Lou R.I.P.
Lou Reed, le génial leader du Velvet Underground, est décédé ce dimanche à l’âge de 71 ans. Philippe Cornet lui rend hommage.
C’était il y a dix ans, dans son bureau new yorkais sur Broadway, à hauteur de Soho. Lou Reed reçoit une brève délégation de deux journalistes belges à l’occasion d’une sortie de Best Of standard. Peut-être chamboulé par le décalage horaire (…), on lui avoue avoir écouté les chansons concernées, classiques, archiconnues, lors du survol de l’Atlantique. Sur un Discman d’avant le MP3. Le petit homme à figure chiffonnée rajoute alors quelques rides à son rictus naturel et hèle une assistante: il faut sur le champ écouter l’oeuvre sur une chaîne digne de ce nom. Nous voilà donc face à la sono bouffant du Walk on the Wild Side sous l’oeil inquisiteur de Lou: le ridicule ne dure qu’une chanson et demie et on entreprend l’interview prévue. Monsieur Reed s’y montre particulièrement fidèle à sa réputation: cassant, globalement monosyllabique et de mauvaise composition.
Bref, des manières semi-odieuses entamées au tout début des années septante, là sur un grand pied, avec Lester Bangs, scribouillard d’égale répartie venin. Peut-être parce qu’assez vite, Reed, le camé-alcoolique-bisexuel, maqué à un travesti, a la volonté d’être considéré comme un artiste. Sans jamais atteindre l’aura commerciale d’un David Bowie, son meilleur ami-ennemi, producteur de son légendaire album Transformer (1972). Reed traite son passé avec Warhol et la création du Velvet Underground, comme oeuvre à part entière, modèle unique et chéri malgré les batailles d’égos qui s’y déroulent.
Fils de la classe moyenne juive de Long Island, né à Brooklyn le 2 mars 1942, Lou est un ado troublé, recevant des électrochocs pour guérir une supposée homosexualité rampante. Sa première époque allant du Velvet sixties au succès grand public, une décennie plus tard, se nourrit de décadence, de baroque, de drogues et de provoc: on n’a oublié ni sa description junkie documentée (Heroin), ni la swastika taillée dans une coupe de cheveux à ras. Papa et maman Reed apprécieront.
Tout cela et le reste qui dopent ses débuts de chanteur-compositeur, n’auraient guère eu d’importance sans un manifeste talent dépassant toute odeur de soufre. La voix reedienne, comme revenue d’un divin royaume des morts, son habileté narrative et un don certain pour l’accroche pop collée aux fesses de morceaux autrement morbides, font le succès de titres tels que Walk on the Wild Side, Satellite of Love ou encore ce Perfect Day incarnant un art supérieur de la ballade mortifère. Ce Lou Reed là, de la première partie des années septante, forge logiquement la légende. Assez contrastée puisque l’auteur d’un album de bruit intégral paru en 1975 (Metal Music Machine) affirme aussi, dès la décennie suivante, un profil d’intello de gauche new yorkais, soutenant la résistance de Vaclav Havel au joug communiste ou rejoignant une tournée d’Amnesty International.
Troquant vers 1980 la poudre, le sexe scandaleux et l’alcool contre le taï chi, la méditation et un futur soutien au Tibet face à l’oppression chinoise. Les travelos de la Factory d’antan étant remplacés par la fréquentation des avant-gardistes Robert Wilson ou Laurie Anderson, son contraire aimable, épousée en 2008. On peut reprocher à Reed sa prétention sèche et son arrogance endémique, mais pas d’avoir, comme tant d’autres, stagné jusqu’à l’autoparodie artistique. Même si ses réussites discographiques de l’après-70’s sont en nombre limité, quitte à se planter -cf. avec Metallica en 2011– Lou aura beaucoup essayé, bifurqué, circulé, vécu. Dans son cas, la sentence un peu clichée voulant qu’il « laisse derrière lui une oeuvre unique », n’est pas loin d’être vraie.
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