Rencontre avec Miki avant son concert aux Nuits Bota: «J’ai toujours été énervée»

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Au rayon des nouvelles têtes de la pop française, Miki a marqué les esprits avec ses mélodies catchy et ses paroles désabusées. Avant l’album prévu pour cet automne, elle sort un premier EP, Graou. Rencontre avant son concert aux Nuits Bota.

On avoue, on a failli ne pas y aller. Vous savez ce que c’est: la hype, le buzz, tout ça. Le genre d’emballement qui agrandit l’audience de l’heureux élu autant qu’il amplifie la méfiance envers lui. Depuis plusieurs mois, le nom de Miki clignote sur tous les radars de la branchitude, au point de donner presque mal aux yeux aux observateurs de la chose pop made in France. Passons le débat sur les suspicions d’industry plant, dont les ressorts sexistes ne dupent plus grand monde –puisque, curieusement, ce sont majoritairement des artistes féminines qui sont soupçonnées d’être de simples «créations de label», montées de toutes pièces. Et allons directement au fait. Puisque désormais, Miki a sorti un premier EP, intitulé Graou. Sept titres en mode sucré (les mélodies qui collent)-salé (les paroles qui piquent), dont le fameux Echec et mat, et son clip tourné en plan fixe, à l’arrière d’un restaurant de la chaîne Buffalo Grill.

La première fois qu’on l’a regardé, on y a vu comme une version millennial du Loser de Beck, look slacker nineties et moue boudeuse compris. Pareil pour les textes grinçants, balancés l’air de rien, planquant difficilement leur désenchantement derrière leurs punchlines de stand-uppeuses. «Je suis paumée, comme la Pom’pote au fond du frigo/Que personne n’ose plus toucher ni jeter/Car j’en vaux peut-être encore la peine/J’ai peut-être encore du potentiel/Moi, j’y ai cru en tout cas», déroule ainsi Miki, dans un chanté-parlé qui accentue encore le trait cynique.

C’est bien dans cette encre sombre que la jeune femme trempe sa plume. «J’écrivais déjà comme ça dans les carnets que je remplissais vers l’âge de 7, 8 ans.» Si jeune? «Ah oui. J’ai toujours été énervée. De la même manière, j’adore traîner avec des gens cyniques, je kiffe les personnes qui n’aiment personne… Au fond, je crois que cela part vraiment d’un truc d’observation. Petite, j’écoutais aux portes, je regardais par les serrures. J’essayais de cerner la psychologie des gens. J’ai fini par comprendre les adultes plus vite que certains adultes entre eux. Et je me suis très vite retrouvée à être un peu la psy de la famille, ma mère venait souvent se confier. Donc voilà, il y a ce truc où j’ai voulu grandir très vite, tout en détestant les adultes. Cela a créé le cynisme.» (sourire) Ce qu’elle prend comme un superpouvoir ou une malédiction? «Un peu des deux. Je pense que ça vient aussi d’une sorte de mélancolie génétique. C’est un dérèglement chimique, profondément ancré en moi. Mais ça va, cela ne m’empêche pas de me taper des barres et de rêver…» On a eu peur.

«Petite, j’écoutais aux portes, je regardais par les serrures. J’essayais de cerner la psychologie des gens.»

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Reprenons depuis le début. Née en 1998, Mikaela Duplay de son vrai nom a grandi au Luxembourg, cadette d’une fratrie de trois (un frère, une sœur). Elle est la fille d’un père français, ingénieur en aérospatial, et d’une mère coréenne, chargée de relations publiques et passionnée de chant lyrique. «Elle aurait voulu devenir chanteuse. Comme elle n’a pas pu concrétiser son rêve, elle a reporté ça sur ses enfants. On a tous été obligés d’apprendre un instrument, dès 6 ans.» Il y a d’abord eu le violon –«c’était horrible, quand la baby-sitter me gardait, elle me suppliait d’arrêter, en promettant de ne pas le dire à mes parents». Puis le piano, plus accommodant. Du moins jusqu’à ce que l’adolescence ne vienne tout court-circuiter –«Je ne travaillais plus, j’arrivais foncedé au cours, j’ai fini par me faire virer». Têtue, elle se paie quand même ses propres cours de jazz. Et reçoit la confirmation qu’il y a une vie musicale au-delà de la simple interprétation clinique d’une partition.

Avant de devenir Miki, elle part en Grande-Bretagne, et s’inscrit au cursus «Film studies» de l’université de Londres. Elle y apprend la technique, le montage, etc. Après les cours, elle plonge dans les musiques électroniques et les raves. «Je suivais une bande de dix mecs que je connaissais à peine, et je me retrouvais dans des anciennes usines, à écouter de l’électro du vendredi au dimanche. J’ai adoré. Ça a changé ma vie. A travers ces soirées, je me suis découverte grâce à ce truc assez cathartique qui, d’une certaine manière, a renforcé mon amour-propre. C’est très étrange…»

Elle découvre également qu’il est possible de pleurer en dansant, d’expérimenter la mélancolie dans l’extase. «Ce sentiment un peu bleu, c’est ce que je veux essayer de retrouver dans ma propre musique. Comme une nostalgie pour une période que je n’aurais pas vécue. Un genre de mélancolie qui donne espoir. Celle que je peux ressentir quand je regarde les films de Miyazaki, par exemple. Ça, c’est vraiment ma zone.»  

Graou, le premier EP de Miki.

Durant le Covid, alors installée à Paris, elle se décide à publier un premier titre, jtm encore. Il servira de tremplin, amenant les premiers concerts, et les premiers contacts. Cinq ans plus tard, Miki est signée sur le sous-label Structure –monté par Yann Dernaucourt et Pierre Cornet, qui avaient déjà lancé Initial, «incubateur» de la major Universal, dont sont sortis Clara Luciani, Eddy de Pretto, etc. Elle a pu également compter sur les coups de main de Tristan Salvati, coproducteur des disques d’Angèle –avec qui elle partage par moments un même timbre de voix.

Miki a surtout pris le temps de mieux cerner sa personnalité musicale. Celle d’une chanteuse pop aux paroles volontiers crues, alternant vannes trash et confessions intimes (Motherlode), détestation et acceptation de soi. Dans les commentaires YouTube du clip d’Echec et mat, un internaute écrit: «C’est comme tomber sur une vidéo d’Orelsan en 2008.» Ce qu’elle prend plutôt comme un compliment. «Il m’a d’ailleurs envoyé un message pour me féliciter. Jul aussi d’ailleurs, via Instagram! Le pire, c’est que je ne l’ai pas vu tout de suite, parce que je vais le moins possible sur les réseaux sociaux. C’est mon manager, à qui j’ai filé les codes de mes comptes, qui est tombé dessus… C’est hyperflatteur, évidemment. Même si j’ai l’impression de n’avoir encore rien montré. Le meilleur est à venir…» On est tout prêt à la croire.

Miki, Graou, distribué par Structure. Le 21 mai aux Nuits Bota, à Bruxelles, le 18 juillet à Dour, le 19 juillet aux Francos de Spa, le 4 décembre au Reflektor, à Liège. 3,5/5

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