Nabihah Iqbal, en concert au Bota ce lundi: « La musique reste le meilleur moyen de combattre les émotions négatives »
Invitée au Pukkelpop, la Londonienne d’origine pakistanaise, Nabihah Iqbal, y présente sa salade de fruits numériques lorgnant ses racines et la nappe d’une crème anglaise très 80’s. Appétissant au-delà de la norme.
Sur la pochette de son second album Dreamer, paru il y a quelques semaines, Nabihah Iqbal s’y montre en gros plan, face à l’objectif, les yeux fermés. Signal précurseur? On la retrouve, via Zoom, le regard tout juste éveillé. À l’écran donc, un grand lit baroque et une trentenaire (1988) en pyjama fleuri. Elle s’en excuse d’emblée: “Sorry, je suis commissaire d’un grand festival à Brighton et je suis rentrée tard, très tard.” Nabihah ne chichite pas. On a l’impression de recroiser en distanciel, une lointaine cousine perdue de vue. C’est qu’elle ramène en plus dans son album des madeleines volontiers proustiennes, déclinées en multiples enjeux instrumentaux rétro, citant volontiers New Order (This World Couldn’t See Us) ou Cure dans un single paru avant le disque (Is There Where It Ends). Fan ado des Slits, des Smiths et de Joy Division, Nabihah est même allée en pèlerinage à Macclesfield, la ville de Ian Curtis. Son influence s’avère prégnante dans les rythmiques de Dreamer alors que les dix titres semblent également nimbés de ce qu’Edward Saïd aurait qualifié de post-orientalisme. Partant de ce que nous-mêmes, Occidentaux, avons projeté et projetons encore sur tout ce qui nous parvient du Moyen-Orient et au-delà.
Si ce sentiment-là, remixé et corrigé, gagne autant l’actuel répertoire de Nabihah Iqbal, c’est aussi par un double accident. D’abord, le vol de son matériel dans son studio central de la Somerset House londonienne. Ensuite, la visite d’un grand-parent malade à Karachi, au Pakistan. Bloquée par le Covid, elle y reste deux mois et redécouvre sa propre histoire: “J’ai grandi dans un quartier de Londres plutôt privilégié, Regent’s Park, dans une famille où mon père était un self-made man ayant grimpé les échelons de la société anglaise. Quand tu grandis dans la diaspora pakistanaise, tu ne cesses de te poser la signification du lien qui te rattache ou pas, de loin ou de près, à tes origines. Un processus qui s’intensifie en vieillissant. C’est aussi la première fois que j’enregistre une musique sous mon nom, où j’utilise des instruments pakistanais, comme l’harmonium ou le sitar. Curieusement, en étant dans cette immense ville qu’est Karachi (20 fois la superficie de Bruxelles, 15 millions d’habitants, NDLR), j’ai eu l’impression d’être davantage en connexion avec la nature que je ne pouvais l’être à Londres. Ne fût-ce que par l’extraordinaire son des oiseaux à l’aube.”
Jeff Buckley
Lors de sa prestation au prochain Pukkelpop, Nabihah Iqbal délaissera sa configuration DJ solo pour un groupe à quatre: elle à la voix et à la guitare, accompagnée d’une section rythmique et d’une deuxième guitare. Sans oublier l’électronique. Une envie qui lui vient de son expérience de retraite, pour composer, dans les solitudes venteuses de l’Écosse. “Je me suis retrouvée littéralement au milieu de nulle part à deux heures du premier commerce, en pleine nature. Ce qui m’a mise dans cet étrange parcours m’ayant conduit du Pakistan au nord de la Grande-Bretagne. Cet album constitue une sorte de retour aux basiques, avec la guitare comme meneuse de jeu.” Autre lien inattendu, Jeff Buckley, idole de son adolescence. “J’ai été éblouie par ses performances que j’ai vues sur YouTube. Il existe un enregistrement où Jeff chante et puis commente le parcours de Nusrat Fateh Ali Khan (1948-1997), la star pakistanaise absolue du qawwalî, ce style musical soufi invitant à la dévotion. Ça avait complètement bluffé Buckley qui me l’a fait découvrir comme l’état suprême de la pureté vocale.”
Nabihah Iqbal fait partie des artistes qui refusent le compartimentage. Musicienne et DJ, elle est également militante des droits de l’homme et intervient régulièrement sur NTS, webradio anglaise aux audacieuses radicalités sonores. Quel est le point commun entre ces branches d’un même arbre? “Il y a d’abord mon amour absolu et profond de la musique que j’ai étudiée à Londres et Cambridge, à travers l’ethnologie et l’histoire. Ce qui m’a aussi permis de découvrir des sonorités inconnues à l’Ouest. Même si mon premier amour a été Michael Jackson pour lequel j’avais développé une véritable obsession (sourire). La musique me procure des sensations qui sont au-delà des relations amoureuses (elle rit), sans que personne ne puisse réellement expliquer pourquoi il s’agit d’une expérience spirituelle si intense.”
A contrario, l’actuelle politique de la Grande-Bretagne réveille chez Nabihah Iqbal une “véritable tristesse”: celle-ci remonte au 23 juin 2016, jour où les Britanniques se sont prononcés en faveur du retrait de l’Union Européenne. “J’ai eu l’impression que c’était comme se couper de tout un continent, d’une histoire et d’une culture immensément riches. La liberté d’avoir pu circuler pendant des années en toute liberté dans l’espace Schengen a amené un sentiment très exaltant. La conséquence actuelle n’est pas seulement qu’il y ait des magasins fermés ou moins bien approvisionnés, mais dès que vous quittez Londres -où existe encore une forme énergétique de mélange des gens et des genres-, on rencontre toutes sortes de phobies: l’islamophobie, l’homophobie, etc. La musique reste le meilleur moyen de combattre ces émotions négatives. La poésie des mots aussi. Dreamer est un mélange entre l’expression de bonheurs intenses -je me suis mariée l’année dernière après que mon copain m’a fait sa demande sur le Waterloo Bridge…tellement romantique!- et d’autres moments beaucoup plus difficiles, comme quand je suis tombée sérieusement malade. Sans une transfusion sanguine, je serais morte. Ce disque parle aussi de l’immense aide apportée par le personnel hospitalier, des relations humaines qui se nouent. Au-delà de tout le reste.”
Nabihah Iqbal, Dreamer, distribué par Ninja Tune/Pias. En concert le 19/08 au Pukkelpop, Hasselt.
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