Musique positive et feelgood: Lubiana sort son premier album
Après s’être longtemps cherchée, la jeune Bruxelloise a sorti un premier album, Beloved, antidote pop à la sinistrose générale.
Inutile d’essayer: vous ne trouverez aucun signe de nervosité dans le visage de Lubiana. La jeune femme ressemble à sa musique: positive, feelgood. Peut-être, en vrai, en donne- t-elle une version moins éthérée, plus bavarde et pétillante. Sorti il y a un mois, son premier album, Beloved, a reçu un joli accueil – jusqu’à l’envoyer sur les plateaux de télés françaises, de Taratata à C à vous. A chaque fois, Lubiana y a joué l’un de ses morceaux, accompagnée de sa kora, sorte de harpe d’Afrique de l’Ouest, utilisée par les griots, gardiens de la transmission orale.
Au fond, je ne suis pas quelqu’un de nature très révoltée.
Cette attention médiatique, Lubiana avait déjà pu y goûter. C’était en 2011, candidate remarquée lors de la toute première saison de The Voice en Belgique. Elle a alors 17 ans, et déjà la musique chevillée au corps. L’expérience n’a cependant pas laissé que de bons souvenirs. « Je crois que c’était la période où j’étais la moins heureuse. Je pensais avoir trouvé ce que je cherchais: je me retrouvais dans la lumière, on m’accordait de l’attention. Malgré cela, je me sentais très mal. Au point de me construire une carapace, qui a pu me rendre distante. Je préférais qu’on me trouve hautaine, plutôt que de décevoir. Il m’a fallu du temps pour comprendre que pour me faire aimer par les autres, je devais d’abord m’aimer moi-même. » Comme elle le chante aujourd’hui dans Self Love…
En l’occurrence, le titre reflète assez bien la musique de Lubiana. A la fois délicate et investie de grands effets pop, convoquant la bienveillance soul et la volatilité jazz. Puisque c’est bien de là que tout démarre, quand, vers l’âge de 15 ou 16 ans, en traînant sur YouTube, elle tombe sur In a Sentimental Mood, interprété par Sarah Vaughan. « J’ai enchaîné avec le disque de Nancy Wilson et Cannonball Adderley. A partir de là, les algorithmes ont fait le reste. Je n’ai plus écouté que ça! » Moins le bebop ou le free jazz que les standards et les grandes mélodies du swing. « Pour moi, le jazz est la musique de l’âme. Tout vient de là. Il combine à la fois la complexité rythmique, très présente en Afrique, et la complexité harmonique, très importante en Europe. » Comme un reflet de son propre métissage. Bruxelloise née en 1993 d’une mère belge et d’un père camerounais, ses parents se séparent alors qu’elle est encore bébé. Du côté du paternel, c’est la radio qui est branchée distraitement sur les airs du moment. Côté maternel, par contre, le classique domine. A 8 ans, Lubiana démarre d’ailleurs le piano. « Mais je n’étais pas très assidue, je trichais, j’avais un niveau catastrophique. » Cela ne l’empêche pas d’écrire son premier morceau quelques années plus tard. « Un été, en vacances. Je l’ai directement posté sur YouTube. J’avais 13 ans. A la rentrée, en deuxième secondaire, mes copines me sont tombées dessus en me montrant une vidéo qui tournait dans toute l’école: des élèves avaient enregistré une parodie de ma chanson, ils s’étaient même mis une serpillière sur la tête… On s’est foutu de ma gueule pendant des mois. Mais je n’ai pas arrêté. On se moquait, mais au moins, j’avais une place: j’étais « Lubi qui chante ». »
Le rêve américain
Le choc est plus rude en supérieur. Au conservatoire, Lubiana se confronte à la sécheresse de l’enseignement académique. Elle veut « partager des émotions ». On lui parle « technique, rigueur ». Certains profs la découragent, mais elle s’accroche. Pour finir par obtenir son diplôme au bout de six ans.
Entre-temps, sa timide notoriété s’est épuisée petit à petit. « Ce que je sortais ne faisait pas d’écoutes, les salles étaient vides. Je ne jette la pierre à personne. J’ai dû me trouver. » Elle décide alors de prendre l’air et s’envole pour les Etats-Unis. Elle se retrouve dans une petite chambre à Inglewood, près de l’aéroport de Los Angeles, et enchaîne les open mic, seule en scène avec sa kora. « Après deux semaines, j’ai été invitée chez un producteur. J’arrive dans un énorme studio à Hollywood, où trônent des Grammys et les disques d’or de Frank Ocean, Erykah Badu, Jay-Z, etc. » Autant de stars avec lesquelles Om’Mas Keith a travaillé. Lubiana commence alors à collaborer, participant à des sessions studio, des ateliers d’écriture, croisant Lianne La Havas, Anderson Paak, The Roots… « Mais malgré ça, je ne me reconnaissais pas dans ce qu’on me proposait. Je n’entendais pas le son que j’avais en tête. C’était à moi de le trouver. »
Ce son, c’est celui de Beloved. De la rage qu’il a fallu pour y aboutir, on n’en trouvera plus aucune trace. Bienveillante, la musique de Lubiana prône la douceur et l’optimisme – « au fond, je ne suis pas quelqu’un de nature très révoltée » – , évitant les tensions du moment, y compris quand elle évoque le racisme sur le consensuel We Carry All Colors – « De toute façon, si on me regarde, ce en quoi je crois est assez clair… » Cette musique cocooning, les cyniques la jugeront probablement inoffensive. « Bien sûr que le monde est dur. Mais il y a aussi des choses très belles. C’est important de les mettre en avant. » Dans un monde au bord du chaos, elle est peut-être là, l’audace de Lubiana.
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