Revenue de loin, Marù publie son premier EP: «En sortant de l’hôpital, je savais que je voulais enfin assumer tout ce que j’étais»

Marù, chanteuse caméléon, sort son premier EP, The Main
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après avoir connu la galère et passé plusieurs mois à l’hôpital, la Liègeoise Marù a bien failli laisser tomber la musique. Elle sort aujourd’hui un premier EP intense, qui part du R&B pour explorer toutes les lubies musicales de la chanteuse. Rencontre avant son concert, ce jeudi soir, au Reflektor.  

Marù sera ce jeudi soir à l’affiche (gratuite) des Nuits Indés, à Liège, au Reflektor. Six mois après y avoir effectué un premier passage. Et trois, après avoir foulé la prestigieuse scène des Ardentes. Ce n’est encore qu’un début. Mais chaque date engrangée a le goût d’une petite victoire. Surtout quand, comme Marù, on a frôlé la sortie de route définitive…

En mai dernier, la Liégeoise sortait un premier EP (produit par NicolasDebahia, Petit Bison et Daïko). Intitulé The Main, il est doublement audacieux. D’une part, parce qu’il s’avance sur un terrain R&B/pop encore largement en friche en Belgique. De l’autre, parce qu’il déborde régulièrement du cadre, intégrant un tas d’influences disparates – plus proche par exemple d’une 070 Shake que, au hasard, d’une Rihanna. Hétéroclite donc, mais pourtant cohérent. Il peut par exemple s’ouvrir avec des cordes façon Aznavour (ID) et embrayer sur une production dark pop à la The Weeknd (Naim), mélanger vibes R&B et vocalises arabisantes, enfiler notes d’oud et air de tango, glisser du français au milieu de l’anglais. Après tout, pourquoi se priver ? C’est que Marù a faim. Elle a connu la galère,  contracté une tuberculose qui la plongera plusieurs jours dans le coma, et la clouera dans un lit d’hôpital pendant plusieurs mois : plus question de perdre de temps.

D’origine turque et kurde, portant un prénom arménien – difficile de faire combo plus explosif -, Marù a toujours voulu chanter. Un héritage familial sans doute. Elle est la fille d’un père musicien – « mais je n’ai plus trop de contact » – et d’une mère chanteuse. « Elle a notamment collaboré avec Tarkan. Elle continue d’enregistrer des projets. Récemment encore, elle a sorti un album. Plus jeune, je l’accompagnais souvent en concert, et même en tournée. Donc, oui, j’imagine que cela a joué un rôle. Même si pendant longtemps, elle a cherché à me décourager. Parce qu’elle sait bien que c’est aussi un milieu très dur… »

Marù a grandi et étudié à Liège – aux Beaux-Arts, à l’université (en communication). Elle y est née, mais préfère ne pas préciser quand. « Parce que je sais que dans cette industrie, quand vous êtes une femme, cela peut parfois vous fermer certaines portes » – on pourra difficilement le contredire. Pour le reste, Marù affiche une sincérité désarmante. Comme si les coups encaissés l’avaient à la fois poussée à se protéger. Et en même temps à lâcher les derniers freins, histoire de ne rien regretter…

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Quand la musique devient-elle une évidence ?

Ado, je faisais déjà de la musique. Mais toute seule, dans mon coin. Vers la vingtaine, j’ai commencé à participer à des open mic, des scènes ouvertes. C’est vraiment là que je me suis dit que je pouvais peut-être en faire quelque chose. J’adorais les jams par exemple, je me sentais vraiment portée par les musiciens. Il suffit qu’il y ait un trompettiste, et cela change tout. J’avais l’impression de vivre quelque chose de fort et collectif. Chacun amenait sa propre émotion. Et moi, cela me permettait de rebondir vocalement, et de créer des mélodies. Plus que le texte, c’est vraiment ça qui m’intéresse. Je sais que les paroles sont importantes. Mais ce qui m’anime, c’est vraiment la musique, la mélodie, peu importe la langue. Je peux écouter des maquettes entières de toplines par exemple, j’adore ça.

Quand cette ambition est-elle devenue plus concrète ?

C’est assez récent en fait. Quand je suis sortie de l’hôpital, je me suis dit que je devais y croire. Je l’ai pris comme un rappel à l’ordre. Un signal pour arrêter d’imaginer les choses sur papier et de chercher à les concrétiser pour de bon. Quelque part, c’est comme si je recevais une seconde chance. Il ne fallait pas que je passe à côté. J’ai aussi beaucoup appris. Avant cela, je manquais de maturité. J’étais encore fort instable au niveau émotionnel. J’étais aussi mal entourée. Le fait de traverser cette épreuve m’a fait grandir de 15 ans…  

Que peux-tu en dire ?

J’ai contracté la tuberculose. Au départ, j’ai une maladie auto-immune qui me rend plus sensible aux attaques externes. Ce qui a permis à la tuberculose de se développer très rapidement. Quand je suis arrivée à l’hôpital, on m’a dit clairement que, dans mon état, je n’étais même pas censée respirer, ni tenir debout. Le lendemain, j’étais dans le coma. J’y suis restée une semaine. Par la suite, j’ai passé à peu près un mois et demi aux soins intensifs, dans une chambre  isolée, dans laquelle les médecins et infirmiers rentraient en combinaison intégrale. C’était aussi la période du Covid. Donc je ne pouvais recevoir aucune visite. En tout, j’ai passé trois mois à l’hôpital. Forcément, quand vous vivez ce genre de choses, cela vous fait gamberger. J’ai eu mon lot de problèmes. Et je me suis dit qu’en sortant de là, je ferais le tri. Et que j’essaierais de rendre ma vie plus simple, en me concentrant sur le positif.

Où en étais-tu quand cela te tombe dessus ?

J’étais à la rue. Enfin, pas littéralement, je vivais chez des amis. Mais ma mère m’avait foutue à la porte. Cela ne se passait pas très bien. Je n’avais plus d’argent. Je pensais laisser tomber la musique. C’était un milieu trop instable, avec trop d’incertitudes financières. J’étais fatiguée. J’avais besoin de plus de sécurité.

Quel était le plan B?

Il n’y en avait pas vraiment. Jusque-là, je m’accrochais à mon rêve de gosse. Je me rappelle être allée à un concert de Das EFX (NdR : duo rap américain). J’avais réussi à rentrer en contact avec l’équipe, ils m’avaient même filé leur mail. Je m’imaginais dans un vieux films des années nonante, où n’importe qui se fait repérer dans la rue et devient une star. J’étais vraiment complètement débile. Cela ne se passe évidemment jamais comme ça. Mais j’y croyais…

Tu sors malgré tout des morceaux à ce moment-là ?

Non, pas vraiment. Je traînais avec des gens du milieu de la musique. Mais ce n’était pas un environnement très stable, il y avait beaucoup de drogues. A l’époque, cela me paraissait normal. Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’il existait d’autres réseaux, tout aussi artistiques, mais plus sains. C’était à moi de faire les bons choix.

Encore aujourd’hui, tenir 30 minutes de concert est vocalement éprouvant

Comme de rejoindre le label Nectar MusiQ ?

Avant de les rencontrer, j’avais par exemple posé sur quelques morceaux, mais qui avaient été écrits par quelqu’un d’autre. Je ne m’y retrouvais pas, ce n’était pas vraiment moi. Dès que j’ai matché avec l’équipe de Nectar, ils m’ont envoyée en studio et fait écrire. J’ai commencé à travailler avec Indocile, fait quelques collab avec Gemini ( NdR : anciennement connu sous le nom de Mr Clasik). Jusqu’au moment où je me suis retrouvée à l’hôpital… Même là, ils ne m’ont pas lâchée. Alors qu’on n’était même pas certain au début que j’allais m’en sortir… Quand j’ai été sur pied, on a recommencé à travailler. Mais la tuberculose a forcément laissé des séquelles. Il a fallu du temps pour réapprendre à bien respirer et à chanter – même la justesse est basée sur la respiration ! Encore aujourd’hui, tenir 30 minutes de concert est vocalement éprouvant.  Au-delà de la voix, il fallait simplement retrouver l’inspiration, les réflexes de composition, et cerner exactement où je voulais aller, quelle était mon identité.

Précisément, comment la définir ?

Je sais qu’après l’hôpital, j’ai décidé de vraiment m’assumer, et de ne pas me considérer uniquement comme une chanteuse R&B. Je suis un peu rentrée dans cette case par défaut. Mais même si cela fait partie de moi, cela ne me résume pas entièrement. Je ne voulais plus passer à côté de tout ce que j’étais.

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C’est-à-dire ?

Je vois la musique comme un moyen de me trouver et d’exprimer vraiment qui je suis. Donc pourquoi me limiter à une facette ? Tout le monde est plein de richesses différentes. Pourquoi ne pas les exploiter ? En studio, on a lancé plein de pistes différentes. Et j’allais vers ce qui m’animait le plus. Même si cela ne rentrait pas forcément dans les « codes » R&B… Pendant ma « pause » forcée, par exemple, j’ai réécouté  pas mal de musique classique. Quand je chante, je sais que j’ai des accents arabisants. Je suis fan de performances vocales, mais j’adore aussi utiliser l’autotune… Et puis si le R&B reste évidemment essentiel, j’ai également été biberonnée au rap, au rock, à la Motown. En cinéma pareil, j’ai revu récemment des Disney, mais aussi des films de Truffaut, Godard. J’adore les B.O. d’Ennio Morricone ou de Danny Elfman (NdR : compositeur attitré du réalisateur Tim Burton)…

C’est pour cela que la pochette de l’EP rappelle plus l’Etrange Noël de Mr Jack que celle d’un disque de, au hasard, Mariah Carey ?

Plus jeune, j’ai baigné dans les codes américains R&B. Mais j’étais aussi l’ado « gothique », qui est toute seule chez elle. Ce sont un peu mes deux personnalités. Je suis à la fois très accessible. Mais j’ai aussi besoin d’être seule et de me ressourcer en regardant mes vieux films avec une tasse de thé (sourire).

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