Monolithe Noir poursuit le dialogue cosmique entre musique et SF
Alors que sort Moira, un sombre et fascinant album électronique qui porte le prénom de sa grand-mère, Monolithe Noir questionne les relations intimes entre la musique et la science-fiction. Rencontre et critique.
Au début de 2001: l’Odyssée de l’espace, des singes anthropoïdes à l’aube de l’humanité découvrent un étrange monolithe noir tombé du ciel qui semble modifier leur comportement. Ce que certains considèrent comme l’une des plus grandes manifestations symboliques au cinéma a donné son nom aux aventures musicales électroniques d’Antoine Pasqualini. Les bidouillages du Français, batteur de formation et Bruxellois d’adoption, sont étroitement liés à la science-fiction. Aussi bien en termes d’influences que d’effet procuré sur l’auditeur. « Je m’y suis intéressé sur le tard. Du moins si on parle de littérature, explique-t-il de bon matin devant un café au parvis de Saint-Gilles. Je ne suis pas un grand lecteur et je suis plutôt branché Voyage au bout de la nuit. Ado, j’ai beaucoup lu Boris Vian, dont certains écrits ne sont finalement pas dénués de science-fiction. Il est parfois compliqué d’établir des ponts entre la littérature et la musique. Entre ce qu’on lit et ce qu’on compose. Mais il y a des univers comme celui des frères Strougatski qui m’ont pas mal marqué. Ce sont eux qui ont écrit Stalker et Il est difficile d’être un dieu, respectivement adaptés par Andreï Tarkovski et Alexeï Guerman au cinéma. Je parle d’une science-fiction débarrassée de tout aspect futuriste. Leurs histoires sont ancrées dans une espèce de réalité matérielle contemporaine avec quelques trucs qui relèvent plus de la bizarrerie que du délire technologique. Il y a beaucoup de mystère là-dedans. Stalker m’a vraiment ébranlé. Ce qui me plaît souvent dans la SF, c’est son aspect dystopique. Ou du moins pessimiste. »
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L’utopie qui vire au cauchemar, la société imaginaire organisée de façon à ce qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur… Un peu fort tout de même pour décrire l’univers sonore de Monolithe Noir. « J’ai lu Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley assez récemment. Du Philip K. Dick aussi. La dimension d’anticipation m’intéresse vraiment mais je ne suis pas attaché à un pessimisme extrême. Quand j’ai commencé à regarder Black Mirror par exemple, je me suis dit que ça allait très très loin dans le genre. Ça m’amenait vers des parties très sombres dans lesquelles je n’avais pas spécialement envie de pénétrer. L’opposé de l’antidépresseur. »
Observation et imagination
Né en 1985, Pasqualini a comme beaucoup découvert la SF à travers le 7e art. Le Cinquième élément, La Planète des singes… « 2001: l’Odyssée de l’espace m’a ramené sur quelque chose de plus fort. Esthétiquement, je veux dire. Même si le propos n’est ni super lisible ni voué à l’être. La musique de Ligeti mélangée à un univers futuriste, ça m’a beaucoup marqué. J’adore cette confrontation. Je pense qu’elle est aussi présente dans mon travail. Ça me fait délirer d’avoir un morceau très électronique et après un générique de film des années 70 en mode library italienne. Je me suis un peu forcé à les coller ensemble, à créer des ponts. Pareil dans 2001 , ce sont différentes époques qui sont traversées. Prends la scène finale, le mec est dans un lit. Un mobilier renaissance avec des dalles rétroéclairées. Ça respire un peu le kitsch mais c’est visuellement super fort. »
Passionné par le synthé modulaire (son arme de prédilection), Pasqualini évoque Blade Runner, l’aspect bricolage, Brazil, les artifices, le sound design. » J’imagine que chacun a son approche, sa manière de construire sa science-fiction. Il faut être un observateur ou une observatrice assidu de ce qui nous entoure mais aussi posséder une imagination très développée. Être ancré dans le présent et avoir cette ouverture d’esprit qui permet d’imaginer des choses qui n’existent pas. Du moins pas encore. »
Monolithe Noir – « Moira »
Distribué par Kowtow Records. ****
Sombre et relativement minimaliste, un peu kraut (Lichens), un peu trip hop (Blinded Folded), le deuxième album de Monolithe Noir est un disque fascinant. Spécialiste du synthé modulaire, Antoine Pasqualini s’en sert pour dessiner les paysages d’un futur qu’on imagine hostile et désertique. L’homme (et les femmes) n’y ont pas disparu de la surface de la Terre. Ils y chantent même, qu’ils s’appellent Peter Broderick, Élise Dutrieux ou Rozi Plain. L’ambiance n’en est pas moins post-apocalyptique. Il y a de la matière, des batteries déconstruites, des tapements de doigts, du futurisme de l’ailleurs (Amok) et beaucoup de sons non identifiables sur cette hypnotique odyssée. Captivant.
S’il est un style musical qui entretient une relation privilégiée, étroite, intime avec la science-fiction, c’est assurément l’électronique. Jean-Michel Jarre, Kraftwerk… Pour beaucoup de jeunes des années 70 et 80, l’électro représentait la musique du futur et par la même occasion une certaine incarnation, fascinante, de la SF. Daft Punk, Gesaffelstein, Air… Rien qu’en France, les exemples plus récents sont légion. C’est que les textures et les pulsations électroniques ont le don de procurer une dimension futuriste. « De manière relativement simple, si les synthés évoquent tant la science-fiction, c’est parce qu’ils donnent naissance à des sons qu’on ne pouvait pas trouver dans la nature. Ça n’avait peut-être pas la richesse de sons acoustiques mais c’était carrément associé à la nouveauté. Je n’imagine même pas l’étonnement des gens à l’apparition du thérémine. »
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Pasqualini dévie, digresse, met le doigt sur l’évolution du matériel musical et un présent qui a déjà des allures de futur. « C’est dingue comment ça a pu évoluer en l’espace d’un siècle. Je pense à la lutherie électronique notamment. Il y a un tas d’inventions avec lesquelles le geste musical a pris une tout autre dimension. Aujourd’hui, tu peux contrôler le système d’un synthétiseur modulaire avec une tablette ou un GSM. Il y a des choses encore plus poussées où c’est toi, qui dans l’espace, vas moduler un son. Malvina Meinier mêle des effets de voix avec une télécommande sur son poignet. Avant que les artistes s’approprient l’auto-tune et en fassent un élément de créativité, c’était juste un outil de correction conçu par un mathématicien parce qu’il considérait que quand les gens ne chantaient pas suffisamment juste, ça nuisait à l’émotion. »
Si l’électronique évoque régulièrement des univers science-fictionnels cinématographiques, fait naître des images d’odyssée spatiale, de rencontre extraterrestre et de combat intergalactique, elle a aussi plus souvent qu’à son tour accompagné des films SF. La première bande originale de l’Histoire n’utilisant que des sources électroniques (elle a plutôt bien voyagé dans le temps) est celle d’un classique, Planète interdite, sorti sur les écrans en 1956. Elle est l’oeuvre de Louis et Bebe Barron, a permis à la musique électronique de toucher le grand public et a clairement eu un impact sur son développement aux États-Unis. « Le couple n’a même pas été reconnu comme compositeurs dans le générique. Des musiciens à Hollywood faisaient pression: « Vous n’êtes pas de vrais instrumentistes. Ça ne compte pas comme une bande originale ». » L’avenir, notre passé, leur a donné tort.
Le 27/02 au Brass (Bruxelles), le 29/02 au Kinky Star (Gand).
Du concept album rap façon Clipping. à la BO de Stuart Staples pour Claire Denis, la SF se la joue éclectique.
Partenaire particulier? Équipier privilégié? La musique électronique n’est pas la seule à entretenir des relations intimes avec la science-fiction. Fidèle collaborateur de Claire Denis, Stuart Staples des Tindersticks a composé la bande originale feutrée et classique de son dernier film: High Life. L’histoire d’un groupe de criminels condamnés à mort qui acceptent de devenir les cobayes d’une mission spatiale en dehors du système solaire… « D’habitude, les films de Claire sont déjà riches soniquement quand ils m’arrivent, expliquait Staples. Tu entends les rues de Paris, ce genre de choses… Ici, tout a dû être créé. L’équipe a accepté que je travaille en amont pour fabriquer des atmosphères, des ambiances. Il y a 80-90 minutes de musique. Mais c’est le son dans l’air. Le son du silence. Ça m’a pris beaucoup de temps. Je n’avais jamais participé au sound design. Il faut toujours trouver le truc adéquat, même discret, à tout moment. C’était profond, intense, expérimental. Je n’ai jamais pris autant de plaisir à explorer des idées. »
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« Avec l’image, tout est possible, note Antoine Pasqualini, alias Monolithe Noir. Il est difficile d’être un dieu est un film en costume médiéval. Un type démarre de la Terre vers une autre planète pour surveiller une population qui vit encore à l’époque du Moyen Âge. Toute musique peut trouver sa place en fonction des circonstances. Mais en dehors du contexte cinématographique, c’est autre chose. » Le rock évoque assez rarement des univers futuristes. Ou alors quand il prend des couleurs psychédéliques et sombres, âpres, pour ne pas écrire apocalyptiques. On pense au label Sacred Bones, à Suuns… « C’est comme si le format chanson s’y prêtait assez mal. Mais il faut être ouvert à toutes les rencontres. » Flavien Berger a ainsi sorti avec Contre-Temps et de vraies pop songs (Brutalisme, Maddy la nuit) un formidable disque d’amour futuriste. Quant aux rappeurs californiens de Clipping., ils ont proposé en 2017 avec Splendor & Misery un époustouflant concept album sci-fi. Il raconte le seul rescapé d’un soulèvement d’esclaves sur un vaisseau interstellaire et sa relation avec l’ordinateur de bord. Une intelligence artificielle qui est tombée amoureuse de lui. « Comme pour beaucoup de gens, l’amour de la science-fiction remonte à l’enfance. Au plus loin qu’on puisse remonter dans nos souvenirs, on va te parler de Star Trek, racontait alors Daveed Diggs dans les loges du Magasin 4. J’aime quand le hip-hop s’intéresse à ça, quand les rappeurs te parlent de l’espace. Je pense notamment à G-Side. Mais plus généralement, on adore la fiction de genre. »
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Si leur travail est truffé de références aux auteurs SF (Samuel R. Delany, Ursula K. Le Guin, M. John Harrison, Octavia E. Butler…), Diggs, Hutson et Snipes ont été profondément marqués par l’afrofuturisme pionnier de Parliament-Funkadelic. Ce mouvement qui tisse des liens entre la science-fiction, l’Histoire de l’Afrique et ses cultures, qui questionne l’art et les changements sociaux à travers la science et la technologie, en dressant par exemple des parallèles entre les enlèvements extraterrestres et l’esclavage. « On a voulu faire un truc effrayant. Pas un bazar de feu de camp. Notre version devait être sombre. Un reflet particulier de l’époque? Toutes ont leur part d’obscurité. Dans les années 70, New York et le Bronx n’étaient pas très joyeux pour les Noirs… »
Si Clipping. a plutôt tourné horrorcore (un genre qui joue avec les codes des films d’horreur) sur son dernier album, There Existed an Addiction to Blood, le hip-hop se prête plutôt bien aux fictions futuristes. Outkast (ATLiens), Deltron 3030, MF Doom ou encore Dr. Octagon (qui a quand même imaginé l’odyssée d’un gynécologue de l’an 3000 obsédé sexuel) l’ont prouvé. La sci-fi a le swag…
La science-fiction connaît la musique
Jazz: Sun Ra – Space Is the Place
Considéré comme le père de la science-fiction noire, Sun Ra a élaboré ses visions sonores sidérales en faisant se rencontrer le jazz et les extraterrestres (ils l’auraient enlevé en 1936). Surnoms des musiciens, tenues de scène, cérémonial… Le grand prêtre intergalactique à l’étrange philosophie cosmique a enregistré au début des années 70 la BO du film Space Is the Place, qu’il a coécrit et dont il joue le personnage principal. Il y découvre une planète avec son Arkestra et l’élit Nouvelle Terre des Afro-Américains.
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Funk: Parliament – Mothership Connection
« N’essayez pas de régler votre radio. Il n’y a aucun problème. Nous avons pris le contrôle. » Ça y est, c’est l’invasion. Des extraterrestres noirs, dealers de funk, débarquent sur la planète, bien déterminés à pousser les Terriens sur le dancefloor. Star Child, l’un de ces E.T. black, est DJ et émet depuis un vaisseau spatial. Nourri de science-fiction, de BD, d’Histoire, de religion et de politique, Mothership Connection est le premier volet d’une saga en six épisodes dans lequel le Dr. Funkenstein doit sauver l’humanité.
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Rock: David Bowie – The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars
En 1972, David Bowie se glisse pour la première fois dans la peau d’un personnage de fiction. Cheveux rouges, costumes extravagants… Inspiré par Vince Taylor, Ziggy Stardust est une rock star androgyne du futur que les extraterrestres utilisent comme messager cinq ans avant la fin supposée du monde suite à l’épuisement des ressources naturelles. Bowie voulait à l’époque se moquer de l’avenir, tourner en dérision ce qui l’effrayait: la glaçante perspective de l’apocalypse.
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Pop: The Flaming Lips – Yoshimi Battles the Pink Robots
On se souvient encore de leurs concerts dans lesquels des aliens se battaient contre des Pères Noël à coups de lampes torches sous les confettis. Un an après les attentats du World Trade Center, les Flaming Lips sortent un concept album qui ne dit pas son nom. Un hymne au pacifisme qui explore la galaxie et dans lequel un personnage fictif triomphe de l’adversité. Passionné par la SF, Wayne Coyne a réalisé un film dans son jardin racontant l’histoire du premier Noël sur un Mars colonisé (Christmas on Mars).
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