Naomie Klaus, à l’affiche du Micro Festival de Liège, invite le cinéma dans l’électro

«Chez les actrices porno, les strip-teaseuses, les réappropriations de noms sont légion. Et moi, j’ai toujours aimé l’opéra bizarre et grinçant qu’incarne Klaus Nomi», précise Léa Tumbarello à propos de son blase Naomie Klaus.
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Mondialisation, réappropriation culturelle, affres du vieillissement… Naomie Klaus, la Marseillaise de Bruxelles, insuffle du sens dans l’électronique avec son univers lynchéen et léthargique. A voir dans sa version grunge roadtrip rock au Micro Festival.

La première approche à l’automne dernier s’était soldée par un échec. Léa Tumbarello, alias Naomie Klaus, bourlinguait sur les routes de Chine. Coups de fil impossibles. Messenger compliqué. Rendez-vous avorté. En ce milieu du mois de juillet, la néotrentenaire est à Bruxelles, revenue de Marseille avec l’accent qui chante. Léa est née dans la cité phocéenne en 1993 et y a grandi avant d’emménager à La Ciotat, «une petite ville sans trop de culture mis à part le cinéma d’art et essai».

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Si elle s’illustre depuis quelques années maintenant avec une électro en quête de sens, la Française est arrivée à la musique par des chemins de traverse. «J’ai toujours eu un truc créatif en moi et des choses à exprimer, mais longtemps je n’ai pas su quel canal utiliser.» En 2013, elle entre finalement aux Beaux-Arts à Marseille. «A l’époque, j’étais une inculte en art contemporain. Je ne savais même pas qui était Marcel Duchamp. Ça n’existait pas dans ma famille. En revanche, on a maté énormément de films et mon père m’a fait écouter un milliard de trucs. A n’importe quelle heure, il y avait de la musique à fond dans la maison.» Léa parle de trip-hop, cite Massive Attack et Portishead, Bill Laswell et Nils Molvær… «J’ai écouté beaucoup de rock. Du psyché, du garage. Du jazz, aussi.» Elle s’emballe sur le projet Cujo d’Amon Tobin, s’épanche sur le rap d’IAM et de la Fonky Family, reconnaît quelques plaisirs coupables. «En attendant, je passais toujours pour une « weirdo« … Tu écoutais du grunge et on te disait avec l’accent bien marseillais: attention, elle, c’est une sataniste…»

Après un chagrin d’amour, Léa débarque en Belgique non sans avoir décroché son diplôme national d’arts plastiques. «J’avais vu Steve + Sky de Felix Van Groeningen que j’avais trouvé magnifique. Alors, je suis venue à Bruxelles où je n’avais jamais mis un pied. Il y avait un truc exotique et j’avais kiffé la new beat.»

«Je n’avais jamais mis un pied à Bruxelles. Il y avait un truc exotique et j’avais kiffé la new beat.»

Naomie Klaus, la géniale touche-à-tout

De fil en aiguille, la jeune femme s’inscrit à l’Ecole de recherche graphique (ERG), où elle étudie la narration spéculative. «Ça peut sembler pompeux dit comme ça mais j’y ai beaucoup appris sur les nouvelles formes de récit. Comment utiliser des outils de narration pour faire émerger d’autres possibilités. Presque une forme de rébellion par le récit et la narration. On regardait des films toute la journée et on avait de super références littéraires.» Nancy Huston, qui parle de la puissance de fabuler. Ou encore Donna Haraway et son Manifeste cyborg. «Ça parlait de faire exister de nouveaux mondes pour pouvoir faire face au nôtre. Ça disait à quel point la création et la fabulation sont nécessaires à notre survie.»

A l’époque, Léa réalise des vidéos étranges dans lesquelles elle détourne des films pornographiques pour y insérer des romances un peu bizarres. Une forme de poésie, de fragilité, d’humanité. Elle aime porter la voix de celles et ceux qui n’ont pas trop l’habitude de parler. «J’étais déjà fascinée par le fait que notre libre arbitre, notre manière d’exister, surtout en tant que femmes, sont vachement biaisés par toutes les images cinématographiques dont on est abreuvées. Comment la fiction et la réalité se mélangent. Comment les modèles cinématographiques et médiatiques nous influencent. Je me souviens avoir réalisé un film en plan séquence sur une meuf en rupture amoureuse qui avait tellement vu les clichés de la glace Häagen-Dazs, des plaids sur le canap et des musiques tristes qu’elle avait été conditionnée.»

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La géniale touche-à-tout s’est d’abord mise à composer de la musique au service de ses vidéos. «J’ai très vite fait du son pour mes films. Je bossais pas mal autour des travailleuses du sexe, de la pornographie. Je cherchais une autre manière de raconter. J’avais notamment imaginé une espèce d’opéra en détournant l’usage traditionnel des plateformes de camgirls.»

C’est seulement à la fin de ses études qu’elle commence à donner des concerts. Ses potes du collectif L’Oiseau bleu («Un truc de teuf et de loubards quand même») la poussent à monter sur scène. Sous le nom de Dining Table, d’abord. «Je ne sais pas pourquoi…» Puis de Laura Palmer. Parce qu’elle est fan de David Lynch et que son univers le lui rend bien.

Tour japonaise et cinéma vide

Léa, aujourd’hui connue sous le blase de Naomie Klaus, fait de la musique électronique parce qu’elle a des choses à dire. Né sur une invitation du Beursschouwburg, son premier album, A Story of a Global Disease, s’inspire du Pavillon chinois et de la Tour japonaise. «Je trouvais complètement folle cette histoire du roi Léopold qui les a faits construire pour son propre délire. De cet endroit un peu absurde où l’on ne peut entrer qu’une fois l’an. Quand tu y penses, c’est vraiment le début d’un truc de mégalo mondialiste ultracapitaliste. Alors, j’ai tissé une histoire de globalisation, de libre-échange, de réappropriation culturelle. Vu d’où je viens, j’ai toujours eu une manière de composer en actes, en chapitres ou en nouvelles. J’ai besoin de thèmes, de raconter des histoires.»

Youth Looks So Good on You, qui sera réédité le 5 septembre, est la réponse de Léa/Naomie au Centre Wallonie Bruxelles qui proposait de créer des bandes-son pour cinéma vide. «Je n’étais pas au top à l’époque. Je souffre de dysmorphophobie. Je ne me visualise pas vraiment comme je suis. J’ai des complexes de dingue. Depuis mon adolescence, il y un milliard de miroirs chez moi. Je suis toujours en train de me scruter. Je me vois beaucoup plus vieille que ce que je suis. Chez les femmes, la culture du jeunisme est tellement massive. A une époque, dans le cinéma, les femmes plus âgées étaient jouées par des plus jeunes. Médiatiquement, on a été bombardées d’images canoniques. Tu construis le début de ta féminité, de ta sexualité, de ton rapport aux hommes et à l’amour avec toutes ces choses complètement irréelles. Je ne dis pas que les mecs n’en ont pas souffert. Mais l’artillerie lourde est vraiment déployée sur l’image des femmes. Des perfections inaccessibles. Du coup, on a beaucoup de mal à s’accepter dans notre laisser-vivre.»

Youth Looks So Good on You parle de cette culture du jeunisme, de la peur de prendre de l’âge. «Et encore, de mon temps, il n’y avait pas encore Instagram. Maintenant, des filles à peine majeures se font injecter du botox. Ça me fait de la peine de ouf. J’ai glissé dans le disque un extrait d’une conférence qui s’intitulait « Nous n’assisterons presque plus au spectacle du vieillissement des femmes dans la fiction populaire » et qui m’a presque fait pleurer. Cinéma vide, comédienne, actrice vieillissante, écran, miroir faussé… J’ai embrassé ce délire. Même les actrices les plus magnifiques s’empêchent de vieillir.»

Dans cette petite merveille vaporeuse de bricolage se sont glissés une reprise d’Angelo Badalamenti (Moving Through Time), des gens enregistrés dans les toilettes du Café Central et des détournements de YouTube et d’Instagram. Là où son live actuel repose davantage sur Trick or Treat, un EP d’Halloween très rock aux allures de road movie. Attention dernières séances…

Le 3 août au Micro Festival, à Liège, et le 15 août au Sommerloch Festival, à Wallerode.

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