Médine: «Ce que j’incarne empêche certains d’entendre ce que je dis»

Médine, Rouen, décembre 2025 © Theo Hoebrechts
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après 20 ans de carrière, Médine reste fidèle à un certain esprit rap engagé et frondeur, quitte à slalomer entre les polémiques. Rencontre avec un rappeur-kamikaze qui a appris à jouer des préjugés comme on joue avec le feu.

Médine a donné rendez-vous à Rouen, dans un grand hôtel du centre historique de la ville normande. A quelques mètres de là, se dresse l’église Sainte-Jeanne-d’Arc, en forme de drakkar. Devant elle, une grande croix marque l’emplacement exact où la Pucelle a été brûlée vive, le 30 mai 1431. La métaphore est trop tentante: du bûcher au pilori (médiatique), auquel est régulièrement cloué le rappeur, c’est vrai qu’il n’y a souvent qu’un pas…

Dire que Médine est un habitué de la controverse est un euphémisme. Sur l’un de ses derniers morceaux, Media Training, il s’amuse: «Si j’ai des jumeaux un jour/Rien que pour les faire chier/Je les appelle Paul et Mick»… Le titre fait partie de son projet, Stentor act. 1. Publié en septembre dernier, l’EP déboule quelque 20 ans après son premier album. Un bail dans un genre qui a l’habitude de ne jamais rester en place très longtemps. Un sacerdoce même pour celui qui a été nourri au rap revendicatif des années 1990, faisant sienne la sentence d’Ärsenik: «Qui prétend faire du rap sans prendre position?» Epouvantail de (l’extrême) droite – cumulant les «tares» d’être à la fois rappeur, petit-fils d’immigrés, musulman (et barbu)–, Médine ne transige pas: «Y a qu’à ma circoncision qu’on a séparé l’homme de l’artiste», toujours sur Media Training

Parfois, ça passe. Parfois, ça casse. Comme quand, en 2018, il a dû annuler deux concerts prévus au Bataclan, après que ses détracteurs se sont insurgés contre l’idée de voir l’auteur de Don’t Laïk jouer dans le lieu-martyr des attentats. En 2023, c’est au festival des Solidarités, à Namur, que Médine était cette fois déprogrammé. Cet été, le rappeur était pourtant de retour en Belgique: à quelques kilomètres de là seulement, il faisait un triomphe sur la scène du festival Esperanzah!, à Floreffe. Samedi dernier, à Bruxelles, il jouait encore dans une Ancienne Belgique pleine à craquer. Signe que l’image de Médine évolue, que son propos est mieux compris? La veille de notre rencontre, il accompagnait la troupe de la comédie musicale La Haine. Présent sur la B.O. de la version scénique du film de Mathieu Kassovitz, il a composé son titre final, le rassembleur L’4mour. «L’idée était de se demander comment recréer du lien dans un contexte de polarisation toujours plus grande. Comment retrouver l’espoir de refaire société? Comment dépasser le timing médiatico-politique qui nous est imposé, pour reprendre un peu de hauteur?» On a déjà entendu discours plus clivant…

Médine Normandie

Médine a-t-il changé? Le rappeur lance-flammes a-t-il appris à tempérer ses répliques incendiaires? Pas sûr. «Il y a une dizaine d’années, j’ai imaginé me détourner de tous ces sujets un peu « sensibles », de « dépolitiser » mon propos, pour gagner une espèce de tranquillité d’esprit. La leçon que j’ai tirée de tout ça, c’est que ça finit toujours par vous rattraper. En tout cas quand vous incarnez la sociologie qui est la mienne: celle d’un artiste rappeur, de culture musulmane par ses grands-parents, issu de l’immigration algérienne.»

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Plus précisément, Médine Zaouiche est donc ce rappeur franco-algérien («Je suis le coq et le fennec», sur Speaker Corner), âgé de 42 ans, originaire du Havre. La ville reste encore et toujours son camp de base. «Si je me sens français aujourd’hui, c’est grâce à la Normandie et aux Normands. Grâce aux traditions de lutte du port du Havre, ou aux tableaux de Monet qui y a peint les plus beaux couchers de soleil!»  Et l’Algérie? Il connaît moins bien. Mais de la même manière, il a trouvé une «séquence de l’histoire» qui lui a permis de «bricoler son propre enracinement»: «En gros, la décennie qui suit l’indépendance. Une époque où le monde entier a les yeux rivés sur l’Algérie, sur la manière dont elle s’est défaite du colonialisme et de l’impérialisme. C’est le moment où se crée le premier festival panafricain: Alger devient un peu La Mecque des révolutionnaires, accueillant aussi bien Miriam Makeba que les Black Panthers, etc.» 

Caractère de cochon

Tombé dans le hip-hop à l’adolescence, inspiré par les postures engagées d’IAM, NTM, Idéal J et autre Ärsenik, Médine est ce rappeur militant connu pour soigner ses rimes, truffant ses textes de punchlines minées. Carrure de «lutteur daghestanais»,  regard sévère, il ne manque pas d’humour pour autant –souvent grinçant (au hasard: «Quand je fais des sons, c’est moi le premier musulman avec un caractère de cochon», sur Frontaliers). Dans un milieu toujours très masculin, il n’hésite pas non plus à évoquer les violences faites aux femmes. Et alors que ses collègues avancent en «clique», il se promène plutôt en famille –sa femme et leurs trois enfants, omniprésents sur ses réseaux sociaux (et même dans sa musique, comme sur le titre Barbapapa, où le fiston Massoud accompagne le daron).    

Médine : « Je ne cherche pas à être plus connu, mais à ce que mon message soit mieux connu. »

De quoi trancher avec l’image d’agitateur prosélyte que Médine traîne encore chez certains, pas que de droite d’ailleurs –comme quand sa venue aux journées d’été des Verts, en 2023, suscite des remous à gauche. Taclant la «pureté militante», «qui est souvent réclamée aux mêmes, en gros les personnes racisées qui s’engagent», le rappeur reste pourtant solide sur ses appuis. Tout juste refuse-t-il aujourd’hui de débattre à la télé: «Il n’y a pas la place pour développer ses idées et apporter de la nuance. C’est devenu une foire d’empoigne, où tout est fait pour créer la séquence qui va devenir virale sur le Net. Cela ne m’intéresse pas. Je ne cherche pas à être plus connu, mais à ce que mon message soit mieux connu.»

Le rap, art subversif

Tout de même: n’a-t-il pas, lui aussi, parfois joué le jeu de la provoc’, jonglant avec l’ironie et le second degré? Le rap, en général, est-il en cela toujours la meilleure forme pour faire passer son discours? «C’est en tout cas celle que je préfère. J’entends bien que le rap ne permet pas toujours de faire passer toutes les subtilités du propos. Mais j’aime assez l’idée de ne pas me défaire de mon art de prédilection, pour essayer vainement de correspondre aux codes de l’ »intelligentsia ». Le rap doit pouvoir rester subversif, être comme un mollard qu’on crache, plutôt qu’une dissertation aux idées bien exprimées bien organisées.» Même si cela permettrait parfois de rendre le message accessible à un plus grand nombre de personnes? «Mais le rap est déjà aujourd’hui la musique la plus populaire en France!» Pas faux.

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Il l’est d’ailleurs devenu au point de toucher aujourd’hui des publics ignorants (ou faisant mine d’ignorer) les racines d’un genre créé par des minorités déclassées. Médine de rapper par exemple: «Le rap, ça a bien changé/C’est que des gens friqués qu’écoutent des ex-fauchés se gentrifier». Le rappeur détaille: «Je critique surtout la récupération par des milieux ou des médias qui « s’encanaillent » avec cette musique, et finissent par la dépolitiser et vider le message de son essence.» Présent partout, le genre attire même jusqu’à des électeurs du RN, obligeant de plus en plus de rappeurs à clarifier leurs positions. «Aujourd’hui, alors que guette la nuit du fascisme, cela me semble indispensable. Quand Jul ne réagit pas après que Jordan Bardella a fait son entrée lors d’un meeting sur l’un de ses morceaux, c’est questionnant. On pourrait dire que ce n’est pas parce que Jul ne dit rien, qu’il valide. Mais de mon point de vue, dans l’instant que l’on vit, c’est problématique.» 

Master en gestion de crise

Médine est ce rappeur «pokemon», capable d’évoluer avec son temps –sur Stentor, il invite aussi bien le Belge quasi quadra Isha que le jeune Rounhaa–, mais toujours fidèle aux fondements hip-hop et à ses convictions politiques. Quitte à se retrouver régulièrement épinglé. «Mais quand je fais une erreur, je m’en excuse et j’avance», glisse-t-il, avant d’ajouter tout de même plus loin: «J’ai parfois des maladresses, mais elles ont au moins souvent l’avantage de révéler des choses. Je suis assez content par exemple d’avoir mis en évidence la personnalité de Rachel Khan (NDLR: en 2023, Médine qualifiera l’actrice-chroniqueuse-polémiste de «resKHANpée» dans un tweet jugé par beaucoup antisémite, et pour lequel le rappeur finira par s’excuser). On parle quand même de quelqu’un qui a été co-directrice de La Place (organisme qui célèbre les cultures urbaines et le hip-hop à Paris), ou qui posait aux côtés d’Assa Traoré (qui a perdu son frère sous les coups de violences policières), et qui a  commencé à dériver petit à petit, pour se retrouver aujourd’hui invitée régulière sur Bolloré Télévision (CNews).»

Médine, partisan du rap comme art subversif © Theo Hoebrechts

Dur au mal, Médine n’est pas près de lâcher l’affaire. Quand on lui demande quelle est la plus grande incompréhension à son égard, il pousse un grand soupir, comme s’il ne savait pas par où commencer. «Je pense qu’on peut résumer par une phrase présente sur mon tout premier album: « Ce que je suis parle tellement fort/qu’on en oubliera ce que je dis. » Ce que j’incarne, même à mon insu –je n’ai pas choisi de m’appeler Médine, par exemple–, empêche certains d’entendre les problèmes que je soulève, les diagnostics que je pose.» Ces assignations, Médine a appris à les dégoupiller. Quitte à jouer avec le feu, titillant ses détracteurs, devenu «master en gestion de crise». Une stratégie toujours payante? «En vérité, ma seule tactique, c’est l’art. Ça l’a toujours été. C’est ce qui me nourrit, c’est ma principale source d’inspiration, ce qui me fait évoluer dans ma vie personnelle. L’art dépasse le politique, le religieux, les idéologies. Il est au-dessus de tout.»

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