Ce n’est pas parce que l’été est arrivé, que les album arrêtent de tourner. Focus sur les coups de coeur du moment.
1. Lorde – Virgin
La pop est ainsi faite qu’elle se nourrit régulièrement de rivalités. En la matière, l’an dernier, Kendrick Lamar et Drake ont largement assuré le spectacle. Dans un autre registre, Charli XCX glissait dans son fameux Brat une parole que d’aucuns avaient directement prise pour une pique à Lorde –«People say we’re alike/They say we’ve got the same hair», sur Girl, So Confusing. L’abcès sera cependant vite crevé. Quelques mois plus tard, les deux se retrouveront sur un remix du morceau en question, mettant à nu leurs sentiments –«Sometimes I think you might hate me/Sometimes I think I might hate you», dixit Charli XCX. Au printemps dernier, cette dernière invitait même sa collègue néo-zélandaise à la rejoindre sur la scène de Coachella, annonçant, après le «Brat summer» de l’an passé, un «Lorde summer».
A l’écoute de Virgin, l’idée tient la route. Quatre ans après un Solar Power accueilli relativement timidement, ce quatrième album retrouve en effet une énergie et une vitalité, qui permettent à Lorde de revenir à l’essentiel. Bien sûr, comme tout le monde, elle a été marquée par la fiesta électro de Brat –What Was That, Favourite Daughter, ou Broken Glass comme exemples de titres à la vibe club un peu crasse. Au-delà des textures électroniques, elle en a surtout retenu une manière de jeter la lumière la plus crue possible sur ses tourments.
Jusqu’ici, Lorde a pu souvent donner l’impression de maintenir une certaine réserve pudique. A l’instar de sa pochette –une radio de son bassin laissant deviner un stérilet-, Virgin lui permet de baisser la garde et se mettre à nu. Prête non seulement à évoquer ses angoisses. Mais aussi à accepter qu’elle ne trouvera pas forcément de solutions pour les apaiser. Comme quand elle explique dès l’ouverture, sur Hammer: «I might have been born again/I’m ready to feel like I don’t have the answers»… ● L.H.
Distribué par Universal. Le 27 novembre, à Forest National.
La cote de Focus : 4/5
2. Ben LaMar Gay – Yowzers
De toute la nouvelle vague qui depuis une dizaine d’années, de Londres à Chicago, fait souffler sur le jazz un vent nouveau, Ben LaMar Gay est assurément l’un des musiciens les plus insaisissables et intrigants. Un croisement de Frank Zappa, de Gil Scott-Heron, de Sun Ra et bien plus que ça. Le mot «yowzers» lui est venu à l’esprit, dit-il, en observant la convergence de l’humour et de l’horreur dans notre réalité actuelle. «D’un côté, c’est un profond soupir qui quitte doucement notre corps après avoir fait face à l’absurde. De l’autre, c’est un cri de joie devant tous les secrets qui peuvent nous aider à supporter et à transcender cette absurdité.»
Entouré de ses habituels comparses, Tommaso Moretti à la batterie, Matthew Davis au tuba, Will Faber à la guitare ou encore Rob Frye aux bois (il a aussi embauché une mini-chorale), le compositeur et cornettiste qui a grandi avec le hip-hop, étudié le jazz et se passionne pour le folklore signe un troisième album libre et inventif, teinté de blues, de gospel, de tropicalisme, de samba… Un ovni.
Distribué par International Anthem.
La cote de Focus : 4/5
3. Bonnie Banane & Joseph Schiano di Lombo – L’Orguasme
D’un côté, Bonnie Banane –électron libre de la French pop (et dernière lauréate du prix Joséphine pour son album Nini). De l’autre, Joseph Schiano di Lombo, musicien, plasticien, dessinateur et écrivain. A l’occasion du dernier Hyper Weekend Festival, les deux ont créé le projet Orguasme. Un concert «autour de chansons paillardes et dévotionnelles exclusivement accompagnées à l’orgue».
Esprits libres et volontiers pince-sans-rire, la chanteuse et le compositeur ont en effet choisi l’instrument d’église par excellence pour accompagner des morceaux aux sous-entendus libidineux. Un peu comme la rencontre entre musique médiévale et chanson lascive, Hildegarde de Bingen et Gainsbourg. «La parole est au ruisseau», annonce par exemple Bonnie Banane sur le Plaisir des sources, avant de ponctuer de petits gémissements les coulées d’orgue à la Steve Reich. Ailleurs, les morceaux s’intitulent Grand frisson («Gloire à ceux qui en procurent/Délivrez ceux qui n’en ont cure»), La Petite Mort, Simulation Blues ou encore, en toute fin de disque, Le Calme après l’œuvrette (vous l’avez?). Un ovni aussi drôle que sensuel. ● L.H.
Distribué par Circus Company.
La cote de Focus : 3,5/5
4. Nick León – A Tropical Entropy
En 1987, la grande autrice-journaliste américaine Joan Didion publiait Miami. Un essai qui grattait le vernis glamour de la cité de Floride pour montrer ses facettes plus problématiques –et qui, à l’époque, avait été même perçu comme son livre le plus sombre. Il sert aujourd’hui d’inspiration pour le premier véritable album de Nick León, basé précisément à Miami.
DJ connu pour retourner les clubs, producteur émérite –crédité notamment sur l’important Motomami de Rosalía–, il délivre une sorte d’electronica puisant autant dans la house (le tube underground Bikini avec Erika de Casier) ou l’ambient, que dans les musiques latinas (reggaeton, etc.). Avec, à l’arrivée, une avant-pop languide (Crush) et mélancolique (Ocean Apart), naviguant entre évasion –celle d’une ville réputée pour ses fêtes– et sentiment de vulnérabilité –Miami est l’une des villes les plus menacées par le changement climatique. ● L.H.
Distribué par TraTraTrax.
La cote de Focus : 4/5
5. Big Special – National Average
Originaire de Black Country, l’un des berceaux de la révolution industrielle au Royaume-Uni dont le nom fait référence à la fumée et à la pollution des usines et forges (un peu le Charleroi local quoi), Big Special a la musique qui colle à son pédigrée. Thématiques sombres (problèmes sociaux et santé mentale), humour souvent noir et accent à couper au couteau…
Un an après la sortie de leur premier album Postindustrial Hometown Blues, le poète et prédicateur sous acide Joe Hicklin, fils spirituel de John Cooper Clarke, et son pote batteur Callum Moloney enchaînent déjà avec son successeur. Punk, rap, blues, funk… Ces deux-là revendiquent l’influencent de Kerouac, de Dickens et de Bukowski. Evoquent à la fois Sleaford Mods, Yard Act et les Black Keys. Every band is a big band for someone… Désolé pour le bordel. Big Special est un groupe de combat. «Set your boots by the door, lad. Welcome to the struggle.»
Distribué par SO/Silva Screen. Le 12/7 au Cactus Festival (Bruges), le 8/10 au Cactus Café (Bruges) et le 9/10 au Trix (Anvers).
La cote de Focus : 3,5/5