi qu’il en soit très bien dès le départ. Brouillon parfois, un peu dispersé, mais très ambitieux. Que cela soit dans Paris ou Poni Hoax, il y avait cette volonté toujours assez inédite de cogner tout ce rock romantique un peu pédant (Triffids, Gun Club, Roxy Music…) aux machines et au groove. De mélanger la classe à la crasse, en d’autres termes, le style à la sueur.

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Ker est un drôle de zygoto. Pochetron assumé, un peu dingue aussi, ses monomanies sont la plupart du temps aussi inattendues que fulgurantes. Au fil des ans, il a pris beaucoup d’assurance. Dans sa façon de chanter mais aussi dans la justification de ses lubies à priori déviantes, ou du moins pas franchement attendues de la part d’un type de son genre. Il m’a ainsi déjà entretenu du génie de la période disco des Rolling Stones (pour moi plus proche de Patrick Juvet que de Brian Jones) et de la beauté des textes de Bono sur les albums de U2 des années 90 (ce qui me semble plus sale que la scatophilie). Il y a eu d’autres freestyles sur les amours foireuses, les coulisses de la presque gloire qui ne vient finalement pas et le fait de claquer 10.000 euros en quelques semaines. Ça situe moins le personnage qu’une quasi engueulade reçue de sa part à une période de ma vie où l’idée même de travailler me donnait envie de me recoucher, qu’écrire était une torture et que l’idée de vivre de piges et de chroniques me semblait plus merdique que de braquer une librairie. C’est ce coup-là que j’ai capté une chose essentielle, valable pour tout l’entourage de Ker, Paris tout comme Poni Hoax. Ces mecs aux allures de jeanfoutres et d’ivrognes sont tout simplement de très gros bosseurs. On les imagine losers. Ce sont des fighters.

Ker est un dru0026#xF4;le de zygoto. Pochetron assumu0026#xE9;, un peu dingue aussi, ses monomanies sont la plupart du temps aussi inattendues que fulgurantes.

J’ai déjà croisé des gens qui estiment que Ker, après avoir pris des cours de chant alors qu’il était proche de la quarantaine, a aujourd’hui un registre vocal qui rivalise sans peine avec celui des grands de la new-wave, au sens large, visez entre Ian Curtis et David Bowie période Berlin. C’est sans doute un poil exagéré, juste un poil, et encore, ce poil le motivera sans doute à continuer de travailler dur pour un jour réellement rivaliser avec ses modèles. Je ressors ici l’un de mes vieux disques usés mais il me reste révoltant que la presse puisse accorder tant d’importance à des versions locales sans le moindre intérêt de Franz Ferdinand ou Radiohead, à des types qui ne doivent leur médiatisation qu’à leur packaging, leurs petites gueules, la facilité de leur musique et quelques renvois d’ascenseur. C’est révoltant parce qu’à l’ombre de ces clowns, des barons triment comme des bateleurs de la Volga, proposent des choses réellement différentes, continuent d’évoluer et se remettre en question à des âges où les blanc-becs se reposent généralement sur de simples recettes et les copions de leurs scies radiophoniques. C’est usant de voir des groupes au talent terrifiant faire partie des meubles de l’interzone entre l’underground et le succès populaire, générer un intérêt poli, jamais très excité. À Bruxelles, samedi soir, le concert de Paris, c’était exactement cela: une très bonne prestation devant un public un peu morose, surtout là pour boire ou tenter de lever de la fesse, qui regarde poliment, et en attendant visiblement le deejay, un truc qui sent la besogne et l’idée géniale de tenter le grand écart toujours très improbable entre Joy Division et la techno de Detroit. Des perles aux cochons, en d’autres termes.

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Il se fait que par le plus grand des hasard, quelques heures avant ce concert, je me matais cette volée d’épisodes de la saison 3 de la série de Louis CK où le bonhomme est entraîné à devenir animateur de talk-shows, censé un jour remplacer David Letterman. Il a peur, n’a d’abord pas très envie de ce job, reçoit de son ex-femme et d’un directeur de chaîne télévisée des leçons de morale assez dures à encaisser, qui parlent de la nécessité du succès, du déclin impitoyable et morbide des artistes quadragénaires qui n’explosent pas commercialement après 10 ou 20 ans d’activité. Sans rien dévoiler de plus de l’histoire, il se fait que le succès vient finalement mais pas de la façon dont la plupart des gens l’envisagent. Le succès de Louie reste d’ordre intime, secret. Il a brillamment réussi une épreuve qui va le faire évoluer, lui donne la banane, une énorme confiance en soi. C’est une victoire, une très grande victoire, de celles qui font grandir l’âme mais personne n’en saura rien. Personne n’en parlera dans les gazettes, sur le Web et à la télévision. Voir samedi soir Paris et Nicolas Ker se donner comme ils l’ont fait, en sachant d’où viennent ces mecs et comment ils vivent, m’a fait penser à cela. Une victoire de plus. De l’ombre. Pour eux et pour les deux ou trois personnes du public rentrées chez elles avec un petit bloc bougé dans la tête, la découverte d’une onde inconnue, une nouvelle configuration amorcée.

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